La mélancolie féconde d’Hafsia Herzi
Entourée d’une “bande d’âmes dévouées”, l’actrice réalise "Tu mérites un amour", en salle ccce mercredi 11 septembre. Un premier film indépendant où son regard aquarelle sur le chagrin d’amour, cet “état incontrôlable”, touche au cœur.
C’était il y a plus de dix ans, en 2007 : Hafsia Herzi, actrice inconnue de 20 ans, s’impose avec fougue dans le troisième long métrage d’Abdellatif Kechiche, La graine et le mulet. Sa présence abrasive à l’écran en fait la nouvelle jeune muse du cinéma français, et lui permet de décrocher dans la foulée le césar du meilleur espoir féminin.
Depuis, la comédienne a enchaîné les rôles (Le roi de l’évasion, Sex doll…) tout en sentant qu’une part d’elle-même restait inexprimée.
« Ça me rongeait depuis des années »
« J’avais envie d’évoluer dans le métier. En tant que femme et artiste. Je me disais : ‘Tu ne dois plus dépendre du désir des autres, prends les choses en main et va au bout de tes rêves.’ Ça me rongeait depuis des années, et puis je me suis réveillée un matin et j’ai pensé : ‘C’est maintenant.' »
Elle se lance alors dans un projet de réalisation comme on se jette à l’eau, sans bouée et sans argent .
Tu mérites un amour est un film autoproduit, tourné au petit bonheur la chance grâce à une bande d’âmes dévouées et pleines de bonne volonté. Entrave pour certains, Hafsia voit au contraire dans le manque de moyens « une quête de liberté », car, dit-elle, « on reste libre de ses choix, sans avoir quelqu’un derrière qui vous dit quoi faire ».
Comme un voile au fond des yeux
De ce défi personnel, elle a tiré un saisissant portrait de jeune femme qui multiplie les aventures pour oublier une peine de cœur. « C’est rare d’être heureux en amour. Le chagrin d’amour est un vrai questionnement, profond. Pourquoi est-on capable de se rendre malade pour quelqu’un, de perdre confiance en soi, d’être malheureux comme jamais ? C’est comme un deuil. Et on a honte de cet état-là, parce qu’il s’agit d’un état incontrôlable. »
J’aime la mélancolie, je trouve ça beau.
La mélancolie de son film existe chez Hafsia Herzi, comme un voile au fond des yeux. On le lui dit et elle reconnaît cette particularité : « Depuis que je suis petite, on me dit que j’ai l’air triste. Alors que pas du tout, je suis comme ça ! J’aime la mélancolie, je trouve ça beau. On est absent, beaucoup trop dans sa tête. On est perdu dans ses rêves, des rêves de cinéma et d’évasion. »
Originaire des quartiers nord de Marseille, Hafsia se souvient des tours de son enfance, de la misère sociale, des populations abandonnées : « Peut-être que ma mélancolie vient de là… Dans ces quartiers, il y a beaucoup de familles monoparentales, de jeunes désœuvrés… À part la mer, il n’y a rien à faire. Mais il y a beaucoup d’amour. »
Un deuxième film en gestation
Avec La graine et le mulet, elle a « pu prendre (s)on envol ». Que pense Kechiche de son film ? « Il ne l’a pas encore vu, il travaille trop ! Mais il est content pour moi. Nous sommes très liés, je le considère comme un père. Il m’a beaucoup appris et toujours encouragée. »
L’actrice a pourtant fait sa mue. Son prochain film est déjà en gestation : elle le tournera dans le quartier où elle a grandi « pour filmer ses habitants »,guidée par un intarissable « goût de l’observation ».
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