Cyberharcèlement de Magali Berdah : "Avec cette affaire, le sentiment d'impuissance des victimes risque d'être décuplé"
« Par pitié, fous-toi en l’air, tu rendras service à tout le monde », « Cache-toi bien avec tes gardes du corps », « Je te viole, tes filles, tes nièces, tes cousines », « Dommage que Hitler ne s’est pas occupé de tes grands-parents ». Face caméra, dans une vidéo publiée sur son compte Instagram le 31 juillet 2022, Magali Berdah relit ces mots qui lui ont été adressés.
Quelques messages partagés parmi les 100 000 « violents ou dénigrants » à son encontre publiés en ligne ces quatre derniers mois, selon les déclarations des avocats de la femme de 40 ans lors d’une conférence de presse donnée à Paris, le 14 septembre dernier. Leur cliente a également reçu « des centaines d’appels téléphoniques malveillants, jusqu’à un par minute sur certaines tranches horaires », affirment-ils.
Dans cette vidéo, la fondatrice de l’agence de marketing d’influence Shauna Events relaie une autre virulente déclaration : « Plus tu agonises, plus tu m’excites ». Celle-ci a été écrite par Élie Yaffa, plus connu sous son nom de scène, »Booba », et publiée le 20 juillet dernier sur son compte Twitter, auquel presque 6 millions d’utilisateurs sont abonnés. Un tweet, sur les « 200 [de la part du rappeur] visant directement Magali Berdah ou ses proches depuis le 17 mai », toujours selon les chiffres énoncés par les avocats de cette dernière.
Des menaces de viols et de mort
« J’ai appelé à l’aide. J’ai posté des messages de menaces de mort que je recevais. Ça fait plusieurs mois que j’alerte et c’est comme ci ça n’existait pas. Comme si personne n’en avait rien à faire s’il m’arrivait quelque chose, si je mourrais », lâche Magali Berdah, jointe par téléphone par Marie Claire.
On me menace de tout : de décapitation, de lapidation, de me brûler vive. Il y a aussi les appels aux viols, aux meurtres.
« On me menace de tout : de décapitation, de lapidation, de me brûler vive. Il y a aussi les appels aux viols, aux meurtres », énumère l’agente « épuisée », aussi « hallucinée » et « dégoutée » du traitement médiatique de cette affaire. « Tout le monde regarde, ricane et parle de ‘clash' », dénonce-t-elle.
Ce harcèlement 2.0 est protéiforme, il diffère d’une plateforme à l’autre. « Sur Twitter, je vois beaucoup de photos-montages et de vidéos, mais les menaces physiques – le plus effrayant pour moi -, je les retrouve surtout dans mes messages privés sur Instagram », explique la businesswoman. Avant de citer, la voix tremblante : « Certains me détaillent comment ils vont me tuer avec un 9 millimètres, m’écarteler, me vider de mon sang et m’uriner dessus sur la place publique ».
« Ces contenus sont constatés par un huissier et transférés au parquet, ce n’est pas du ‘fake' », précise l’interrogée, devançant les soupçons de certains « pirates », comme se surnomment les fans de Booba.
L’artiste assure mener une guerre contre les « influvoleurs », selon le mot-valise qu’il emploie et par lequel il qualifie les célébrités issues de la télé-réalité qui font des placements de produits sur leurs réseaux sociaux. Cet habitué des attaques publiques violentes, ciblées, et répétées – comme le retrace Médiapart dans une dense enquête publiée le 19 septembre 2022 -, a créé le 27 juin dernier une adresse mail dédiée au recueil des plaintes de consommateurs victimes d’arnaques de ce nouveau business, parfois opaque, sur lequel ce même site d’investigation ou encore Complément d’enquête sur France 2 se sont récemment penchés.
On a le sentiment que, parce qu’il y a une action en justice contre l’entreprise de Magali Berdah, son cyberharcèlement serait tolérable.
Début septembre, le parquet de Grasse (Alpes-Maritimes) a ouvert une enquête pour « pratiques commerciales trompeuses » contre Shauna Events, à la suite d’une plainte formulée par le rappeur contre X le 28 juillet. « S’il y a quelque chose qu’on a fait, punissez-moi [elle s’adresse à la justice, ndlr], mais s’il vous plaît, ne laissez pas me faire assassiner comme ça », lance Magali Berdah, de l’autre côté du fil.
Rien ne justifie le cyberharcèlement
« On a le sentiment que, parce qu’il y a une action en justice contre l’entreprise de Magali Berdah, son cyberharcèlement serait tolérable », s’inquiète Maître Rachel-Flore Pardo, experte des violences en ligne, aussi co-fondatrice du collectif Stop Fisha et co-autrice de Combattre le cybersexisme (éditions Leduc).
Les réactions face à cette affaire l’interpellent. « Cautionner ce cyberharcèlement, c’est cautionner une forme de justice privée. Et tenter de l’excuser, c’est placer la faute sur la victime », condamne-t-elle sans détour.
Et puis, les supporters de Booba, comme Booba lui-même, n’attaquent pas « seulement » Magali Berdah sur son travail, celui de ses influenceurs – et parfois de ceux qu’elle ne représente pas, d’ailleurs -.
Sa judéité (« Arrête de te faire passer pour une juive, t’es pas juive, t’es juste un démon », écrit le rappeur sur Twitter le 5 juillet dernier), son physique, son couple et son intimité sexuelle, sa belle-sœur assassinée, ses filles et leur éducation… Tout y passe et tout a débuté avant le lancement de cet appel à témoins contre les « influvoleurs », souligne la concernée.
Dès le 25 mai 2022, Magali Berdah a porté plainte contre Élie Yaffa et contre X, pour « menaces de mort, notamment à caractère antisémite », « diffamation », « injure publique », « appels téléphoniques malveillants » et « harcèlement moral ». Depuis, et « compte tenu de l’ampleur du phénomène », neuf compléments de plaintes ont été versés au dossier, un dixième est en préparation selon ses avocats. Le Pôle national de lutte contre la haine en ligne (PNLH) a ouvert une enquête le 1er juin.
Le cyberharcèlement en meute, un délit défini dans le Code pénal
Le cyberharcèlement en meute est défini dans le code pénal depuis le 3 août 2018 comme « l’envoi répété de messages imposés à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée« , informe Rachel-Flore Pardo, qui ajoute : « Même sans concertation, si ces personnes savent qu’il y a une répétition, il s’agit de cyberharcèlement. C’est précisément le cas dans lequel on se trouve. »
Les internautes qui participent à ces raids numériques contre Magali Berdah sont donc susceptibles d’être visés par cette infraction et d’être sanctionnés. Si les auteurs des faits sont majeurs, « ils risquent, chacun, deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. Cette peine s’alourdit si les conséquences sont plus graves, et sont estimées à plus de huit jours d’incapacité totale de travail », indique cette avocate spécialisée.
Messages virtuels, impact réel
Outre l’illégalité de cette pratique ici niée sinon excusée, « encourager ou tenter de justifier le cyberharcèlement revient à minimiser l’impact des violences en ligne, dont les conséquences sont bien réelles et peuvent être dramatiques« , alerte encore Rachel Flore-Pardo.
Le cyberharcèlement peut avoir des conséquences sur la santé physique et mentale, il peut conduire à des formes de dépression et des envies suicidaires.
« Le cyberharcèlement peut conduire à des formes de dépression et des envies suicidaires », rappelle-t-elle. Magali Berdah nous confiera être suivie médicalement « tous les jours par un psy », à qui elle parle aussi « tous les soirs », sans quoi, elle n’aurait « pas tenu le coup ».
À ces violences psychiques peuvent s’ajouter des physiques, pointe la co-fondatrice de Stop Fisha. « Dans le cas de Magali Berdah, son adresse a été dévoilée, elle vit aujourd’hui sous protection de gardes du corps. » Sur Instagram, un compte fan du rappeur suivi par des milliers d’abonnés a publié l’adresse détaillée – jusqu’à l’étage et la porte – de leur cible, qui « a été contrainte de déménager en 24 heures », d’après ses avocats. Une nouvelle plainte a été alors déposée pour « usage de données d’identification d’autrui en vue de porter atteinte à la tranquillité ou à l’honneur ».
Un sentiment d’impunité, des conséquences pour tous
Pour l’avocate et activiste, « cette affaire est révélatrice de notre incapacité à mettre fin à une infraction qui se commet en ligne ».
Je vous laisse imaginer à quel point les adolescents inconnus, cyberharcelés, sont démunis face à leurs harceleurs.
« Nous en parlons depuis quatre mois, les personnes sont identifiées, et pourtant, nous ne parvenons pas à arrêter la commission de l’infraction, déplore l’experte des violences numériques. Quand bien même la justice est saisie, quand bien même les plateformes réagissent [Le compte Instagram de Booba a plusieurs fois été désactivé par la plateforme, ndlr]… Donc je vous laisse imaginer à quel point les adolescents inconnus, cyberharcelés, sont démunis face à leurs harceleurs ».
« C’est normal qu’il y ait du cyberharcèlement et des violences sur les réseaux sociaux quand il y a autant de choses graves qui m’arrivent. Comment voulez-vous que les jeunes qui n’ont pas de visibilité puissent se défendre, se sentir protégés et oser dénoncer ? », interroge en l’air Magali Berdah durant notre appel, sans avoir connaissance du contenu de notre échange avec l’avocate spécialiste des violences en ligne.
De son côté, Maître Rachel-Flore Parfo craint que des harceleurs soient encouragés par cette affaire dont ils sont témoins et dans laquelle la personne harcelée continue de l’être « sans que l’on parvienne à la protéger et à mettre fin à l’infraction ». L’alarme est sonnée : « De la même manière que le sentiment d’impuissance des victimes risque d’être décuplé, celui d’impunité des harceleurs risque également l’être. »
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