TEMOIGNAGE. "On nous a ordonné de rester dans les cabines alors que le bateau coulait !"

Le 16 avril 2014, Jang Ae-Jin a survécu au naufrage du Sewol, un ferry sur lequel 325 lycéens comme elle avaient embarqué. Depuis la Corée, elle nous raconte l’inimaginable, que relate le magazine Billet retour avec La Tragédie du Sewol, dimanche 13 juin, à 22 h 10, sur France 24.

Télé Star : En 2014, vous étiez lycéenne. Pourquoi aviez-vous pris place sur le Sewol ?

Jang Ae-Jin : Avec les élèves de mon lycée, je participais à une sortie scolaire vers l’île de Jeju, au large de la Corée. Le 15 avril, nous attendions de pouvoir embarquer sur le ferry, sans certitude car le temps était très brumeux et cela compromettait nos chances de partir. Et puis finalement, vers 21 h, le Sewol a quitté le port. Le voyage devait durer deux jours et une nuit.

Le lendemain matin, vers 9 h, pour des raisons encore inconnues, le bateau a brutalement changé de cap. C’est probablement cette manœuvre qui a déséquilibré la cargaison du ferry (150 voitures, 657 tonnes de fret, ndlr) et entraîné sa bascule jusqu’au naufrage. Quand vous êtes-vous aperçue de ce qui se passait ?

On prenait le petit-déjeuner et on a vu la soupe s’incliner dans nos bols ! On a trouvé ça bizarre, on en a même ri mais on n’était pas inquiètes (les filles et les garçons étaient installés chacun à un bout du 3e pont, ndlr). On ne pensait pas qu’un ferry aussi énorme puisse couler. L’une de mes amies a vu sur son téléphone une alerte info : un média annonçait que le Sewol était en train de couler ! C’est comme cela qu’on a compris ce qui se passait.

À ce moment-là, quels sont les ordres du capitaine ?

J’ai entendu un membre d’équipage relayer l’ordre pour tous les passagers de rester dans les cabines. C’est ce qu’on a fait, sans discuter. On était dans une situation paradoxale. On ne comprenait pas la gravité de ce qu’on vivait. On pensait que si on respectait les consignes, on serait plus facilement évacuées… En Corée, obéir fait partie de l’éducation, on y est incités sans arrêt, à la télévision, à l’école, à la maison…

Il n’y a pas eu de mouvement de panique ?

Non, pas au début. On a enfilé un gilet de sauvetage et on a attendu qu’on vienne nous chercher. Certaines filles ont pleuré mais dans l’ensemble, personne ne paniquait. Et puis soudain l’électricité s’est coupée, les haut-parleurs se sont tus et l’eau a afflué, avec de plus en plus de pression. Je me rappelle être montée sur une étagère. Le bateau s’est incliné à la verticale. On a entendu les premiers cris et là, on n’a pas eu d’autre choix que de fuir vers la sortie de secours. Sur le pont supérieur, on a aperçu les gardes-côtes au loin. Ils n’essayaient pas de nous secourir, ils nous disaient de sauter dans la mer mais on avait peur… Et puis une grosse vague est arrivée et on a sauté toutes ensemble…(Silence.) On n’a pas été secourues, juste récupérées. On s’est sauvées nous-mêmes. Si on avait attendu l’évacuation, on serait mortes, comme les 304 autres victimes.

Vous avez perdu des amis chers dans ce drame ?

Oui, deux amies très proches. Cette tragédie a changé ma vie. Avant le Sewol, je voulais devenir assistante maternelle, mais après, j’ai décidé de me former au secourisme et je travaille aujourd’hui dans un service d’urgences.

Les secours ont clairement été défaillants, le capitaine a quitté le ferry alors que les passagers étaient coincés dans les cabines… Les responsables ont-ils été jugés ?

Seul le capitaine a été condamné à la prison à perpétuité. Aucune enquête n’a été menée à son terme. Et nous, survivants et parents de victimes, nous battons pour que la vérité soit faite sur les circonstances de ce drame.

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