Qui est Rosie la Riveteuse, proclamée icône féministe mondiale ?

Un bandana à pois, un bleu de travail, un bras levé, surplombé du slogan : « We can do it ! » (« On peut le faire »). Il s’agit bien de Rosie la Riveteuse ou Rosie the Riveter. Depuis les années 80, placardée sur des posters, marques-pages, tasse à café ou même t-shirt, elle fait partie du paysage tel un un symbole, anonyme, de la lutte pour les droits des femmes.

À l’origine, la figure de Rosie la Riveteuse n’a pourtant pas été imaginée pour porter un tel combat. Outil de propagande élaboré en 1943, Rosie devait surtout inciter les femmes à… participer à l’effort de guerre. 

Les origines de Rosie la Riveteuse : une Américaine patriote

En 1943, alors que la majorité des hommes sont partis au front de la deuxième guerre mondiale, les femmes sont mobilisées pour les remplacer, armer la nation et continuer à faire tourner l’économie du pays. C’est dans ce contexte que le l’artiste Howard Miller se voit commander une affiche par le « Comité de coordination de la production de guerre » interne d’une usine américaine, la Westinghouse Electric Manufacturing Company.

Pour motiver les femmes à travailler et afin lutter contre l’absentéisme, l’usine située en Pennsylvanie joue la carte de la propagande. C’est la première fois qu’apparait Rosie la Riveteuse, sur son fond jaune vif. Mais la manoeuvre ne porte pas ses fruits. L’affiche restera placardée deux petites semaines dans les environs, entre le 15 février et le 28 février 1943.

D’après La Véritable Histoire de Rosie la riveteuse, écrit par Mathieu Nocent et Catherine Mallaval en 2019, l’affiche aurait été conservée pendant des décennies dans un musée national américain.

C’est ce que leur confie Penny Colman, auteure du livre Rosie The Riveter : Women Working on the Home Front in World War II : « Charles Ruch, un archiviste et historien employé à la Westinghouse Electric Manufacturing Company, m’a raconté que le patron de la société à l’époque avait confié l’affiche aux Archives nationales américaines lorsqu’il a déménagé à Washington et qu’il y est devenu consultant ».

Transformée en icône féministe dans les années 1980

Ce n’est que 40 ans après sa création que Rosie la Riveteuse entamera sa carrière d’icône féministe dans le monde. C’est en 1984, par hasard, qu’elle fait son grand retour et ne quittera plus l’imaginaire collectif.

En 1984 donc, Tom Fortunato, alors directeur des ventes de la boutique des Archives nationales américaines, engage le musée dans une nouvelle dynamique économique : monétiser leur collection d’affiches. Parmi elles, se trouvent Rosie la Riveteuse.

Comme le raconte Mathieu Nocent et Catherine Mallaval dans leur livre, il semblerait que la HVP (Helaine Victoria Press) fondée en 1973 par deux femmes, Jocelyn Helaine Cohen et Nancy Victoria Taylor Poore, soit à l’origine de la diffusion de l’affiche, après l’avoir récupérée au musée.

Sous forme de carte postale, elles diffusent Rosie la Riveteuse en 1985, en la légendant pour la première fois avec un message à la portée féministe : « Elle [la légende] rappelle que 20 millions de femmes ont travaillé pendant la Seconde Guerre mondiale, 6,5 millions d’entre elles pour la première fois. Que le gouvernement américain a alors encouragé, par la voie d’images de propagande, le travail féminin pour finalement, après la fin de la guerre et en utilisant les mêmes méthodes, les pousser à retourner dans leurs foyers », explique-t-on dans La Véritable Histoire de Rosie la riveteuse.

Rosie la Riveteuse, son poing levé et son slogan « We can do it ! » se propagent un peu partout dans les mouvements féministes émergents du monde. Elle séduit par la force qu’elle insuffle le poing levé, ainsi que grâce à son slogan fédérateur qui parle à une génération de femmes qui lutte pour leur émancipation.

Son attitude semble dire : « je prends mon destin en main, je suis une femme forte et indépendante, rien ne m’arrête ». À l’heure des manifestations où l’on brandit des pancartes comme celles du Planning Familial où est écrit « Un enfant, si je veux, quand je veux », Rosie la Riveteuse se joint à la lutte. 

C’est la première image de femme représentée dans des manifs

Danielle Bousquet, ancienne députée PS, se rappelle dans le livre de Catherine Mallaval et Mathieu Nocent : « Rosie, c’est différent. Elle donne envie de la suivre. Et c’est la première image de femme représentée dans des manifs. »

Objet de pop culture

Une fois l’affiche popularisée, presque aucun mouvement féministe n’échappe à Rosie la Riveteuse. Encore aujourd’hui son image et son message sont constamment réutilisés dans les mouvements féministes à travers le globe. 

C’est le cas par exemple en Iran où l’on utilise Rosie la Riveteuse pour réclamer les droits des femmes, en Éthiopie alors qu’elles sont nombreuses à demander la fin des violences sexuelles, ou encore en France où pancartes et déguisements ont envahi les manifestations du mouvement #MeeToo depuis 2018. 

Elle est aussi devenue une icône pop. De nombreuses personnalités se sont appropriées son image, pour le plus grand plaisir de leurs fans. En 2010, Pink sort son clip Raise your glass. Elle apparait à l’effigie de Rosie la Riveteuse : bandana à poids, cheveux relevés, chemise, regard déterminé et enfin, poing levé.

Un clin d’oeil presque aussi explicite que celui de Beyonce, devenu incontournable. La pop star américaine a repris à la couleur prêt l’affiche de Rosie la Riveteuse, en 2014. Seul détail qui change ? À la place de Rosie, c’est une femme noire puissante au sommet de son art.

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Dans le même style, slogan en moins, c’est Kendal Jenner qui s’est prêtée au jeu en 2016. Alors en pleine année électorale, la jeune mannequin a usé de son influence et celle de Rosie la Riveteuse pour inciter les jeunes et les femmes à voter, lors de la campagne électorale Rock the Vote. 

Une figure du male gaze contre le sexisme

Pourtant, à bien y regarder de prêt, si l’on s’attarde sur les détails, l’influence patriarcale de l’époque et son male gaze ne sont pas difficiles à repérer sur le célèbre dessin.

Bien qu’elle affiche une attitude et un regard conquérants, Rosie la Riveteuse reste l’image parfaite de la femme blanche propre sur elle et séduisante. À la maison ou à l’usine, Rosie représentait la femme des années 1940 : visage frais, (pas de place à la crasse et à la sueur même s’il s’agit de travailler à l’usine…), rouge à lèvre et vernis discret, et des cils… très très longs !

L’affiche placardée dans les usines invite non seulement les femmes à travailler mais leur intime l’ordre implicite de le faire en conservant les attributs de la féminité qui sont attendus de leur part. Anne-Cécile Mailfert, ancienne présidente d’Osez le féminisme ! confie dans le livre La véritable histoire de Rosie la riveteuse : itinéraire féministe : « Cette image a nourri mon féminisme. Mais son origine, en lien avec la guerre, me met mal à l’aise ».

Rosie la Riveteuse, inspirée d’une vraie travailleuse ?

Autre information longtemps méconnue ayant donné lieu à diverses spéculations durant des années : l’identité de Rosie la Riveteuse. 

Si aucun nom n’est assimilé à l’affiche originale, une photo de 1942, prise par un photographe de l’agence United Press International (UPI) montrant jeune femme travaillant sur une machine, foulard rouge pour retenir ses cheveux et une combinaison de travail, met la puce à l’oreille de divers observateurs. De là à imaginer que cette photo a inspiré l’artiste Howard Miller pour dessiner l’affiche de Rosie, il n’y a qu’un pas.

En 1984, une certaine Geraldine Doyle, 60 ans, découvre elle aussi cette photo de guerre, publiée dans le magazine Modern Maturity. Elle s’y s’identifie. Et quand 10 ans plus tard, Smithsonian Magazine met en couverture l’affiche d’Howard Miller, la ressemblance saute aux yeux de Geraldine Doyle : elle en est persaudée, Rosier, c’est elle !

Les médias s’emparent de sa découverte et elle devient officiellement la Rosie the Riveter de Howard Miller. Une histoire reprise en boucle, sans réelle vérification toutefois. Cette dernière décède en décembre 2010. De nombreux journaux, comme le New York Times, titrent ainsi sa mort : « Geraldine Doyle, le visage iconique de la Seconde Guerre mondiale, meurt à 86 ans ». 

C’est finalement une enquête publiée en 2016 par James Kimble qui rétablira l’identité de la femme sur la photo dans laquelle Geraldine Doyle pensait s’être reconnue. Après des mois de recherche, il retrouve la photo originale où la légende indique qu’elle a été prise le 24 mars 1942 à Alameda (Californie). Et bingo, le nom du modèle est aussi indiqué. Il s’agit d’une certaine Naomi Parker. Il découvre alors qu’elle est encore en vie, a 93 ans et s’appelle maintenant Fraley. 

Naomi est née en 1921. Quand les États-Unis entrent en guerre, elle et sa jeune soeur rejoignent la base aéronavale de leur ville où elles travaillent dans les ateliers d’usinage de l’US Navy, la marine américaine. Lieu où la photo a été prise. 

Restaurer l’identité de Naomi Parker est devenu une mission personnelle pour James Kimble, plus qu’une simple publication ou une simple thèse. « Quand je les ai rencontrées, Naomi et sa sœur savaient toutes deux qu’une autre personne, Geraldine Doyle, était associée à la photo de 1942. Naomi avait essayé de corriger cette erreur, mais personne ne l’avait écoutée. Et elle s’était sentie impuissante », se souvient-il.

Mission réussie, en 2016 est publié son enquête Rosie’s Secret Identity, rétablissant la vérité sur l’identité de la jeune femme sur la photo. Reste que rien ne permet d’affirmer que la photo de Naomi Parker a bel et bien inspiré l’affiche d’Howard Miller !

Pour se souvenir de l’effort de guerre des femmes, des « Rosie », le sénat américain a voté en 2017 une résolution faisant du 21 mars le National Rosie the Riveter Day (le mois de mars est le mois des femmes aux États-Unis, durant lequel on célèbre notamment le rôle des femmes dans l’histoire américaine).

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