Ce que l’arrivée d’un premier enfant change dans un couple
“Évidemment ça doit dépendre des gens, mais l’arrivée d’un enfant, notamment le premier, ça change absolument tout !”. D’emblée Emmanuelle, 33 ans, journaliste et jeune maman donne le ton. “On devient vraiment adulte, on fait des choses qu’on aurait jamais pensé être capables de faire”, renchérit son compagnon Antoine, 32 ans, également journaliste. Ensemble depuis 5 ans, pacsé, ce jeune couple parisien vient en effet d’accueillir un petit garçon en février dernier, tout juste avant le début du confinement. Un heureux évènement, avec son lot de couches à changer et d’émotions à digérer, qui comme toutes les naissances, se révèle un grand chamboulement.
“L’arrivée d’un premier enfant génère une crise dans le couple, dans le sens d’une évolution”, explique Camille Rochet, psychothérapeute du couple et de la famille et auteure de L’amour commence après 3 ans (Interéditions, 2020). “Ce qui est difficile c’est que nous nous choisissons en tant que conjoint, mais nous ne pouvons pas anticiper sur la façon dont l’autre sera père ou mère. Or, mon amour pour mon conjoint va devoir intégrer aussi sa façon d’être père ou mère. Tellement de choses se passent inconsciemment dans ce nouveau rôle que parfois, nous-mêmes, nous sommes étonnés de nos attitudes. Notre relation avec nos parents, la façon dont nous avons été enfant… tout cela nous a marqué et nous est renvoyé en miroir”, poursuit la thérapeute.
“Cela peut donc rapprocher bien évidemment car on doit se donner dans la maternité ou paternité et se donner à deux (…) mais l’ambivalence peut aussi provoquer l’inverse, notamment si le couple était déjà fragile avant.” Un challenge conjugal de haut vol en somme, qui vient s’ajouter à la fatigue des nuits en dents de scie, l’apprentissage sur le tas de la parentalité, les divers injonctions sociétales et personnelles ou encore l’incessant besoin d’attention du (divin) enfant. “Avec Emmanuelle, il y a plus de petites disputes (vraiment petites) alors qu’avant il n’y avait rien. Je suis devenu un peu plus angoissé, donc nerveux, donc avec des réactions parfois bizarres, notamment la nuit où le manque de sommeil peut parfois agir sur mes réactions”, avoue Antoine, tout en affirmant que l’arrivée de leur premier enfant les a rendus plus forts. “Je sais qu’on est un binôme de feu!”, renchérit Emmanuelle.
À moins qu’il ne convienne mieux de parler de trio, le nouveau-né ne manquant pas de rappeler que, lui aussi, a son mot à dire.
Naissance d’un clan
Car au-delà de la réalisation d’un désir commun (a priori) et de la mise au monde d’un (tout petit) être humain, la naissance du premier enfant implique avant tout la naissance d’une famille. Une nouvelle entité à part entière, qui transcende par essence les individus qui la composent, au profit du bien-être du nouveau-né. “Même si on était très proches et soudés avant, désormais on ne fait qu’un quand il s’agit de défendre nos choix, nos décisions, nos points de vue (sur l’éducation) : on devient une famille, un clan”, abonde Emmanuelle qui nous explique comment la parentalité lui a permis finalement de consolider un socle de valeurs communes avec son conjoint.
Pour Pauline, 34 ans et mère d’un petit garçon de 13 mois, la construction de cette nouvelle vie commune avec son compagnon Fernando s’est surtout manifestée d’un point de vue pratique et organisationnel. “Désormais, on forme une équipe, avec un lien d’interdépendance très fort. Avant, avec mon compagnon, chacun pouvait faire sa vie, rentrer à l’heure qu’il voulait, sans forcément prévenir l’autre. Mais avec un enfant, il faut tout prévoir : car si l’un veut vaquer à ses occupations, cela implique que l’autre s’occupe du bébé. Du coup, toutes les décisions que tu prends au quotidien sont des décisions que tu prends à trois !”, nous raconte-t-elle par message audio.
Un discours qui vient faire écho au témoignage de Katia, 32 ans, mariée et mère d’une petite fille de 6 mois. “D’un point de vue pratique, le seul gros changement selon moi c’est que tu n’as plus vraiment de place pour l’imprévu. Surtout avec tes amis. Tu peux plus te faire une soirée ou prendre un verre sur un coup de tête car maintenant tu as quelqu’un dont te soucier. On a donc appris à ‘bien vivre’ tout en respectant son rythme, comme les heures de ses siestes et de ses repas, alors qu’avant on faisait pas attention à tout ça. Et forcément, tu dors moins et tu te lèves tôt même le week-end mais le soir elle dort à 19h donc on a nos soirées libres comme avant”, résume la jeune femme qui souligne que l’organisation, et le rangement optimisé des affaires de bébé, sont clefs dans la gestion fluide du quotidien. “Et côté famille, oui forcément ça a rapproché tout le monde !”, conclut-elle, bien qu’elle fréquente Guilhem, son conjoint, depuis une dizaine d’années et connaisse très bien toute sa famille, et inversement.
Mais quid de leur relation à deux, et de celle de tous les autres jeunes parents ?
Un nouveau couple
Ni meilleure, ni détériorée : à contre courant des mythes en vogue sur les bienfaits réparateurs, ou au contraire, dévastateurs, du premier enfant sur la santé du couple, nos témoins parlent au contraire d’une relation renouvelée, réinventée, d´un nouveau chapitre conjugal qui prendrait racine dès le début de la grossesse. “Déjà le simple fait de prendre à deux la décision de garder notre enfant, ça a été forcément quelque chose de très engageant pour nous”, souligne Pauline, qui est tombée enceinte sans que cela soit prévu, quelques semaines après avoir emménagé avec son compagnon. “D’emblée, ça a crée un autre lien entre nous, un nouveau stade dans la relation : plus authentique, sans filtre. Tu n’as plus de barrière intime, tu arrêtes de contrôler ce que tu veux qu’il voit de toi ou non. Par exemple, quand ton compagnon t’accompagne aux examens de contrôle, c’est un peu comme s’il venait chez toi chez le gynéco !”, poursuit la jeune femme.
Une mise à nue en somme, que viennent exacerber l’accouchement et la mise au monde de l’enfant tant attendu. “Quand tu viens d’accoucher tu n’es pas en forme, beaucoup de sang coule et je n’avais pas envie de le lui cacher. Quand j’avais des douleurs spécifiques, même dans des parties intimes, je le lui racontais. Et sexuellement, j’avais déjà moins envie de faire l’amour en étant enceinte et après, encore moins. Il pensait que tout allait reprendre comme avant, on était pas du tout sur la même longueur d’ondes. Du coup, j’ai dû lui expliquer que non, je n’avais pas envie…”, confie t-elle.
Car qui dit nouvelle relation, dit aussi nouveaux désirs et nouvelles préoccupations. Sexe, mais aussi loisirs, alimentation, relations amicales ou manière de gérer son argent : ce sont tous les aspects de la vie du couple qui sont revus et corrigés. “Avant nos projets, c’était de voyager plus par exemple. Aujourd’hui, la priorité, ça va être de passer du temps avec nos familles respectives ou trouver un appartement plus grand pour qu’on est plus de place. Et, on a aussi ouvert un compte commun maintenant !”, précise Pauline.
“Avant d’avoir l’enfant, je pensais beaucoup aux autres (amis, famille). Maintenant, je suis uniquement focus sur le petit. Tu as besoin de prendre soin de ta famille tout le temps. Je ne suis pas à la base quelqu’un de protecteur, mais là j’en ressens le besoin”, confirme Antoine. “Tu vois que tu as un petit être qui pour l’instant n’a que toi, ne dépend que de toi et pour qui tu es tout. C’est bouleversant. Bêtement, je fais plus attention maintenant quand je traverse la route ou quand je conduis par exemple”, ajoute Katia. Une responsabilité prenante, captivante qui peut rapidement occulter toutes nos autres priorités, y compris celles impliquant notre principal associé dans cette grande aventure : le père/la mère de notre enfant et accessoirement notre partenaire de vie.
Des paroles, des paroles, des paroles
Et pour cause, faire perdurer une relation amoureuse au-delà de l’arrivée réjouissante, mais non moins éprouvante, de sa progéniture se révèle un challenge permanent lorsqu’on appréhende son nouveau rôle de parent. “Tout cela met le couple au défi. Celui-ci doit se recentrer sur l’essentiel, se renforcer dans sa ligne de conduite, dans ses choix. Et des couples qui souffrent de leur incompréhension mutuelle peuvent aussi avoir du mal à passer ces enjeux relationnels”, commente Camille Rochet. La solution ? Com-mu-ni-quer.
C’est du moins la solution instinctive trouvée par nos témoins pour maintenir le lien avec leur tendre moitié, a fortiori pour les femmes ayant accouché et qui doivent appréhender de profondes mutations physiques et psychiques. “J’ai tout raconté à Guilhem. Il a appris alors qu’on a nos règles pendant un mois, il a su ce que le médecin me disait lors des contrôles, il m’a vue tirer mon lait. J’avais besoin de lui dire et besoin qu’il le sache, pour qu’il comprenne qu’on vit un truc fou avec notre corps et qu’il faut être patient, empathique quand on ne va pas bien”, se souvient Katia.
Des confessions décomplexées, sans tabou, qui nécessitent parfois un changement de paradigme sur sa propre hiérarchie de valeurs, voire sur ses propres pensées limitantes. “Avant, j’aurai porté un jugement négatif sur le fait d’être un couple qui ne fait plus, ou peu, l’amour. Même chose sur le fait que Fernando me voit les cheveux en bataille ou habillée deux jours de la même façon. Sauf que maintenant, je comprends que, en ce moment, c’est ce dont j’ai besoin”, explique Pauline.
Parler, échanger : la communication au sein du couple est également essentielle pour bien anticiper son rôle de parent et ses éventuels obstacles, tout en prenant soin de se soutenir et de se valoriser mutuellement. “On a eu le temps d’en parler, de s’imaginer parents, nos choix et nos conceptions étaient arrêtés et clairs. Par exemple, avec la question de l’allaitement, on savait que ça voulait dire que seule moi allais me réveiller la nuit et que je n’allais pas lui reprocher a posteriori”, raconte celle qui a longtemps craint que cette naissance ne vienne mener à mal sa relation fusionnelle avec son époux. Mais à l’arrivée de leur fille, rien ne change ou presque : le couple se sent plus proche que jamais. “Les premiers jours, je n’hésitais pas non plus à le valoriser en lui faisant remarquer qu’il était plus doué que moi pour donner le bain ou pour la consoler. On apprend le rôle de parent ensemble et on s’encourage, on se félicite, on se questionne ensemble. Il n’y en a pas un qui sait mieux que l’autre !”, conclut-elle.
Tous les deux sans personne
Un apprentissage que Emmanuelle et Antoine ont également fait ensemble, avant de s’autoriser des moments de liberté, seul ou à deux. “On doit aujourd’hui redoubler d’attention : si l’on se laisse aller par le quotidien, on peut vite s’oublier et c’est important pour l’un et l’autre de prendre du temps pour soi, et du temps pour le couple aussi”, explique Emmanuelle. “Après quelques semaines où on a tâtonné, on a commencé à se laisser des moments de liberté et à chaque fois ça a été hyper bénéfique : celui qui partait se ressourçait, celui qui restait avec le bébé prenait confiance en tant que parent.”
Des temps de pause essentiels à la survie du couple qui permettent de renouer avec des émotions qui ne peuvent que difficilement se manifester dans ce nouveau quotidien ultra-chargé. “Trop de couples n’osent pas confier leurs enfants pour s’échapper quelques jours tous les deux. Or, cela est vital pour redonner de l’oxygène à leur relation, se retrouver de façon légère, la tête libre de toute cette fameuse charge mentale.” rappelle la psychothérapeute.
Car si nos témoins s’en sortent visiblement haut la main, d’autres couples n’ont pas forcément cette même chance. Selon une étude réalisée par l’Université de Lausanne, 26% des couples vont voir leur relation se détériorer au cours des deux premières années de leur nouvelle vie parentale*.
“Certains n’arrivent pas à passer sereinement à deux ce cap, souvent parce qu’ils se sont mis une pression importante pour être parent d’une certaine façon et ne pas reproduire le schéma connu. Si le conjoint ne rentre alors pas dans ma façon de voir la parentalité, cela peut faire peur et me décevoir profondément. L’amour en est donc touché. Il arrive aussi que l’arrivée de l’enfant soit un tel choc que l’un des deux conjoints fuit ses responsabilités de peur de mal agir”, explique Camille Rochet.
Son conseil ? “Gardez à l’esprit que l’enfant est le fruit de votre amour solide et déjà engagé, et non l’objet même de votre engagement.” À méditer.
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* La transition à la parentalité et les réaménagements de la relation de couple, Nicolas Favez, dans Dialogue, n·199, 1er trimestre 2013
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