"Le Regard de Charles" ou quand Aznavour était le cinéaste de sa propre vie
Outre ses exceptionnels dons d’auteur-compositeur-interprète appréciés dans le monde entier, on connaissait également sa passion pour la photographie : Lucien Clergue, l’un des fondateurs des célèbres Rencontres Photographiques d’Arles, avait même préfacé il y a quelques années un album intitulé Aznavour en haut de l’affiche qui comprenait quelques clichés réalisés par l’artiste. Clergue le décrivait comme « le photographe que l’on soupçonnait, caché derrière le viseur de ses appareils et qui observe le monde avec autant d’attention qu’il sait le décrire dans ses textes de chansons. »
Aznavour , cinéaste de sa vie
Grâce au film de Marc di Domenico Le regard de Charles, le grand public, pas uniquement celui de ses aficionados, va également découvrir les talents d’un cinéaste amateur. Du jour où Edith Piaf lui offrit sa première caméra, Charles Aznavour ne cessa de filmer les moments de sa vie avec ses proches, ses amis, ses amours, ses voyages, ses collègues artistes croisés ici ou là, les coulisses de ses concerts et même les à-côtés de certains des longs métrages dans lesquels il a tourné, dont un étonnant contre-champ d’une fameuse séquence de Un taxi pour Tobrouk. Dans la voix de Romain Duris, l’ensemble est commenté à la première personne par Charles Aznavour d’après des textes tirés de ses livres qui composent un authentique portrait intime.
Entre 1950 et 1982, Charles Aznavour a accumulé des heures de rushes parfois « tournés-montés » avec un vrai regard de réalisateur passionné par le septième art, au total des centaines de bobines entreposées dans la cave de sa maison provençale de Mouriès où la mort l’a surpris le 1er Octobre 2018.
Avec Marc di Domenico, producteur qui le filmait au quotidien depuis 2015 en vue de son concert prévu en Novembre 2018 à la Seine Musicale, l’artiste avait pris le temps de visionner ses archives personnelles et de commencer à sélectionner les extraits destinés à illustrer une autre facette de sa personnalité. Le regard de Charles dévoile en effet un aspect méconnu du chanteur qui fut volontiers un bon vivant, un joyeux drille jamais avare de bons mots à l’instar de son maître Charles Trenet.
L’oeil ne laisse pas d’être « buissonnier »
L’oeil ne laisse pas d’être « buissonnier » sur la société qui l’entoure, à la fois critique sur son fonctionnement et affectueux sur l’humanité qui la constitue. Ces instantanés d’une vie trépidante, à la scène comme à la ville, fixés sur une pellicule à la qualité parfois improbable, marquent d’abord une manière de pause dans un parcours opiniâtre guidé par une idée fixe, celle de fuir « …les minables cachets, les valises à porter, les p’tits meublés et les maigres repas. »
Le regard de Charles ensuite, révélé par le documentaire de Marc di Domenico, transmet celui d’un artiste qui a su conserver sa part d’enfance pour réussir sa vie d’homme. « Je lui avais demandé un jour en quoi consistait cette part d’enfance que j’avais cru déceler en lui ». « Ma part d’enfance, c’est mon regard et mon vocabulaire. Le jour où l’on affiche le regard dur de l’homme qui a réussi et que plus rien ne peut étonner, je crois que l’on a tout perdu. J’en vois beaucoup de mon métier qui tout d’un coup ont un autre regard, un fond de regard qui n’est plus le même et je pense que ceux là sont des malheureux parce qu’ils ont perdu leur regard d’enfant. »
De nombreuses séquences du documentaire témoignent du regard d’enfant de Charles Aznavour, en particulier les plans sur son père ou ceux sur les migrants qui ont sans doute inspiré Emmenez-moi. Si l’on devient cinéaste en croisant son regard avec celui des autres, comme l’affirmait Théo Angelopoulos, le chanteur l’était également devenu en amateur, au sens de celui qui aime, tout en demeurant un cinéphile impénitent. Et il aura réussi à trouver sa voie entre le cinéma et la chanson, deux passions qui lui étaient intimement liées depuis son enfance.
Le regard de Charles de Charles Aznavour, réalisé par Marc di Domenico
Aznavour, en haut de l’affiche par Charles Aznavour (Editions Flammarion, 2011)
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