Pourquoi les acteurs homosexuels ont-ils si peur que ça se sache ?

  • Muriel Robin a expliqué samedi dernier sur le plateau de « Quelle Epoque ! » que son homosexualité a eu une incidence sur sa carrière.
  • De même, selon elle, il « n’y a pas de comédiens homosexuels qui font une grande carrière » au cinéma.
  • 20 Minutes a essayé de comprendre d’où viennent les freins et pourquoi la plupart les grands acteurs homosexuels préfèrent le cacher.

« Je ne sais pas pourquoi Muriel Robin n’a pas eu de rôles, je ne m’occupais pas de sa carrière », s’agace une agent. Une directrice de casting, elle, évoque les nombreuses raisons qui peuvent expliquer qu’une humoriste comme elle n’ait pas eu la carrière espérée. « Quand elle joue l’émotion, on n’y croit pas, ça ne marche pas », nous souffle-t-on. De nombreux professionnels du cinéma s’offusquent des propos de Muriel Robin, célèbre humoriste ouvertement lesbienne, contre le cinéma français, démentant toute homophobie dans le septième art hexagonal. Pourtant, après quatre jours d’enquête et des dizaines de refus d’interviews, y compris d’acteurs et actrices qui se sont déjà exprimés publiquement sur leur homosexualité, une question se pose : pourquoi est-il si difficile de s’exprimer sur ce qui serait un non-sujet ?

Rembobinons un peu. Invitée de « Quelle époque ! » sur France 2 samedi dernier, Muriel Robin a jeté un pavé dans la mare, expliquant être « la seule actrice au monde à dire (son) homosexualité ». « Je connais les acteurs homosexuels français, ils se taisent », car il n’y a pas d’interprètes gays ou lesbiennes affichés « qui font de grande carrière ». Selon elle, « il faut leur dire que ce n’est pas la peine qu’ils fassent ce métier. Ils ne travailleront pas ». « Si on est homosexuelle, on n’est pas désirable, on n’est pas pénétrable. Et quand on n’est pas pénétrable (…) on ne vaut rien », a-t-elle déploré. Stupeur et tremblement sur la planète cinéma. Dans un milieu qui se dit progressiste, où l’homosexualité n’est a priori pas un sujet, pourquoi ne trouve-t-on pas d’acteurs ou d’actrices ouvertement gays parmi les plus grands noms ? Comment expliquer une telle omerta ?

« Faire un coming out, c’est difficile »

« Est-ce que l’acteur se monte la tête tout seul ou est-ce que ça vient des agents ? Je n’en ai pas vu dire à leur acteur de le cacher. Je connais un grand comédien français qui flippait à cause des rumeurs sur son homosexualité, confie un attaché de presse pour des personnalités. Je crois qu’il avait pris une agence de réputation en ligne pour vérifier que rien n’avait fuité sur Internet. Il était persuadé qu’on ne le ferait plus jouer, que s’il était out, il serait catalogué et qu’on ne le trouverait plus crédible dans des rôles d’hétéros. »

Jusqu’ici, Geoffrey Couët, acteur dans Les Crevettes Pailletées et ouvertement gay, n’a jamais entendu personne lui conseiller de le dissimuler, ni pendant sa formation, ni dans le monde du cinéma. « Dans tous les cas, faire un coming-out, c’est difficile. Dans le cadre familial, c’est déjà une vraie épreuve. Il y a quelques années, j’arrivais sur les plateaux avec la peur que ça se voie, que ça se sente, qu’on me fasse une réflexion par rapport à ça, confie-t-il. Du coup, je n’étais pas très bon comédien, je bloquais quelque chose. Tous les homos ont été plus ou moins insultés, moqués, rejetés, quand ils étaient petits, donc dans le cadre du travail on se dit que ça va être pire ».

Il n’est pas le seul à avoir déjà verrouillé une part de lui-même en casting ou sur les plateaux. « J’en ai eu des acteurs qui en ont souffert, explique un directeur de casting parisien. Ils affichaient leur sensibilité et du coup on ne leur donnait pas des rôles de personnages hétéros. Ou alors ils étaient obligés de se mettre dans une énergie qui n’était pas la leur pour avoir du travail ». Sophie Blanchouin, directrice de casting depuis plus de vingt ans, abonde : « Je pense qu’ils ne veulent pas qu’on leur mette une étiquette sur la tête qui poserait un souci pour un rôle futur ». Parce que, malheureusement, tout est une question de projection et de séduction dans le cinéma. Et surtout, les enjeux sont financiers. « Il y a une importance économique. Il faut quand même revenir au nerf de la guerre. On parle surtout d’argent, toute prise de risque sur un investissement pose question », poursuit un comédien.

Des exemples rares à trouver

Comme le rappelle l’AFP, le collectif 50/50 a publié l’an dernier un baromètre permettant de mesurer la proportion de personnages LGBT+ dans les films français. Sur la centaine de films étudiés, l’orientation sexuelle est connue pour 82 % des personnages principaux. Seuls 5 % d’entre eux sont homosexuels ou bisexuels et ils sont « fortement stéréotypés », relève l’étude. Coupés des rôles hétéros, il leur resterait des miettes. Comment atteindre une grande carrière dans ces conditions ?

Pourtant, on nous cite des grands noms. Adèle Haenel, ouvertement lesbienne, a continué de travailler après son coming out. Elle aurait pris elle-même la décision de quitter le cinéma. Vraiment ? « Son militantisme a pu en inquiéter certains, nous explique-t-on. On pouvait craindre que ce soit compliqué avec elle sur un tournage ». En vérité, elle avait de moins en moins de propositions, la « force de son engagement l’avait un peu isolée », analyse-t-on. Dans ces conditions, peut-on vraiment considérer qu’elle a pris cette décision seule ? Jean-Claude Brialy est souvent cité aussi. « C’est vrai qu’il avait plutôt des rôles de bons copains », concède Sophie Blanchouin. Une fois ces deux-là évoqués, on fait assez rapidement le tour des noms. D’autres en ont parlé ouvertement, mais refusent de revenir sur le sujet. L’expression d’une crispation ?

« Est-ce qu’on est obligé aujourd’hui de rendre des comptes sur tout au motif qu’on est une personnalité publique ?, s’agace Elisabeth Tanner, célèbre agent de comédiens qui a inspiré le rôle d’Andréa Martel dans la série Dix pour cent et membre du collectif 50/50. C’est un métier compliqué, pourquoi on choisit quelqu’un, pourquoi on ne le choisit pas, pourquoi à un moment donné, on refuse, c’est un milliard de questions. Parfois c’est le niveau de jeu, parfois c’est le physique. Il y a plein de réponses possibles. »

« Quand tu joues un aveugle, tu ne te crèves pas les yeux »

« Il y en a effectivement qui vivent leur homosexualité de manière un peu sourde, pour qu’on les laisse tranquilles, pour qu’ils ne soient pas mis dans une case », admet un comédien, proche d’un grand nom du cinéma qui cache son homosexualité. Le monde du septième art semble pourtant sur le point de changer. On a vu récemment des acteurs ouvertement gays décrocher des rôles hétéros. Arnaud Valois, par exemple, joue le rôle d’un brillant chercheur en couple avec Asia, dans LT-21, la série dystopique de OCS qui sera diffusée à partir du 12 octobre. Vincent Dedienne a décroché plusieurs rôles d’hétéros dans des films français. Il joue le frère un peu réac dans A Good Man, de Marie-Castille Mention-Schaar ; il tombe amoureux d’une institutrice dans Parents d’élèves, de Noémie Saglio.

De même, Geoffrey Couët vient de décrocher le rôle d’un criminel. « Maintenant que je suis out, les gens ont envie d’essayer des choses différentes, raconte-t-il. Cet été j’ai passé un casting pour un violeur récidiviste, à moitié gueule cassée. On a essayé et ça a marché ». Il note que l’orientation sexuelle est le seul sujet sur lequel on se pose la question de la crédibilité. « On ne dit jamais : “mais il n’est pas vraiment banquier” ou “il n’est pas vraiment voleur”. On joue toujours des choses qui n’ont rien à voir avec nous », pointe-t-il.

Et Sylvie Brocheré, directrice de casting créditée sur des centaines d’œuvres de fiction au cinéma et à la télévision, de confirmer : « Je connais des acteurs homos mais je ne leur demande pas comment ils vivent, je les caste pour des rôles d’hommes mariés avec des enfants, et ça ne me pose pas de problème. Quand tu joues un aveugle, tu ne te crèves pas les yeux. Je pars du principe que c’est un rôle que je leur demande ». De toute sa carrière, on ne lui a jamais refusé un acteur sous prétexte de son orientation sexuelle. Pour Geoffrey Couët, les jeunes doivent au contraire s’affirmer et « fracasser toutes les portes ». Les moins jeunes commencent tout juste à entrouvrir les placards.

Source: Lire L’Article Complet