Premier tournoi de golf féminin en Arabie Saoudite : réelle avancée ou effet de communication ?

Alors que de nombreuses militantes féministes dorment toujours en prison, le Royaume tente de redorer son blason en organisant deux tournois de golf exclusivement féminins, du 12 au 19 novembre. Les spécialistes dénoncent une « stratégie d’images » hypocrite.

L’événement fera-t-il date ?  Le circuit féminin européen, le LET (Ladies European Tour) s’est arrêté pour la première fois en Arabie saoudite. Du 12 au 19 novembre, pendant une semaine, deux événements sportifs exclusivement féminins se sont s’enchaînés au Royal Greens Golf Club, près de la ville de Djeddah. 

La Fédération saoudienne de golf s’est vantée, dans un communiqué rédigé de la main de son président Majed Al Sorour, d’avoir organisé un « moment historique pour le sport féminin dans le Royaume et un moment décisif pour les jeunes Saoudiennes ». Elle affirmait également avoir « hâte d’accueillir ces grands noms du golf féminin dans un tournoi qui a l’ambition de devenir un événement sportif majeur ».

Une instrumentalisation des femmes ?

Première participation d’athlètes saoudiennes aux JO de Londres en 2012, cours de sport pour les filles des écoles publiques depuis 2016, ou encore autorisation d’assister en 2018 à des matchs de football dans trois enceintes du pays… des avancées ont été réalisées ces dernières années en Arabie saoudite dans le domaine du sport. 

Selon Myriam Benraad, politologue spécialiste du Moyen-Orient, cette ouverture fait partie du plan de développement « vision 2030 » déployé par le prince Mohamed ben Salmane. « L’Arabie saoudite a une politique d’ouverture qui obéit à une volonté de communication et de projection d’un modèle de royaume modernisée. Pour s’imposer d’un point de vue politique, il a choisi la carte réformiste. Cela passe par une ouverture sur le droit des femmes : droit de conduire, accès au marché du travail et féminisation des sports. » 

Faut-il voir une avancée significative pour les droits des femmes dans ce pays, l’un des plus conservateurs au monde ? Non d’après l’experte : « Ce tournoi de golf fait partie de la stratégie de l’image que le Royaume veut projeter à ses partenaires occidentaux. Comme toutes les mesures prises jusqu’ici, il ne faut pas y voir un bouleversement sociétal majeur : ce n’est que symbolique. »

Good morning @RoyalGreens_KSA The final day of the #SaudiLadiesTeamIntl. pic.twitter.com/E9hZkI4BoY

Sur les réseaux sociaux, la dimension historique et novatrice des tournois féminins est mise en avant par le hashtag #LadiesFirst (« les dames d’abord ») et par une série de portraits de Saoudiennes inspirantes ayant « surmonté les obstacles pour atteindre leurs rêves ». « Les femmes font partie intégrante de ce marketing de l’ouverture, avec ses spots publicitaires et sa communication officielle. Elles sont instrumentalisées », déplore Myriam Benraad.

Les ONG appellent au boycott 

Un appel au boycott a été lancé par dix-neuf organisations de lutte pour les droits humains. Elles dénoncent une manœuvre hypocrite au regard des droits fondamentaux régulièrement bafoués. « Alors que les téléspectateurs.trices  pourront suivre les joueuses s’affronter pour le titre, les défenseur.e.s des droits des femmes du Royaume croupiront  en prison, sans accès à des recours légaux légitimes. »

Plusieurs militantes féministes sont en effet emprisonnées depuis plusieurs années pour avoir demandé de droit de conduire. « Nous estimons que si l’Arabie saoudite était sincère au sujet des droits des femmes, elle libérerait immédiatement et sans condition toutes les personnes encore détenues pour avoir défendu pacifiquement les droits humains. »

L’appel des ONG a eu peu d’échos chez les joueuses professionnelles, qui voient plutôt les tournois saoudiens comme une manière de  promouvoir le golf féminin. Maha Haddioui, Marocaine et première professionnelle arabe du Ladies European Tour a dit à l’AFP qu’elle était ravie de participer à l’événement et de contribuer à écrire « une nouvelle page de l’histoire saoudienne ». 

Seules deux joueuses se sont désolidarisées : les Anglaises Mel Reid et Meghan MacLaren. La première, qui compte six titres du LET à son actif, a fait son coming-out en 2018 et a  déclaré au magazine américain « Golfweek » ne « pas à être l’aise à l’idée de visiter ce pays », où l’homosexualité est passible de la peine de mort.

De son côté, Meghan MacLaren, meilleure Britannique la saison dernière, avait annoncé en janvier faire l’impasse sur le tournoi saoudien, étant en désaccord avec « la façon dont il est utilisé en Arabie saoudite » : « C’est évidemment un tournoi énorme pour nous, mais pour moi cela dépasse le cadre du golf. Je souhaite que le sport dans son ensemble soit plus attentif aux implications et à ce qui est véritablement bénéfique, avec plus de recul. » 

« Le sexisme, les violences sexistes, la misogynie… rien n’a changé en Arabie saoudite. Il faut des mesures plus fortes pour faire évoluer les mœurs. On est encore loin de l’égalité homme-femme », conclut Myriam Benraad. Le chemin vers l’émancipation des femmes saoudiennes est encore long et sinueux.

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