De l’unisexe au genderfluid, la mode non-binaire se décloisonne

A l’image des débats qui ont lieu dans notre société, la mode mainstream questionne son approche genrée du style depuis quelques années déjà.

En exemple flagrant : la couverture du Vogue US de décembre 2020, où le chanteur Harry Styles arbore fièrement une robe à dentelle. Des personnalités racisées et queer, comme Billy Porter ou Lil Nas X, avaient déjà initié ce changement sur les tapis rouges.

Pour moi c‘est comme l’amour, on ne tombe pas amoureux d’un homme, d’une femme, mais d’une personne. – Calher Delaeter

Et ils continuent de le faire, par exemple avec la robe à épaulette de Billy Porter aux BET Awards le 26 juin.

Cette transgression des codes vestimentaires dits « masculins » se retrouve aussi dans les collections du luxe, avec Kenzo ou Dries Van Noten qui ont habillé leurs modèles masculins en jupe pour la Fashion Week Homme Spring-Summer 2023.

Ces évolutions ne sont que la nouvelle étape d’un processus démarré il y a plusieurs dizaines d’années.

Du féminin-masculin à la mode unisexe

Sans parler de mode officiellement non binaire, des personnes contestent à leur échelle les codes genrés du style depuis longtemps, en commençant par les femmes qui se sont approprié le vestiaire masculin.

En pionnière, on peut évoquer Marlene Dietrich, qui débarque Gare Saint Lazare en 1933 vêtue d’un pantalon (une violation claire de la loi française de l’époque).

Le luxe pérennise cette révolution, avec par exemple Yves Saint Laurent et le smoking de sa collection prêt-à-porter en 1966, une première pour la mode féminine.

Je suis proche de la communauté trans, et en perpétuant une vision binaire du genre, j’aurais l’impression d’être excluante » – Jeanne Friot

À la même époque, le designer Ted Lapidus conceptualise la mode unisexe, avec l’idée d’un uniforme neutre qui réunit les deux genres homme-femme. Un concept repris par de nombreuses marques à partir des années 2000 et fréquent de nos jours.

Mais cette prétendue neutralité reste au final très axée autour d’une esthétique associée au masculin, ce qui en dit long : le vestiaire destiné aux femmes s’est élargi notamment grâce aux influences citées plus haut, mais c’est encore difficilement accepté en Europe de voir des hommes arborer des vêtements perçus comme féminins. Une situation qui a longtemps stagné, mais qui est en train d’être bousculée.

Aujourd’hui, ces limites de la mode dite unisexe sont repoussées par des célébrités et des jeunes consommateur·ices qui se permettent d’explorer librement la palette du style sans se soucier de la question du genre.

Cette nouvelle approche de la mode non genrée, souvent qualifiée de genderfluid, se retrouve également chez des jeunes marques comme Jeanne Friot ou Calher Delaeter, qui dessinent leurs vêtements sans prendre le genre en compte.

« Pour moi c‘est comme l’amour, on ne tombe pas amoureux d’un homme, d’une femme, mais d’une personne. C’est pareil pour le vêtement : on tombe amoureux d’une coupe ou d’un style », affirme la designer, qui a fait sa première présentation officielle sur le calendrier de la Fashion Week le 22 juin.

« On n’est pas un genre toute notre vie, on peut s’amuser et évoluer avec, et c’est comme ça qu’Alonso Calher dessine nos collections » ajoute Théophile Delaeter.

La mode genderfluid, une sortie définitive de la binarité ? 

Si cette éradication du genre des vêtements est embrassée par des célébrités cis (dont le genre assigné à la naissance correspond à leur identité) comme Harry Styles et Billy Porter, il semble important de rappeler qu’elle a été largement portée par les personnes transgenres, non-binaires et agenres.

Car la fluidité de genre est avant tout une identité de personnes, dont l’influence -selon les études, 3 à 5% des membres de la Gen Z se considèrent non binaires- touche aujourd’hui des industries comme celle de la mode.

C’est aussi une revendication de la Gen Z que la fluidité du genre soit normalisée. – Alonso Calher

Une réalité dont les jeunes créateu·rices ont bien conscience, et qui influence leur approche : il ne s’agit pas que de laisser les hommes ou les femmes s’habiller comme iels veulent, mais de créer une mode qui représente les personnes qui ne s’identifient ni à l’un ni à l’autre.

« Je suis proche de la communauté trans, et en perpétuant une vision binaire du genre, j’aurais l’impression d’être excluante », résume Jeanne Friot.

Une approche parfois compliquée à faire accepter : « C’était un processus très lent, puis il y a eu un boom récemment avec le début de l’acceptation des personnes trans et drag. C’est aussi une revendication de la Gen Z que la fluidité du genre soit normalisée, donc ça pousse la mode à accepter plus d’inclusivité », observe Alonso Calher.

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La mode non binaire en est là aujourd’hui, entre des marques encore concentrées sur une approche unisexe et des jeunes créateur·ices genderfluid, qui veulent pousser jusqu’au bout la démarche d’émancipation du genre.

Mais pour le moment, iels sont encore peu nombreu·x·ses, car comme l’explique Théophile Delaeter : « Les marques ont peur de perdre des clients sur des sujets aussi militants, car en France il y a encore beaucoup de gens qui s’opposent à la fluidité de genre ».

Reste à savoir comment à quel point ces changements vestimentaires vont affecter nos regards sur les questions de genre.

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