Marie-Hélène de Taillac : "Chaque bijou fini est un petit miracle"

Interview.-  Il y a plus de vingt ans, elle faisait découvrir aux femmes un arc-en-ciel de gemmes taillées et montées en Inde. Alors qu’elle consacre un livre à ses collections, la créatrice raconte son parcours entre Paris et Jaipur.

De notre envoyée spéciale à Jaipur. Elle nous reçoit là où tout a commencé, en 1996, dans un atelier du Gem Palace à Jaipur. C’est dans ce lieu mythique, qui fournit depuis plus d’un siècle et demi les maharajahs et les grandes familles indiennes en parures extravagantes, qu’elle chahute alors une joaillerie parisienne un brin compassée. Elle y fait fabriquer ses bijoux aux mille couleurs, sertis de pierres dites « semi-précieuses » (expression désormais interdite par la loi), d’une gaieté envoûtante. Ses bagues XL en tourmalines, ses boucles d’oreilles et colliers sertis de briolettes multicolores, ses joncs en or brossé piqués de rubellites ou de spinelles ont leurs inconditionnelles à Paris, New York et Tokyo. Cette voyageuse, qui a grandi à Tripoli puis au Liban et en Syrie au gré des affectations d’un père travaillant dans le pétrole, partage aujourd’hui sa vie entre Paris et Jaipur et chérit sa liberté et son indépendance. Entretien à sa table de travail couverte de pierres vibrantes.

Le Figaro.- Pourquoi publier aujourd’hui ce livre ?
Marie-Hélène de Taillac.- Depuis vingt-trois ans que j’imagine et fais fabriquer des bijoux, je pensais qu’il était intéressant de montrer l’évolution de mes créations, de replacer les choses dans le temps. Vingt ans, c’est plus qu’une génération. Mes plus jeunes clientes pensent que les pierres de couleur ont toujours existé en bijou alors qu’elles étaient rares avant que je me lance. Avec cet ouvrage, mon équipe voulait rappeler que j’étais une des premières à les utiliser. Depuis, l’engouement pour ces gemmes a été énorme, les tourmalines d’ailleurs sont devenues très chères, ce qui n’était pas le cas il y a vingt ans. Ce livre s’adresse aussi à mes clientes, parmi lesquelles beaucoup de collectionneuses, et finit sur un catalogue raisonné, car une grande partie des bijoux que je fabrique sont des pièces uniques vues par peu de personnes.

D’où vient votre passion pour les bijoux ?
J’ai toujours été attirée par les pierres. La Vallée des rubis de Kessel était mon livre préféré, adolescente. Plus jeune encore, j’étais également fascinée par le trésor du shah d’Iran dont on m’avait rapporté des cartes postales. J’avais 6 ans, et je connaissais chaque pièce de cette collection par cœur. À 18 ans, je rêvais de suivre une formation au GIA (Gemological Institute of America) à New York, mais je ne parlais pas assez bien anglais. Je suis donc d’abord partie à Londres. Là, dans l’excitation des eighties, j’ai commencé à travailler pour Butler & Wilson, marque de bijoux fantaisie au succès fou. J’ai enchaîné chez le joaillier Dinny Hall, avant de bifurquer vers la mode, notamment chez Philip Treacy, le chapelier de la reine. Le regarder faire – entouré de personnalités géniales comme sa meilleure amie Isabella Blow et Alexander McQueen – m’a appris qu’il fallait travailler avec passion. Je l’ai suivi pour un défilé au Japon et, finalement, je suis restée en Asie une année sabbatique. Passionnée par l’artisanat, je suis partie à la découverte des différentes techniques. Après le Japon, Bali, la Thaïlande, je me suis arrêtée en Inde, à Jaipur.

Et vous y êtes restée…
En visitant le Gem Palace, la qualité de l’artisanat, et le travail de la taille des pierres, m’ont touchée. J’ai rencontré son dirigeant, Munnu Kasliwal, qui signait des bijoux traditionnels indiens incroyables mais avait envie de choses différentes. J’ai d’abord fait avec lui une bague, entièrement taillée dans la pierre, commandée par un couple d’amis, qui a beaucoup plu. J’ai poursuivi avec une collection en or jaune et pierres de couleur présentée à Paris en 1996, dans une vitrine à côté des cachemires de mon copain Lucien Pellat-Finet. Le grand magasin new-yorkais Barneys a été le premier à passer une grosse commande, suivi par Browns à Londres. Quelques mois plus tard, en mars 1997, j’étais vendu à Paris chez Colette qui venait d’ouvrir. Dès la première saison, une de mes boucles d’oreilles a fait la Une de Vogue US.

Celle qui fit découvrir les pierres de couleur aux Françaises

Bagues Cabochon (1997).

Bagues Gabrielle (2017).

Boucles d’oreilles Trompette (1997), créoles Mille et Une Nuits (2002) et boucles d’oreilles Infini (2002).

Bracelets Punky (1998).

Quel genre de bijoux vouliez-vous proposer ?
J’aimais beaucoup la mode épurée de Jil Sander, de Miu Miu. Et il n’y avait pas d’équivalent en bijoux, sauf peut-être Jean Dinh Van en France et Elsa Peretti aux États-Unis qui ne travaillaient pas les gemmes de couleur. À cette époque, seules les quatre pierres précieuses – diamants, rubis, émeraudes et saphirs – étaient considérées, et elles étaient toujours montées de façon très classique. Moi, je ne voulais pas porter et fabriquer des bijoux qui ressemblent à ceux de ma grand-mère. En Inde, tout était possible, et l’offre des pierres et des tailles était très vaste. Je voulais donner accès à ce monde méconnu. J’ai demandé à Munnu de tailler en briolettes (gouttes facettées, NDLR) des tourmalines, ce qui ne se faisait pas en Europe. Personne n’avait une approche de la pierre aussi désinvolte, gaie. Ça a très bien marché au Japon qui n’a pas de tradition du bijou. Mes bagues, bracelets et boucles d’oreilles étaient, et restent, imaginés par une femme pour des femmes, qui se les achètent elles-mêmes – ce qui était très nouveau alors – à l’opposé des bijoux que les hommes offrent pour montrer leur réussite sociale.

Depuis toutes ces années, fabriquez-vous toujours en Inde ?
Oui, et cela ne pourrait pas être autrement. J’aime qu’on voie le travail de la main, des artisans. Ils donnent vie à une pierre qui, au début, ressemble à un caillou de couleur. Chaque bijou fini est un petit miracle qui survient à la fin d’un long processus. Les Indiens sont très méticuleux, ils ont un proverbe qui dit que «la peau voit» : le bijou doit être aussi beau à l’envers qu’à l’endroit.

Quelles qualités un bijou doit-il posséder ?
Une seule : faire plaisir ! J’imagine des collections très personnelles que je voudrais porter moi-même ou voir portées par mon entourage. Je n’essaie pas de plaire, et il n’y a pas de service marketing pour me dire quoi faire en fonction des tendances.

Si vous deviez garder deux bijoux, lesquels seraient-ils ?
Difficile… Je crois que je garderais ma bague Princesse en or jaune simplement sertie d’une tourmaline Paraiba, car c’est une des plus belles pierres que je possède, et mon bracelet Punky avec ses clous en or que je porte tout le temps. Son design date de la fin des années 1990, je l’ai dessiné en hommage aux années Palace. Inutile de «sauver» ma première bague, la Cabochon, en 1997, car elle est conservée au musée des Arts déco depuis quelques années. Un grand honneur.

Source: Lire L’Article Complet