Récits intimes de couples en visite chez le sexologue
Parce que la porte est close et qu’on y parle de sexe, les consultations chez un sexologue suscitent parfois des fantasmes. Qu’allait-on entendre dans ces conversations secrètes ? Quelles déviations improbables ? Quels scénarios échevelés ? Rien de tout ça.
Claire, 31 ans, croisée dans la salle d’attente du Dr Gérard Tixier, psychiatre spécialisé en sexologie, pensait, elle aussi, qu’un sexologue était un médecin du plaisir, de la jouissance, du fantasme, une sorte de conseiller particulier. Elle a compris que non. Si elle s’est adressée à un spécialiste, c’est parce qu’elle n’arrivait plus à faire l’amour avec l’homme qu’elle aime, et qu’elle ne peut plus vivre sans faire l’amour. Depuis qu’elle a décidé de se marier et d’avoir des enfants avec Tom, la pénétration est devenue pour elle un vrai supplice, sans cause clinique. Alors, elle cherche des raisons plus profondes.
Dans l’intimité du bureau du Dr Tixier, à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil où il a accepté de nous accueillir, le plus frappant est la détresse. Les patients, en majorité, ont dépassé la quarantaine. Les plus jeunes consultent plutôt en cabinet privé. Les hommes, les femmes, les couples qui viennent ici sont dans une impasse, ils souffrent. Faire l’amour, qui peut paraître si naturel, si évident, ne l’est pas, ou plus, pour eux.
Plusieurs vendredis – jour où il reçoit –, nous les avons écoutés raconter leur désir et leur plaisir perdus. Il est rarement question d’autre chose. Ce n’est pas une consultation de confort, on n’y pratique pas des exercices, on ne compte pas les galipettes. Il y a, chez tous, une nécessité à venir. Dans son petit bureau blanc, le Dr Tixier écoute, prescrit parfois, peut proposer un travail plus long (une sexothérapie) en cabinet privé.
Extraits choisis des petites et grandes misères de la sexualité ordinaire.
Philippe*, 45 ans : « j’ai eu ma première panne sexuelle »
Le premier à entrer s’appelle Philippe. Il a 45ans. Il entre parka et sac à dos noirs, s’assied, humble, et s’élance dans un souffle. « Je viens vous voir pour un problème récent de panne sexuelle avec ma compagne, avec qui je vis qui depuis vingt-cinq ans. C’est la première fois. C’est sûrement dû à un état de dépression. Je souhaiterais trouver une solution pour régler ce problème et pour ma cyclothymie, qui brouille ma relation avec mes enfants et ma compagne. Je souhaite ardemment garder leur amour et faire tout ce qui est nécessaire pour me rendre plus rassurant et plus aimant avec eux ».
Le médecin prend alors le temps de comprendre :
– « Les pannes, c’est depuis combien de temps ?
– Depuis un mois.
– Sinon c’est comment, sexuellement, avec votre femme ?
– C’est l’harmonie. Je n’ai aucune frustration. Je suis excité par ma femme. Quand il m’arrive de me masturber, c’est en pensant à elle. Je ne suis pas un chaud lapin, mais j’accorde une importance primordiale au sexe. Je suis très tatillon là-dessus. On essaie de pimenter, d’être à l’écoute de l’autre. Je n’arrive pas à compenser ce manque de sexualité par de la tendresse. C’est une langue que je parle mal, et je m’en blâme.
– Il s’est passé quelque chose, dernièrement ?
– J’ai des problèmes économiques, professionnels, qui me mettent la tête dans le sable et m’assomment ».
Philippe souhaite alors « s’en sortir », il fait confiance au Dr Tixier pour la méthode, que ce soit pour les symptômes d’une part et pour le travail de fond, s’il y a, d’autres part. Sa femme est très présente et à l’écoute. Elle lui répète qu’elle sera « toujours là ». Il repense alors à un jour où ils ont fait l’amour récemment, dans la salle de bain. « J’ai bandé, je suis arrivé à entrer en elle, mais pas à éjaculer », confie-t-il. Une situation qu’il a mal vécu. « Mon père a eu des problèmes de prostate, j’ai pensé à une maladie », ajoute Philippe.
– « Vous avez dramatisé les choses
– Je suis pessimiste de nature »
La semaine suivante, Philippe a entamé une thérapie en consultation privée.
Brigitte*, 44 ans: « Je n’ai aucun désir. Je suis plus axée sur la tendresse »
Du rouge bordeaux sur les lèvres, les cheveux lisses, une voix tremble un peu, Brigitte 44 ans dit venir car elle a envie d’en savoir plus sur elle. « Je n’ai pas de sexualité et ça ne me manque pas. Je n’ai aucun désir, pas de besoin. Je suis plus axée sur la tendresse. En fait, j’ai plus d’attirance pour les femmes. Surtout, je veux ne jamais être humiliée. J’ai eu un père violent, qui me frappait et me trouvait tous les défauts. Si je sens la moindre humiliation, je fuis. Les hommes me ramènent à cela », lance-t-elle en préambule, un peu hagarde.
Intrigué, le médecin tente d’en savoir plus :
– « N’y a-t-il pas des partenaires qui vous aient fait changer d’avis ?
– Non. Je suis souvent allée avec des hommes âgés. Ce n’était pas sexuel, ni physique. Je voulais une protection, une épaule pour me reposer un peu.
– Sexuellement, ils étaient quand même demandeurs ?
– Oui. Et ça finit par me lasser. Ils sont obsédés. Si j’ai un souci et qu’ils ne m’écoutent pas, ça m’insupporte. Un jour, un mec m’a dit : “Tu fais un striptease de larmes…” Aujourd’hui, je suis blindée. J’ai toujours eu le sentiment que la tendresse c’était les femmes, et la pénétration, les hommes.
– Vous avez eu plusieurs partenaires. Et maintenant ?
– Quand j’ai su qu’il y avait Meetic au féminin, je me suis inscrite et j’ai rencontré des femmes pas mal. Je n’ai pas forcément beaucoup de jouissance, je suis un peu frigide sur les bords.
Sauf que, quand on s’absout des injonctions sexistes, on sait que la frigidité n’existe pas. Brigitte poursuit en expliquant que son désir, quand il est présent, se porte plus volontiers sur les femmes et que question plaisir, elle s’est peut-être « trop » masturbée, rendant la pratique moins excitante.
« On ne peut pas dire que vous soyez satisfaite de votre vie sexuelle », rétorque alors le Dr Tixier. Brigitte qui disait jusqu’alors ne pas aimer le sexe, admet qu’elle ressent finalement un manque mais qu’elle s’est mis des barrières. Elle confie alors au médecin souffrir de solitude et pas qu’au niveau sexuel.
La consultation se termine ainsi et le Dr Tixier propose alors à Brigitte de la suivre et de la revoir la semaine prochaine. Elle accepte, avec espoir.
David*, 60 ans : « on n’a pas eu de rapport depuis deux mois »
Les cheveux gris peignés en arrière, bijoux en or, en chemise et veste, David, 60 ans, entre et s’assied. « Mon problème, c’est un manque de libido. Je peux rester pendant deux mois sans rien faire. Ça fait plusieurs années que j’enchaîne ces périodes de disette », lance-t-il. Marié depuis 40 ans, et fidèle à sa femme, Diavid vient consulter car, si le sexe ne lui manque pas vraiment, ce n’est pas la même chose pour sa femme.
Le médecin remonte aux sources de cette scission.
– « Quels ont été les premiers signes ?
– Ça s’est espacé, tout simplement… J’ai eu de moins en moins de désir. Mais je n’ai jamais dit que ma femme était moins désirable.
– Vous vous êtes dit quoi ?
– Que ce n’était pas normal. J’avais 45 ans quand ça a commencé. Je pensais que j’étais fatigué, à cause du travail. Je n’ai pas cherché à voir plus loin.
– Elle est à bout, votre femme, non ?
– Ces derniers temps, oui. Elle est sur les nerfs.
– Sans votre femme, vous auriez fait une croix sur votre sexualité ?
– Oui. »
Le Dr Tixier décide alors de lui prescrire un bilan hormonal (car David souffre de diabète, de cholestérol et d’hypertension) et lui propose de revenir avec sa femme, Agnès. Ce qu’il fait la semaine suivante pour une consultation. Unis, ils s’assoient côte à côte, face au docteur. Agnès est une petite femme fine et vive, avec une coupe au carré noire. Le médecin décide alors de questionner la femme de David.
« – Madame, qu’avez-vous constaté ?
– J’ai constaté qu’il n’avait jamais envie. Cela fait maintenant bien dix ans.
– (Le docteur, à David) Quand avez-vous eu du désir ? »
Agnès éclate de rire. « Il cherche, le pauvre, il est embêté… », lâche-t-elle. Elle admet alors être assez affectée par ce qui se passe. « J’estime qu’on est encore jeunes, et ça fait partie de la vie. On est ensemble pour le pire et le meilleur. Avant, dès qu’il me regardait, ça montait tout de suite », se souvient-elle. Agnès et David se sont connus alors qu’ils avaient 20 ans, et leurs premiers émois étaient assez… explosifs. Il faisaient l’amour jusqu’à 6 ou 7 fois par nuit, puis la fréquence s’est étiolée. Au fil du temps, ils ne couchaient ensemble qu’une fois par semaine, le week-end.
« Aujourd’hui, si je le laisse tranquille, il peut s’en passer. Mais on ne va pas rester comme ça, on n’est pas frère et sœur ! On a 60 ans, il y a des gens de 80 ans qui ont des rapports ! Ça lui fait mal que je le dise. Je le touche dans sa virilité. Une fois qu’on est dans l’acte, il est content, mais je n’ai pas tout le temps envie d’aller le chercher », poursuit alors Agnès.
Sans affirmer que la cause n’est que physiologique, le Dr Tixier explique alors au couple que le taux de testostérone de David est faible, probablement du fait de ses traitements. Et l’envie vient (en partie) des hormones, ceci expliquerait peut-être cela. David accepte alors de suivre une supplémentation en testostérone, pour voir.
« Tu te rends compte qu’on n’a pas eu de rapport depuis deux mois ? J’en parle car c’est un problème. Il faut appuyer là où ça fait mal, sinon tu n’as pas de réaction », lance en partant Agnès. Ils repartent donc avec une ordonnance pour David.
« Les femmes sont souvent les instigatrices des consultations, même si on ne voit d’abord que l’homme », explique le Dr Tixier, après leur départ.
Anne-Lise*, 63 ans : « je n’arrive pas à atteindre l’orgasme »
Élégante, vêtue tout de beige, ongles taupe glacé, Anne-Lise*, 63 ans, entre dans le bureau, comme surprise de se trouver là et revigorée par son audace. « C’est une amie qui m’a conseillé de venir vous voir. Sans elle, je serais restée dans mon coin, vu mon âge. J’ai 63 ans. Les seules fois où j’ai connu la jouissance, c’était en me masturbant. Jamais avec un homme. Ce matin, j’ai eu une relation avec mon mari, ça m’excite, mais je n’arrive pas à atteindre l’orgasme. Je ne suis jamais satisfaite », débute-t-elle.
Le Dr Tixier cherche alors le fond du problème :
– « Vous avez du désir ?
– Plutôt de l’affection que du désir. Je me suis mariée car mon mari est très tendre, très gentil, très serviable. Il s’imagine qu’il me donne tout à fait satisfaction et je ne veux pas lui faire de la peine. Il est très “clitoridien”. Quand j’ai un petit soubresaut, il me dit : “Oh, là tu as beaucoup joui.” Mais il ne se passe rien. Comme dirait Brassens : neuf fois sur dix, la femme s’ennuie en baisant.
– Qu’est-ce qui vous décide à venir consulter ?
– On ne sait jamais, le miracle ! Je sens que je pourrais arriver à avoir du plaisir.
– La pénétration vous en procure ?
– Non. Lui, c’est la langue. La pénétration ne l’intéresse pas. Et je ne suis pas trop demandeuse, car je trouve déjà le temps long ».
Pourtant son mari semble prendre du plaisir, sans pénétration donc. Elle l’aide parfois à atteindre l’orgasme et elle, reste sur sa faim. Le souci, c’est qu’il est très demandeur et qu’Anne-Lise, sans plaisir, a du mal à suivre. Elle se rappelle alors les prémices de sa vie sexuelle, de sa première fois qui ne s’était pas très bien passé. Puis le Dr Tixier lui propose de tester un traitement, pour redoubler de plaisir. Elle accepte, un peu songeuse. « Ça agit dans les vingt-quatre à quarante-huit heures. Mais il y a quand même quelque chose qui vous freine dans votre vie sexuelle, ce n’est pas uniquement le manque de rencontres », lui explique le médecin.
Anne-Lise ne semble pas d’accord. Et repart ravie du médicament. Rêveuse d’un homme tombé du ciel ?
Le Dr Tixier, en aparté, sourit alors. “Un homme clitoridien”, je ne l’avais jamais entendue celle-là ! », souffle-t-il.
- Sexe : printemps confiné, été libéré ?
- Sans sexe, le couple peut-il survivre ?
(*) Les prénoms ont été modifiés.
Témoignages publiés initialement dans le magazine Marie Claire, en février 2012, réédités en juillet 2020 – Auteure initiale du dossier, Marianne Mairesse.
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