« Le mariage n’est pas une prison, c’est un choix » affirme Julie Gayet

  • Tous les vendredis, « 20 Minutes » propose à une personnalité de commenter un phénomène de société dans son rendez-vous 20 Minutes avec…
  • Julie Gayet profite de son festival « Sœur jumelles », du 22 au 25 juin à Rochefort, pour évoquer avec «20 Minutes» des sujets qui lui tiennent à cœur.
  • L’évolution des médias et la place des femmes dans tous les aspects de la société sont au centre des sujets qui la font s’engager.

Julie Gayet est rayonnante. L’actrice et productrice déborde d’énergie au moment de lancer la manifestation  Sœurs jumelles qui se déroulera à Rochefort (Charente-Maritime) du 22 au 25 juin. Ce festival consacré au rapport entre la musique et l’image, avec des débats, des projections, des concerts (IAM, Stephan Eicher…) offre une bonne occasion à la récente quinquagénaire d’aborder des sujets qui lui tiennent à cœur. L’évolution des médias, la place des femmes, l’égalité salariale et le mariage (alors qu’elle vient d’ épouser François Hollande, son compagnon depuis dix ans), sont au centre de l’entretien qu’elle a accordé à 20 Minutes.

Ce festival « Sœurs jumelles », il est né du confinement ?

En partie, oui. J’ai été contrainte de mettre ma société de production, d’édition et de distribution en veille car ma petite entreprise a connu la crise en raison de la pandémie. Je n’avais pas les reins assez solides pour continuer et cet arrêt a été un déchirement. J’ai alors eu le temps de réfléchir à l’évolution de nos professions artistiques. Je me suis dit qu’il était temps de parler et de se retrouver pour discuter tous ensemble de la révolution numérique et des mutations qu’elle a apportées dans nos métiers. Le festival est aussi venu d’un besoin de chaleur humaine, d’un désir de contacts.

Pourquoi avez-vous donné un nom féminin au festival ?

« Sœurs jumelles » fait référence aux Demoiselles de Rochefort, ce petit port devenu célèbre dans le monde entier grâce au film de Jacques Demy. Une partie de la programmation met l’accent sur des femmes méconnues, mais importantes à mes yeux, comme, cette année, Jonna Bruzdowicz, compositrice de grand talent qui a notamment travaillé avec Agnès Varda. Si des œuvres composées par les femmes restent si peu connues, c’est tout simplement parce qu’elles ne sont pas jouées. Contrairement à un tableau, par exemple, une musique cesse d’exister si elle n’est pas interprétée.

Y a-t-il une évolution positive dans ce domaine ?

Il y a encore trop peu de compositrices mais l’avènement du numérique fait bouger les lignes. Je prends pour exemple Hildur Guonadottir qui a écrit les partitions du Joker de Todd Philipps, de la série Chernobyl et du jeu vidéo Battlefield 2042. La création est devenue transversale. C’est pour cela que le festival n’évoque pas que le cinéma mais tous les domaines qui concernent la rencontre de la musique et de l’image. Je suis personnellement une grande consommatrice de jeux vidéo, une fan de Zelda et de Guitar Hero. J’ai dû enlever les jeux que j’avais sur mon téléphone, car ils me faisaient perdre trop de temps, mais c’est un terrain de création merveilleux qui donne de très beaux modèles aux femmes avec des héroïnes dynamiques. C’est le cas pour Horizon Fobbiden West que les festivaliers pourront essayer à Rochefort

Vous faites l’éloge du jeu vidéo mais croyez-vous encore au cinéma en salle ?

Rien ne remplacera l’expérience immersive de découvrir des films tous ensemble. Ce n’est pas la même chose de voir une œuvre dans son salon derrière des lunettes de réalité virtuelle ou de la découvrir avec un public. Il va cependant falloir que les salles s’adaptent à un changement inévitable et qu’elles se réinventent. On peut comprendre que Disney préfère ne pas sortir ses films en salle s’ils doivent attendre des mois avant de pouvoir les mettre sur leurs plateformes. La chronologie des médias ne peut qu’évoluer mais cela n’implique pas la mort des salles. Il y a de la place pour tout le monde, mais il est impossible d’arrêter cette évolution. Il faut accepter de changer.

Cela vous effraie-t-il ?

Bien au contraire. Cela ouvre des portes dans tous les domaines de la création ! Autrefois les comédiens « sérieux » ne jouaient qu’au théâtre et méprisaient le cinéma. Puis les stars de cinéma ne voulaient pas faire de télévision parce qu’elles trouvaient le petit écran indigne d’intérêt. Des séries de qualité ont balayé les préjugés et tour le monde est prêt à changer de support. Le décloisonnement de la création apporte une nouvelle forme de liberté dans l’expression, ce qui est bénéfique.

Ne va-t-il pas falloir trouver de nouveaux modèles économiques ?

Bien sûr et cela veut dire que nous devons rester vigilants pour que les créateurs puissent continuer à être rétribués de façon équitable pour leur travail. Cela passe par la solidarité et l’information. Dans le jeu vidéo notamment, il existe un système baptisé « buy out » par lequel un concepteur de jeu reçoit une somme forfaitaire qui ne change pas quel que soit le succès du jeu. Cela va à l’encontre des droits des auteurs. Les jeunes générations doivent connaître ces pratiques de manière à les faire évoluer.

Et les femmes, ne sont-elles pas mieux considérées ?

Du point de vue de l’égalité salariale, rien n’a vraiment bougé. Les chiffres de la France ne sont pas « jolis-jolis » dans ce domaine. Dans le monde du spectacle, il existe des métiers – comme coiffeuses et maquilleuses – où les femmes, représentées à 80 %, touchent moins que leurs homologues masculins. J’en ai fait l’expérience en découvrant que certains de mes partenaires hommes étaient dix fois mieux payés que moi pour une présence à l’écran équivalente. Mon féminisme a infusé grâce à mes expériences personnelles.

Pourquoi les femmes sont-elles encore si mal payées ?

Elles réclament moins que les hommes. Quelque part, elles gardent encore l’idée que c’est une chance qu’on leur donne du travail. Cette notion est si profondément ancrée dans notre société qu’il va falloir des années pour l’extirper et que cela ne se fera pas tout seul. C’est pour cela que je crois aux quotas. Ne serait-ce que pour donner de l’espoir aux filles qui sortent des écoles. Il faut appuyer sur l’accélérateur, ce qui ne veut pas dire considérer les hommes comme des ennemis. Je n’aimerais pas plus une société qui ne serait composée que de femmes, qu’un monde où les hommes domineraient tout. Je crois en une société mixte. Je suis pour faire avancer les choses de façon paisible et ferme. Il faut arriver à un moment où les femmes peuvent rester féminines et ne plus avoir à se conduire comme des mecs ou à jouer sur la séduction pour réussir professionnellement.

Comment incluez-vous le mariage dans votre féminisme ?

Cela n’a rien de contradictoire. Il y a un bon moment que le maire ne parle plus de l’obéissance que l’épouse doit à son mari ! On n’est plus obligé de se marier de nos jours et on peut donc le faire librement. Cela s’est renforcé avec le mariage pour tous. Cela permet de se protéger car j’ai le souvenir des morts du sida dont les conjoints perdaient leur patrimoine commun en même temps que l’être aimé. Le mariage n’est pas une prison, c’est un choix. Surtout quand on a passé un certain âge et qu’on sait où l’on va. On peut rester soi-même en vivant avec quelqu’un, même en étant marié. On s’enrichit l’un l’autre, on s’engage mais cela ne veut pas dire qu’on s’appartient. On n’est pas définis l’un par l’autre. Chacun garde sa personnalité. C’est ce qui fait le succès des couples. « Mariage plus vieux, mariage heureux » me semble tout à fait approprié dans mon cas.

N’avez-vous pas l’impression d’un recul du côté des droits des femmes ?

Les avancées impliquent toujours une crispation notamment avec le retour en force d’idéologies religieuses radicales. Ce sont elles qui ont, par exemple, conduit au recul sur le droit à l’avortement aux Etats-Unis. Ce sont toujours les femmes qui trinquent ! Nous devons avancer ensemble et je constate avec bonheur que les femmes commencent à réseauter, une pratique qu’on associait autrefois exclusivement aux hommes. « Le futur des femmes sera ensemble » disait Agnès Varda. J’aime cette idée comme celle d’y inclure des hommes dont beaucoup souhaitent un changement vers plus d’égalité.

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