Affaire Roman Polanski : quelles sont les accusations portées contre le réalisateur depuis 1977 ?

« Polanski n’est la victime que de lui-même et je n’ai plus le choix », écrit-elle. Dans un texte publié par Le Parisien vendredi 8 novembre, Valentine Monnier, une photographe française, accuse le réalisateur Roman Polanski de l’avoir violée en 1975, alors qu’elle était âgée de 18 ans. Elle explique sa décision de parler, plus de quarante ans après les faits, par l’affaire Weinstein mais aussi par la sortie le 13 novembre de J’accuse, le dernier film du cinéaste, qui prend pour sujet l’affaire Dreyfus. « Depuis de nombreuses années, je me tiens au silence. (…) J’accuse aura marqué ma limite », écrit Valentine Monnier.

Depuis, plusieurs acteurs à l’affiche du film ont annulé leur venue dans différents médias. Ce nouveau témoignage a relancé le débat sur la place de Roman Polanski dans le milieu du cinéma, au regard des accusations dont il fait l’objet. Si les poursuites toujours en cours dans l’affaire Samantha Gailey, qui l’ont poussé à fuir la justice des Etats-Unis, ont été très médiatisées, le réalisateur a été accusé publiquement de viol ou d’agression sexuelle à onze autres reprises, dont six fois par des femmes témoignant en leur nom propre, même si aucun de ces autres cas n’a donné lieu à des poursuites. Franceinfo revient sur ces témoignages.

Samantha Gailey, mars 1977

Le 11 mars 1977, Roman Polanski, alors âgé de 43 ans, est arrêté à Los Angeles. Il est accusé d’avoir drogué et violé, la veille, une adolescente de 13 ans, Samantha Gailey, lors d’un reportage photo dans la villa de l’acteur Jack Nicholson à Hollywood. 

Devant un grand jury, dans les jours qui suivent, elle affirme qu’il lui a fait prendre un sédatif avant d’avoir des rapports sexuels avec elle. « Il ne voulait pas me faire de mal (…), mais il ne comprenait pas que j’étais trop jeune. Il ne voyait pas que j’avais peur », avait-elle affirmé.

« J’ai été prise en photo par Roman Polanski et il m’a violée », témoignera dans un livre publié en 2013 Samantha Gailey, devenue Samantha Geimer après s’être mariée. En 1984, dans ses Mémoires, le réalisateur reconnaît une relation sexuelle, mais affirme qu’elle était consentie.

Inculpé le 24 mars 1977 notamment pour viol, il plaide non coupable. Mais en août 1977, pour éviter un procès public, il change de stratégie et plaide coupable pour « détournement de mineure ». En échange, le juge abandonne les poursuites pour « viol avec fourniture et consommation de drogue ». Roman Polanski est néanmoins condamné à trois mois de prison, puis est libéré pour conduite exemplaire au bout de 42 jours.

Mais la veille de l’audience pour homologuer l’accord, le juge fait volte-face, affirme le camp Polanski : estimant la sentence insuffisante, il aurait déclaré que le cinéaste devrait passer jusqu’à cinquante années derrière les barreaux. Roman Polanski ne se présente pas à l’audience et s’envole alors pour Paris, le 31 janvier 1978. La justice américaine délivre alors un mandat d’arrêt international. 

En 1988, Samantha Gailey porte plainte au civil contre Roman Polanski. Des poursuites auxquelles le réalisateur a mis fin en 1993 par un accord avec la plaignante prévoyant qu’il lui verse 500 000 dollars, révèlent les médias américains en 2009.

Depuis, Roman Polanski a été arrêté à plusieurs reprises à l’étranger, en raison du mandat d’arrêt émis par les Etats-Unis. En 2009, il est interpellé à Zurich (Suisse) et passe deux mois en prison, avant d’être assigné à résidence pendant huit mois dans son chalet à Gstaad. Mais en juillet 2010, la Suisse rejette finalement la demande d’extradition. En 2014, le Franco-Polonais est arrêté à Varsovie, mais n’est pas extradé. Il n’a jamais été arrêté en France, le pays n’extradant pas ses ressortissants vers les Etats-Unis.

Samantha Geimer, née Gailey, lors d’une audience portant sur sa demande de cesser les poursuites contre Roman Polanski, devant un tribunal de Los Angeles (Californie, Etats-Unis), le 9 juin 2017. (PAUL BUCK / AP / SIPA)

Samantha Gailey a « pardonné » publiquement au réalisateur à plusieurs reprises depuis 2003 – tout en réaffirmant qu’il est coupable –, exprimant le souhait qu’il puisse retourner aux Etats-Unis. La justice américaine a refusé plusieurs demandes de clore l’affaire, aussi bien de la part de l’accusé que de sa victime, le plus récemment en 2017. Roman Polanski ayant reconnu sa culpabilité pour détournement de mineur, le délai de prescription ne s’applique pas dans cette affaire, comme l’expliquait en 2009 une analyste judiciaire de la chaîne américaine CBS.

Charlotte Lewis, mai 2010

En mai 2010, pour la première fois, une autre femme accuse Roman Polanski. L’actrice britannique Charlotte Lewis affirme que le réalisateur l’a violée lors d’un casting organisé chez lui à Paris en 1983. « M. Polanski savait que je n’avais que 16 ans quand il m’a rencontrée et m’a forcée », déclare-t-elle lors d’une conférence de presse. Elle est la seule femme à l’accuser de faits qui se sont déroulés après son arrestation dans l’affaire Samantha Gailey.

La victime déclarée ne porte pas plainte, mais livre son témoignage à la police de Los Angeles. Elle assure également s’être confiée à un ami, peu après les faits, et que ce dernier confirme son récit dans une attestation transmise à la police. Son avocate explique alors que cette prise de parole a pour but de montrer à la justice américaine que les actes dont l’accuse Samantha Gailey ne sont pas isolés.

L’actrice britannique Charlotte Lewis lors d’une conférence de presse à Los Angeles, le 14 mai 2010, au sujet de ses accusations contre Roman Polanski. (REED SAXON / AP / SIPA)

Peu après sa conférence de presse, une interview accordée par Charlotte Lewis au tabloïd britannique News of the World, en 1999, ressurgit. « Je voulais être son amante, confie-t-elle au journal. Il m’avait déjà castée pour son film Pirates [tourné en 1984 et dans lequel elle apparaît], donc ce n’est pas comme si c’était un de ces castings où vous devez coucher avec quelqu’un pour avoir le rôle. J’avais probablement plus envie de lui qu’il n’avait envie de moi. » Des propos que Charlotte Lewis nie avoir tenus : « Beaucoup des déclarations citées par l’article de News of the World sont fausses », déclare-t-elle. Un des avocats de Roman Polanski dénonce alors un « chantage »

« Robin », août 2017

Une troisième victime témoigne publiquement en août 2017. S’identifiant sous le nom de « Robin », mais apparaissant à visage découvert lors d’une conférence de presse à Los Angeles, elle dit avoir été agressée sexuellement (elle emploie le terme « sexually victimized », qui n’a pas de traduction exacte en français), sans dévoiler davantage de détails. Les faits se seraient déroulés en Californie en 1973, alors qu’elle avait 16 ans.

L’avocate Gloria Allred (à gauche) et une femme se présentant sous le prénom « Robin » (à droite) brandissent une photo d’elle à 16 ans, l’âge auquel elle affirme avoir été agressée sexuellement par Roman Polanski, lors d’une conférence de presse à Los Angeles, le 15 août 2017. (FREDERIC J. BROWN / AFP)

Elle confie s’être seulement confiée à un ami, le lendemain, et explique ne pas avoir pris la parole publiquement ni porté plainte parce qu’elle « ne voulai[t] pas que [s]on père fasse quelque chose qui puisse l’envoyer en prison pour le reste de sa vie. » « Robin » n’a pas porté plainte en 2017, les faits étant prescrits, mais s’est proposée de témoigner lors d’un éventuel procès de l’affaire Samantha Gailey.

Renate Langer, septembre 2017

En septembre 2017, Renate Langer, une ancienne actrice et mannequin allemande, fait une déposition auprès de la police suisse. Elle affirme avoir été violée par Roman Polanski en 1972 à Gstaad (Suisse), une station de ski où le réalisateur possède toujours un chalet, puis à Rome.

Livrant son récit au New York Times (article en anglais), Renate Langer, qui était alors mannequin, explique s’être rendue en Suisse car le réalisateur envisageait de lui offrir un rôle. Elle affirme avoir été violée une première fois dans une chambre à son domicile de Gstaad, et raconte « avoir été incapable de se défendre contre lui malgré ses tentatives ». Selon elle, Roman Polanski s’est excusé auprès d’elle un mois plus tard, lui offrant un rôle dans son film Quoi ?, qu’elle dit avoir accepté « après qu’il a indiqué qu’il la traiterait de façon professionnelle ». Mais elle explique avoir été violée une seconde fois lors du tournage, à Rome, « malgré ses tentatives de se défendre en lui jetant une bouteille de vin et un flacon de parfum ».

Renate Langer, alors âgée de 21 ans, sur le tournage du film « Les Désirs de Melody in Love », en 1978. (MAXPPP)

Elle précise ne pas avoir témoigné plus tôt pour ne pas choquer ses parents : « Ma mère aurait fait une crise cardiaque. » En novembre 2017, la justice suisse a déclaré les faits prescrits, en vertu de la loi en vigueur à l’époque des faits, qui fixait le délai de prescription à quinze ans.

Marianne Barnard, octobre 2017

Quelques jours plus tard, en octobre 2017, dans une interview au tabloïd britannique The Sun (article en anglais) une artiste américaine, Marianne Barnard, accuse le réalisateur de l’avoir « agressée sexuellement » en 1975, alors qu’elle avait 10 ans. Mannequin dans son enfance, elle raconte avoir été conduite par sa mère sur une plage de Malibu, en Californie, pour être prise en photo par le réalisateur. 

« Il a voulu que je retire mon bas de bikini – j’ai commencé à me sentir très mal à l’aise, décrit Marianne Barnard. Puis, à un moment, j’ai réalisé que ma mère était partie. Je ne sais pas où elle est allée. (…) Puis il m’a agressée sexuellement », affirme l’artiste.

Marianne Barnard, qui dit avoir été encouragée à prendre la parole par l’affaire Weinstein, affirme au Sun avoir fait une déposition auprès de la police de Los Angeles. Un avocat de Roman Polanski, Hervé Temime, réagit dans un communiqué. Il affirme que le réalisateur « conteste formellement les accusations de madame Barnard », et que toutes les accusations le visant, en dehors de l’affaire Samantha Gailey, sont « sans fondement ».

Cinq femmes anonymes, par l’intermédiaire d’un militant israélien, novembre 2017

Début novembre 2017, un réalisateur et journaliste israélien qui se décrit comme « militant féministe », Matan Uziel, met en ligne un site internet, imetpolanski.com (« J’ai rencontré Polanski.com »), destiné à recueillir les récits d’autres victimes du cinéaste. Il affirme, quelques jours plus tard, avoir recueilli cinq nouveaux témoignages, de femmes qui souhaitent rester anonymes, mais qui « nous ont écrit sous leur nom », affirme-t-il alors à L’Obs. Une seule accepte que son récit soit publié in extenso. Une capture d’écran du texte attribué à cette « Jane Doe #1 » a été publiée par le tabloïd britannique The Sun (article en anglais). Elle dit avoir été agressée sexuellement à 15 ans, en 1976, lors d’un dîner à Gstaad (Suisse) en présence de son père, mais aussi des acteurs Jack Nicholson et Anjelica Huston. « Je me souviens que Polanski (…) a mis sa main sur ma jambe », décrit le texte. « Puis, il a commencé à toucher mon sexe, et essayé de le presser et le frotter avec sa main, tout ça sous la table et en face de mon père. » La victime déclarée affirme que, parce qu’elle avait déjà été agressée sexuellement par le passé, elle « pensait que c’était un comportement normal ».

Matan Uziel affirme avoir recueilli quatre autres témoignages de faits qui se sont déroulés entre 1969 et 1976. Les victimes déclarées disent qu’elles étaient alors âgées, respectivement, de 9, 10, 12 et 16 ans. « Nous avons vérifié qu’il s’agissait de personnes réelles, que c’était crédible », affirme alors Matan Uziel à L’Obs. « Mais elles veulent rester anonymes, ne souhaitent pour l’instant pas contacter la presse. Quant à porter plainte, elles n’en sont pas du tout là. » Il explique, selon l’hebdomadaire, que toutes ont évoqué des agressions sexuelles, sans davantage de détails.

Contacté par L’Obs, Hervé Temime, avocat de Roman Polanski, avait vivement réagi : « Un site qui lève des fonds, pour inciter à la délation, on dépasse toutes les limites de l’acceptable ! » Sur Twitter, Matan Uziel a en effet promis une récompense de 20 000 dollars à quiconque fournirait un témoignage permettant d’incriminer le réalisateur, ce qu’il a confirmé à l’hebdomadaire. Un mois plus tard, en décembre 2017, Roman Polanski a porté plainte pour « diffamation » contre Matan Uziel. Une plainte finalement retirée quelques mois plus tard par le réalisateur, qui avait refusé de répondre à une convocation de la justice israélienne dans cette affaire, rapporte le journal israélien Haaretz (en anglais).

Mallory Millett, novembre 2017

En novembre 2017, toujours, une autre femme témoigne dans le tabloïd britannique The Sun, après, selon L’Obs, avoir contacté le site imetpolanski.com. Mallory Millett, une actrice américaine ayant également tourné sous le nom Mallory Jones, affirme avoir été victime de deux tentatives de viol de la part du réalisateur en février 1970, alors qu’elle avait 29 ans. Invitée par deux amis à un dîner avec ce dernier, puis à prendre le café dans sa suite, elle finit par se trouver seule avec lui, alors qu’il a, selon ses amis, consommé du LSD. « Quand j’ai essayé de partir, il ne voulait pas me laisser faire et a tenté de me violer avec beaucoup, beaucoup de force, affirme-t-elle. J’ai dû me dégager de lui, passer la porte et fuir en courant dans le hall de l’hôtel. »

Elle dit avoir revu Roman Polanski car celui-ci souhaitait s’excuser, mais une nouvelle fois, elle affirme qu’il « a tenté de [l]’enlacer et de [la] maintenir à terre, et [elle] a dû fuir pour la seconde fois ». Près de cinquante ans plus tard, elle explique au Sun pourquoi elle n’a pas porté plainte : « Je n’en ai jamais parlé à la police, parce que comment pouvais-je le prouver ? J’étais juste une jeune actrice inconnue et il était un grand réalisateur. »

Valentine Monnier, novembre 2019

Aucun nouveau témoignage au sujet de Roman Polanski n’avait été rendu public jusqu’au 8 novembre 2019, et celui d’une Française, Valentine Monnier, dévoilé par Le Parisien. Depuis 2017, celle-ci avait livré son récit dans des courriers à la police de Los Angeles, ainsi qu’à Brigitte Macron et aux ministres Franck Riester et Marlène Schiappa, cette dernière lui adressant une réponse écrite consultée par le quotidien. Dans un texte publié par le journal, Valentine Monnier explique avoir finalement décidé de parler publiquement en réaction à la sortie de J’accuse, le film de Roman Polanski sur l’affaire Dreyfus.

L’actrice Valentine Monnier dans le film « Elle voit des nains partout », sorti en 1982. (CHLOE – FOCH – SPHYNX / COLLECTION CHRISTOPHE L / AFP)

« En 1975, j’ai été violée par Roman Polanski, écrit-elle. Ce fut d’une extrême violence, après une descente de ski, dans son chalet, à Gstaad. Il me frappa, roua de coups jusqu’à ma reddition, puis me viola en me faisant subir toutes les vicissitudes. Je venais d’avoir 18 ans et ma première relation seulement quelques mois auparavant. Je crus mourir. » Elle explique au Parisien qu’elle avait été invitée en Suisse par une amie de l’époque, et dit avoir été violée par le réalisateur alors qu’elle se trouvait seule avec lui, après qu’il a tenté de lui faire avaler un cachet.

Le Parisien explique avoir recueilli plusieurs témoignages qui corroborent la version de Valentine Monnier : ceux de quatre proches à qui elle dit avoir raconté les faits entre 1975 et 2001, ainsi que de deux amis de Roman Polanski qui l’avaient recueillie le soir des faits. Tous confirment le récit de la victime déclarée, et s’engagent, explique le journal, à témoigner « si l’accusation prenait une tournure judiciaire ». Aucun n’a cependant été témoin direct du viol.

Valentine Monnier indique ne pas avoir déposé plainte pour ces faits, désormais prescrits. « Roman Polanski conteste fermement toute accusation de viol », a fait savoir son avocat Hervé Temime au Parisien.

Source: Lire L’Article Complet