Météo capricieuse et contraintes techniques, comment filme-t-on le surf ?
- Depuis le mois de juillet et jusqu’en novembre, les antennes du Réseau 1ère diffusent les épreuves du WSL Championship Tour, les championnats du monde de surf.
- Mais comment immortalise-t-on cette discipline, contrainte par des conditions météorologiques et maritimes imprévisibles ?
- « C’est très compliqué à filmer parce que contrairement à un terrain de foot, le spot de surf, de par sa nature, bouge tout le temps », explique à « 20 Minutes » le journaliste spécialisé Marc Antoine Guet.
Cet été, le surf s’invite à la télé. Les neuf chaînes du Réseau 1ère, les antennes ultramarines de France Télévisions, diffusent les épreuves du WSL Championship Tour, les championnats du monde de surf. Onze étapes organisées aux quatre coins de la planète (à Hawaï, au Brésil ou encore à Tahiti), décisives pour les surfeurs et surfeuses pro qui y récoltent des points pour la qualification des Jeux olympiques 2024. Au programme ? De l’action, des figures spectaculaires, de belles vagues puissantes et menaçantes.
Mais pour cela, il faut que la caméra qui immortalise ces moments puisse s’approcher au plus près des sportifs et de leurs planches. Une prouesse technique bien plus compliquée qu’on ne l’imagine. Entre des conditions météorologiques aléatoires et des vagues tout aussi imprévisibles, comment filme-t-on ces compétitions ?
« Il faut tout le temps s’adapter »
« Pour la télé, le surf c’est une horreur », lâche Marc Antoine Guet, journaliste spécialisé. « C’est très compliqué à filmer parce que contrairement à un terrain de foot, le spot de surf, de par sa nature, bouge tout le temps », précise-t-il. C’est particulièrement le cas lorsque l’épreuve se déroule sur des beach breaks où les vagues évoluent en fonction des marées et des bancs de sable, comme dans les Landes par exemple. « Lors des grosses compétitions qui ont lieu à Hossegor, le spot peut être à 14 heures juste en face de la tour des juges, et 200 mètres plus au nord ou plus au sud deux heures plus tard. Il faut savoir tout le temps s’adapter avec des caméras qui sont mobiles », ajoute Marc Antoine Guet.
Les plages de reef (de rochers), bordées de récifs coralliens, comme en Polynésie française où se dérouleront les épreuves de surf aux JO 2024, sont un peu moins sujettes à ces mouvements. Mais cela ne fait pas d’elles des spots plus accessibles. Les surfeurs doivent traverser les lagons, où l’eau est moins profonde, pour rejoindre les profondeurs au large où se forment les vagues. Pour filmer ces spots qui peuvent se trouver jusqu’à plusieurs centaines de mètres de la plage, les équipes de production ont recours à des caméras embarquées sur des jets ski et des drones.
Le spot idéal à filmer n’existe-t-il donc pas ? « Non, il faut tout le temps s’adapter », répète Sébastien Vaïsse, ancien rédacteur en chef du magazine Surf Session et directeur de production de la société ELOW, qui produit beaucoup d’événements sportifs en direct. « C’est à nous de prendre les initiatives pour s’organiser au mieux, poursuit-il. Il y a par exemple des spots incroyables comme à Arica au Chili, ce sont des paysages avec des falaises… Et pourtant les lives sont jolis.
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« Le surf est un sport de patience »
Aux spécificités géologiques de chaque endroit, il faut y ajouter d’autres difficultés, celles liées au temps. A commencer par la météo. On garde encore en tête la pluie battante au Japon en 2021, lors des toutes premières épreuves de surf des Jeux olympiques. Un décor bien loin de la carte postale. Le journaliste Marc Antoine lui, se souvient d’une brume épaisse qui pesait sur une compétition organisée un automne dans les Landes. « Ce n’est pas comme un stade où un éclairage est possible. On avait dû attendre pendant une heure que la brume se dissipe », se remémore-t-il.
Et puis il y a surtout l’essence même de la discipline. « Le surf est un sport de patience, rappelle Sébastien Vaïsse. On essaye de caler les compétitions quand les vagues sont les meilleures possibles. Mais malgré cela, des changements de marée, le vent, la houle etc., tout un tas de paramètres incontrôlables, rentrent en compte et peuvent faire varier la qualité du flux de vagues prises. »
A Tahiti, toutefois, le spectacle est quasi assuré d’avance. « Le spot est super agréable, il y a une bonne fréquence de vagues. Et puis c’est un spot qui fait déjà partie du World Championship Tour (WCT) donc c’est déjà quelque chose qui est en place et qui est maîtrisé. Ça va donner des belles vagues et des belles images. »
« La vraie question c’est : qui produit ? »
Quand les vagues sont au rendez-vous et déferlent régulièrement, c’est le jackpot ? Pas vraiment. En matière d’intérêt audiovisuel, un autre paramètre complique la tâche des équipes de production. « Les vagues surfées représentent 5 % du temps filmé, et encore, j’inclus les replays dedans… », explique Sébastien Vaïsse. Il développe : « En compétition, un surfeur qui est dans l’eau a un nombre limité de vagues à prendre, 10 sur vingt minutes par exemple. En sachant qu’une vague surfée, si cela dure vingt secondes, c’est énorme ! A Tahiti, c’est cinq secondes de ride sur les vagues les plus longues. Cela fait cinquante secondes au total, il faut donc combler le reste ».
Insuffisantes seules pour monter une émission, il faut intégrer ces séquences à un plateau de journalistes, de commentateurs et y ajouter des replays ou des sujets montés en amont. Il faut aussi multiplier les points de vue et les angles pour produire plus d’images et contenter le téléspectateur. « On n’a pas envie de ne voir qu’un plan large, on veut rentrer dans l’action et il faut donc plusieurs caméras pour nourrir ça », note Sébastien Vaïsse.
S’ouvrent alors d’autres considérations, économiques cette fois-ci. « La vraie question c’est : qui produit ? Si vous avez quelqu’un qui va mettre beaucoup d’argent sur la table, oui, là on va pouvoir déployer des gros moyens », dit-il.
« Quel jour sera la finale ? C’est impossible à dire »
Autant de problématiques qui font du surf une discipline assez rare à la télévision. Car s’il s’agit d’un sport particulièrement complexe à filmer, sa diffusion l’est tout autant. « Un match de foot qui commence à 19 heures, c’est facile à programmer à la télé du point de vue des sponsors et des annonceurs. Mais pour le surf, on ne sait jamais quand ça commence », souligne le journaliste Marc Antoine Guet. Et de poursuivre : « Les juges regardent les prévisions la veille d’une épreuve. Le lendemain, ils font ce qu’on appelle un call le matin pour un possible départ des surfeurs à 8h30 par exemple. Et en fonction des conditions, ils décident de lancer la compétition si les vagues sont jugées suffisamment bonnes, ou de décaler. »
Le surf compte parmi les premiers sports à avoir été streamés. Il se regarde majoritairement via les différents canaux de la World Surf League (WSL) ou par une myriade de courtes séquences de replays sur les réseaux sociaux. Mais que peut-on attendre d’un événement majeur comme les JO 2024, avec des épreuves qui s’annoncent aussi spectaculaires qu’historiques ?
Pour Marc Antoine Guet, leur diffusion va être « une grosse contrainte ». « Là où tout est chronométré à la minute pour chaque épreuve, le surf risque de les mettre un peu dans l’embarras. Je pense qu’il n’y aura pas beaucoup de direct, ou alors sur des tranches bien précises, mais le reste ce sera de la rediffusion. Ils auront beaucoup de mal à caler les épreuves dans leur calendrier, ils ne pourront jamais savoir quand elles seront lancées, à quelle heure et comment. Et quel jour sera la finale ? C’est impossible à dire », estime-t-il. Le surf est un sport qui met la patience à rude épreuve, sur une planche ou devant le petit écran.
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