Jacinda Ardern, la première ministre qui fait la fierté de la Nouvelle-Zélande
Portrait. – À 40 ans, Jacinda Ardern cumule déjà quelques records : troisième femme première ministre de Nouvelle-Zélande, plus jeune dirigeante du pays depuis 1856 et plus jeune dirigeante de l’histoire du Parti travailliste. Saluée par ses concitoyens pour sa gestion de l’épidémie du Covid-19, elle a remporté ce samedi une large victoire lors des élections législatives.
Le Canada a Justin Trudeau, l’Autriche Sebastian Kurz et la Finlande Sanna Marin. La Nouvelle-Zélande, elle, a Jacinda Ardern pour représentante de cette nouvelle garde politique aux commandes des Nations. En octobre 2017, elle est devenue, à 37 ans, la plus jeune première ministre de Nouvelle-Zélande depuis 1856.
Depuis, la cheffe d’État a conquis le cœur de ses concitoyens, notamment par sa gestion efficace de l’épidémie du Covid-19 en Nouvelle-Zélande. Preuve en est : elle a remporté, ce samedi 17 octobre, une large victoire lors des élections législatives, son Parti travailliste (NZLP) étant sur le point de rafler la majorité absolue au Parlement.
Une dirigeante exemplaire
Tout au long de la crise sanitaire, Jacinda Ardern n’a jamais flanché, informant régulièrement ses concitoyens en Facebook live, et non sans humour. «Vous serez heureux d’apprendre que nous considérons la petite souris et le lapin de Pâques comme des travailleurs essentiels, mais comme vous pouvez l’imaginer en ce moment, ils seront probablement très occupés à la maison, avec leur famille et leur propres lapins», plaisantait-elle le 6 avril, dans une vidéo destinée à rappeler les règles du confinement.
Un an auparavant, son comportement exemplaire après les attaques terroristes de Christchurch, survenues le vendredi 15 mars 2019 et qui avaient causé la mort de 51 personnes, avait aussi été salué. Dès le lendemain, elle avait étreint les familles des victimes, et s’était rendue sur les lieux du drame, trois jours plus tard. Au cours de ses allocutions, la première ministre avait su faire preuve d’une grande fermeté concernant le port d’armes à feu.
« L’appel de Christchurch »
Jacinda Ardern et Emmanuel Macron sur le perron du palais de l’Élysée. (Paris, le 15 mai 2019.)
Engagée, la Néo-Zélandaise appelle à réguler Internet. En mai 2019, Jacinda Ardern coprésidait à Paris, avec Emmanuel Macron, l’«appel de Christchurch», un sommet réunissant des dirigeants politiques et des géants du numérique. L’objectif ? Les rallier à cet appel, qui entend empêcher la propagation sur Internet de «contenus à caractère terroriste». Comme cela a été le cas avec les attentats de Christchurch. L’assaillant australien de deux mosquées de la ville avait notamment diffusé les images de l’attaque en direct sur Facebook avant que la plateforme ne les supprime. Il avait en outre publié un manifeste, facilement consultable en ligne.
«Quand elle a pris le poste, les gens ne savaient vraiment pas comment elle allait gérer la pression, confiait alors Mark Talt, un Néo-Zélandais de 21 ans, au site Web de Franceinfo. J’étais de ceux-là. Mais oui, Jacinda fait vraiment du très bon boulot !» Le 15 mars, Jacinda Ardern prônait l’unité et taisait le nom du tueur, préférant énumérer ceux de ses victimes. Une réaction qui a impressionné ses compatriotes, séduits par cette femme engagée.
Une enfance mormone
Jacinda Ardern est née dans une famille mormone et a grandi à Murupara, une ville pauvre qu’elle évoque souvent en interview. Il n’était pas rare d’y croiser des enfants pieds nus et mal nourris. Son désir d’entrer en politique y prend racine. Sa famille déménage ensuite dans la banlieue d’Auckland, où Ardern finit le lycée et entreprend des études de communication. En parallèle, elle entame une carrière politique avant même sa majorité et intègre en 1999, à 17 ans, le parti travailliste néo-zélandais. Après deux premières expériences de campagne, Jacinda Ardern obtient un poste dans l’équipe de la première ministre Helen Clark, en fonction de 1999 à 2008, et qui devient son mentor.
Ardern abandonne sa religion en 2005 en raison des positions homophobes de l’Église mormone. La même année, elle s’envole pour l’Angleterre et accroît son expérience politique en travaillant pendant deux ans et demi au bureau du cabinet du premier ministre britannique, Tony Blair. À l’issue de cette période, elle est élue présidente de l’Union internationale de la jeunesse socialiste (IUSY) et voyage au Maghreb, au Liban, en Chine, en Jordanie et en Israël.
La résurrection du Parti travailliste
En 2008, Jacinda Ardern est choisie pour représenter le Parti travailliste à l’élection du député du district de Waikato – sans succès. Elle intègre toutefois le Parlement grâce à sa position sur la liste de son parti, et devient, à l’âge de 28 ans, le plus jeune membre de la Chambre des représentants. En 2011, elle candidate cette fois au poste de députée du centre d’Auckland. Face à elle, Nikki Kaye du Parti national de Nouvelle-Zélande, plus jeune qu’Ardern de quelques mois. La «bataille des bébés» – ainsi que la surnomme la presse néo-zélandaise – est remportée de justesse par Kaye, mais Ardern retourne une nouvelle fois au Parlement comme candidate de liste. Son soutien au leader du Parti travailliste, David Shearer, lui vaut un poste de porte-parole chargée du développement social, fonctions étendues en 2014 aux arts, à la culture, à la justice et au petit commerce.
Son ascension s’accélère en février 2017, lorsque Jacinda Ardern est élue députée dans la circonscription de Mount Albert. Très populaire lors des primaires travaillistes, elle est élue vice-présidente du parti en mars 2017. Son parti est alors à son plus bas niveau de popularité depuis vingt ans. À deux mois des élections législatives de septembre, le président du mouvement, Andrew Little, démissionne. Et Jacinda Ardern est choisie pour le remplacer. À 37 ans, elle devient le nouveau leader de l’opposition et le plus jeune chef de l’histoire du Parti travailliste.
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La « jacindamania »
À sa nomination, la popularité du parti monte en flèche : à un mois du suffrage, il dépasse en intentions de vote le Parti national. Jacinda Ardern milite pour la gratuité de l’enseignement supérieur, la décriminalisation de l’avortement et un programme de prise en charge des enfants pauvres – et plus largement pour une «situation plus équitable» pour les marginalisés. Optimiste et souriante, la candidate impose son charisme sur les plateaux de télévision. La presse politique constate qu’une «jacindamania» s’empare du pays, où Ardern est comparée à l’envi à Justin Trudeau et à Barack Obama.
Le Parti travailliste obtient 35,7% des suffrages. Jacinda Ardern réussit alors le tour de force de former, le 19 octobre 2017, une coalition avec le New Zealand First de Winston Peters, et avec le Parti vert. Elle devient la troisième femme première ministre de l’histoire de Nouvelle-Zélande, et la plus jeune depuis 1856. Aussitôt nommée, elle met en œuvre les premières mesures du gouvernement de coalition.
Ces femmes qui ont concilié vie politique et maternité
En 1992, Ségolène Royal est enceinte de son 4e enfant. À cette époque, elle est ministre de l’Environnement dans le gouvernement de Pierre Bérégovoy. Dès le lendemain de son accouchement, elle invite les caméras d’Antenne 2 dans sa chambre à l’hôpital et ne s’absente que quelques jours de son bureau. (Paris, mai 1992).
En 2000, la secrétaire d’Etat au Budget sous le gouvernement Jospin tombe enceinte de son premier enfant. Elle est alors âgée de 36 ans et est vue comme une personnalité prometteuse de la gauche. Peu après avoir échoué aux législatives dans l’Yonne en 2002, Florence Parly quitte la politique. Elle a été nommée ministre des Armées le 21 juin 2017 dans le deuxième gouvernement d’Édouard Philippe. (Paris, août 2000).
En septembre 2008, Rachida Dati, à la tête du ministère de la Justice sous le gouvernement Fillon, annonce être enceinte de son premier enfant. Elle a alors 42 ans et est officiellement célibataire. Rachida Dati avait fait coulé beaucoup d’encre suite à cette naissance pour être revenue seulement trois jours après son accouchement au ministère. (Paris, décembre 2008).
En 2009, Nathalie Kosciusko-Morizet, alors secrétaire d’État à l’économie numérique et maire de Longjumeau, annonce sa grossesse. Pour ne pas prendre de retard dans ses dossiers, NKM fait le choix de télétravailler après son accouchement. (Paris, juin 2009).
Un premier enfant pendant son mandat
Dans la lignée du protectionnisme du Parti travailliste, un accord prévoit ainsi une réduction de l’immigration de 25.000 personnes par an, et une renégociation de l’accord de partenariat transpacifique. Le but : y introduire une clause interdisant aux étrangers d’acheter des terres en Nouvelle-Zélande. 100.000 logements à prix abordables devraient être construits d’ici 2027, et le salaire minimum horaire augmenté. La coalition prévoit aussi plusieurs mesures en faveur de l’environnement, notamment un plan d’assainissement des rivières et des lacs pollués et un objectif de neutralité carbone pour l’économie.
Côté vie privée, Jacinda Ardern est en couple depuis 2013 avec Clarke Gayford, une star de la télévision néo-zélandaise. Le 22 juin 2018, le couple a accueilli son premier enfant, une petite fille prénommée Neve. La première ministre avait annoncé sa grossesse sur les réseaux sociaux, le 19 janvier 2018. Elle aurait appris la nouvelle quelques jours avant son élection, et entend prendre six semaines de congé maternité après la naissance. Elle est désormais la première cheffe de cabinet néo-zélandaise à avoir eu un enfant pendant son mandat.
Quelques mois après son accouchement, en septembre 2018, Jacinda Ardern faisait parler d’elle en arrivant à l’assemblée des Nations Unies, à New York, accompagnée de son bébé et de son compagnon. «Neve est très proche de moi quand je suis en Nouvelle-Zélande. Je ne pouvais pas la laisser là-bas alors que je m’absentais plusieurs jours», expliquait alors celle qui jouait encore avec sa fille seulement quelques minutes avant de prendre la parole.
Comme si tout cela ne suffisait pas, la politicienne, qui a une passion pour la musique et exerce comme DJ à ses heures perdues, a marqué l’histoire de son pays en devenant la première dirigeante de Nouvelle-Zélande à participer à la Gay Pride d’Auckland en février 2018.
*Cet article, initialement publié le 6 mars 2018, a fait l’objet d’une mise à jour.
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