Comprendre (et en finir avec) la dépendance affective

Nous sommes tous plus ou moins dépendants affectifs parce que nous avons tous besoin d’aimer et de nous sentir aimés. Mais avant d’employer les grands mots (et de courir chez le psy) faisons le point sur la dépendance affective, ses différents degrés et ses manifestations. Avec Sylvie Tenenbaum, psychothérapeute et auteure de « Vaincre la dépendance affective » (éd. Albin Michel).

Aujourd’hui, on emploie certains termes psy à tort et à travers : on traite nos voisins de paranos (parce qu’ils nous accusent d’avoir volé leur poubelle) ou bien cet homme de « pervers narcissique » parce qu’il ne nous rappelle pas (et s’il était simplement peu concerné par nous ?). Que de pathologies qui ont pénétré le langage courant. Et la dépendance affective n’y échappe pas. Alors c’est quoi, réellement, la dépendance affective ? Peut-on se décréter « dépendante affective » quand on ne supporte pas le manque de l’autre ? Quand on flirte avec la jalousie parce que notre partenaire sort sans nous ? Quand il ou elle oublie de nous écrire cinq fois par jour et de nous appeler tout autant (et que ça nous rend triste) ?

Qu’est-ce que la dépendance affective (vraiment) ?

Pour nous éclairer, Sylvie Tenenbaum, psychothérapeute et auteure du livre « Vaincre la dépendance affective » (éd. Albin Michel), pose d’emblée une définition : « La dépendance affective, c’est l’impossibilité de se sentir exister totalement en étant seul avec soi-même, sans le regard positif d’un autre sur soi ». Autrement dit, sans l’autre – et plus largement les autres, on n’existe pas (enfin c’est ce que l’on ressent). Et c’est franchement malheureux. Partant, une personne dépendante affective va tout mettre en œuvre pour attirer les regards (si possible positifs, au pire négatifs) sur elle, l’objectif n’étant pas seulement d’être valorisée mais tout simplement – et encore une fois – de se sentir exister. Disons que les regards extérieurs sont indispensables. Et si on parle de regards extérieurs au pluriel, c’est bien parce qu’il en faut souvent… plusieurs (au cas où l’un se détournerait de nous).

Bien entendu, nous pouvons avancer que nous sommes tous dépendants affectifs parce que nous avons tous besoin de nous sentir aimés. Là où ça complique, c’est que cette dépendance affective peut quitter le terrain du « classique » pour devenir problématique (on parle alors de dépendance affective problématique) voire pathologique (et là, on parle de dépendance affective pathologique). Ces deux types de dépendance sont plus « intenses ». La dépendance affective problématique – la plus répandue – rend malheureux. Souvent, les personnes concernées en ont conscience et courent après leurs proches par « instance de survie » affective tout en s’excusant de le faire ; elles se savent envahissantes. Avec la dépendance affective pathologique, on entre dans une autre dimension : « L’exemple de la drogue est le plus parlant, développe la psychothérapeute. Il y a un produit (l’amour), le consommateur (le dépendant affectif) et un dealer (la personne qui le fournit). Le consommateur est sans cesse en attente de sa dose, dose qui a régulièrement besoin d’être augmentée et ne suffit jamais à le combler totalement, ni dans la durée. » Ainsi, le dealer – surnommons-le ainsi, est rapidement épuisé et le produit qu’il fournit est de moins en moins bonne qualité aux yeux du consommateur. Il ne peut plus répondre aux attentes du dépendant qui le sollicite et l’étouffe (et finit par devenir franchement invivable).

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Suis-je dépendante affective (et d’où ça me vient) ?

La dépendance affective étant « partout », on ne sait pas toujours faire le tri. Selon Sylvie Tenenbaum, découvrir « sa dépendance affective » passe par une observation lucide de soi-même, ce qui est très difficile. « L’excès de nos demandes est un indice, alors même qu’elles nous semblent normales », note la psy. Si, par exemple, on demande sans cesse à un ami ou à son partenaire « pourquoi il n’a pas appelé plus souvent », il est intéressant de creuser le sujet. Le sentiment d’attente (exaspéré), selon la situation, est également un bon indicateur : lorsque l’on attend de l’autre qu’il nous donne de l’amour inconditionnel, nous « remplisse » et nous concède une image positive de nous, alors il y a de quoi se questionner sérieusement.

Une fatigue injustifiée, des douleurs sans raisons ou encore une maladie inexpliquée peuvent aussi être des signes à ne pas négliger : ils peuvent avertir sur un danger de dépression. « D’ailleurs, ce sont souvent les médecins (ou les kinés) qui orientent leurs patients dépendants affectifs vers des thérapeutes. Les maux du corps reflètent les maux du cœur et de l’âme… », ajoute la psychothérapeute Sylvie Tenenbaum.

La dépendance affective ne sort pas de nulle part. Le point commun des dépendants affectifs se situe généralement dans le sentiment de ne pas avoir été aimés (ou mal, ou pas suffisamment) dans leur enfance (« On ne s’intéressait pas à moi »). Il s’agit, bien sûr, d’une perception ; disons que c’est peut-être vrai… mais peut-être pas. D’autres éléments peuvent entraîner une dépendance affective : du favoritisme (réel ou fantasmé) dans la fratrie (« on préférait ma sœur ») ou l’impression d’avoir été moins considérée que ses frères et sœurs. Des épisodes compliqués à l’école et en amitié peuvent être aussi à l’origine de la dépendance affective, tout comme de graves et fréquentes ruptures amoureuses, vécues comme des dévalorisations, ou encore des échecs professionnels. Mais parfois, on a beau fouiller, on ne trouve rien. Comme le précise la psy, la dépendance affective naît aussi d’une succession de « petits éléments anodins » qui, mis bout à bout, ont créé ce vide d’amour de soi et cette dépendance à l’autre pour se sentir exister. Quelles que soient les causes, le résultat est plus ou moins le même : les dépendants affectifs ont une très mauvaise estime d’eux-mêmes, ils accusent donc un manque de confiance en eux. Ils ne s’aiment pas et, comme le souligne justement la psychothérapeute, « passer du temps avec son pire ennemi – soi-même – est compliqué voire insupportable, voilà pourquoi le dépendant affectif est sans cesse en quête d’un regard positif des autres sur lui ». D’ailleurs, il gardera toujours des « sous le coude », comme les surnomme la psy, soit des personnes à contacter « au cas où ». En bref, tout pour échapper au tête-à-tête avec soi-même.

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Quelles sont les conséquences de la dépendance affective dans les relations ?

Quand on est dépendant affectif, on devient aisément dépendant amoureux. De plus, on est satisfait d’avoir trouvé le bon « dealer ». C’est pourquoi la dépendance affective altère très souvent les relations amoureuses, mais aussi amicales. Pourquoi ? Parce que le dépendant affectif trop problématique et surtout pathologique va devenir invivable (voire toxique : « tu es en moi, tu fais partie de moi ») tant il est en attente de marques d’amour et de reconnaissance, mais aussi parce qu’il peut vite se mettre en colère en fonction de sa frustration, qui dépendra de l’« usure » ou de la « dégradation » du produit. « Quand on rencontre quelqu’un, on le trouve parfait, et puisqu’il est parfait, son regard nous comble et, durant cette période magique, nous nous aimons (enfin !). Avec le temps, la réalité nous rattrape, l’autre s’avérant moins parfait que dans les débuts — il est humain, le dépendant reconnecte son désamour de lui : « L’autre n’est pas parfait, donc, finalement, je suis nul », va-t-il penser », détaille Sylvie Tenenbaum. Ainsi, les regards que le dépendant et le dealer posent l’un sur l’autre se dégradent. « À ce moment-là, le dépendant affectif ne se sentira plus considéré et en voudra à son dealer : la perfection a disparu », poursuit la psy. Si on ajoute à ça que le dealer se lasse et s’épuise, on entend bien que la relation bat sérieusement de l’aile.

De plus, le dépendant affectif est jaloux, la jalousie reflétant une peur de l’abandon : « Et si l’autre me quittait pour quelqu’un de (forcément) mieux ? ». Cette peur démontre combien le dépendant affectif craint de perdre la personne ou les personnes qui le nourrissent. En cela, il est important de souligner (même si c’est triste) que le dépendant affectif… n’aime pas vraiment. Il croit aimer mais ce n’est qu’un leurre : « Quand on est dépendant affectif, on aime l’autre pour ce qu’il nous apporte et pour le sentiment d’être quelqu’un d’entier à ses côtés. On l’aime parce qu’il vient combler nos lacunes. On ne donne pas, ou peu : on prend, on consomme le produit », prévient la psy. Ainsi, quand la dépendance affective rode, une vraie relation est compliquée à construire, voire impossible dans le temps. Pour des histoires d’amitié et d’amour durables, il est ainsi préférable de faire une thérapie pour se réparer et sortir de la dépendance affective.

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Comment sortir de la dépendance affective ?

Il n’existe pas mille chemins, donc inutile d’en emprunter quatre pour conseiller… une thérapie. Pour cela, encore faut-il le reconnaître : « Les personnes dépendantes affectives admettent facilement qu’elles ne s’aiment pas. Ce qu’elles acceptent très difficilement, ce sont les termes de dépendance affective et l’évidence de ses déclinaisons : malgré tous leurs efforts, elles ne savent pas aimer car elles ne sont qu’en demande, en recherche d’un sauveur qui viendra les libérer de leur abyssal désamour d’elles-mêmes. L’essentiel restera d’accepter d’entreprendre le travail de reconstruction du socle narcissique qui aurait dû être construit dans l’enfance », explique la psychothérapeute Sylvie Tenenbaum. Consulter un professionnel est alors très salvateur. Le but de la thérapie sera d’amener la personne dépendante affective à s’aimer et à bien vivre avec elle (on ne peut être vraiment aimé que si l’on s’aime). L’objectif n’est pas de « s’adorer » mais d’être en suffisamment bons termes avec soi pour ne plus dépendre des autres. Les autres ne sont pas responsables de notre bonheur… même si d’accord, ils y contribuent.

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