« Je laisserai à la postérité une chanson, mais pas mon nom », pense Dave
- Début novembre, Dave a publié Comment ne pas être amoureux de vous, ses mémoires, aux éditions Talent Sport. Un projet qu’il a lancé après avoir été victime d’un sérieux accident domestique début 2022. « Je n’ai plus ni goût ni odorat suite à l’accident, explique-t-il à 20 Minutes. J’ai aussi d’autres problèmes de mémoire immédiate liés à la chute et à l’âge. »
- « Je pense vraiment que ce que je pourrais laisser, c’est une chanson, mais pas mon nom, estime-t-il. Aujourd’hui, des gens citent par exemple Le Métèque sans savoir que c’est Moustaki qui la chantait. Restera donc peut-être, de préférence, Du côté de chez Swann car Vanina est une adaptation ».
- Le chanteur aura 80 ans en mai prochain. Le 21 mai, il sera sur la scène du Grand Rex, à Paris : « J’ai vraiment envie de faire des chansons très seventies, que les gens qui aiment ce que je fais connaissent. Ils ne seront pas déçus. Je n’ai jamais compris qu’un chanteur interprète en concert l’intégralité de son dernier album. Le public attend surtout les anciennes chansons. »
« C’est ma quatrième autobiographie. Je n’ai pas vécu quatre vies mais, à chaque fois, il y a de nouveaux souvenirs qui me reviennent ». Ainsi Dave nous parle-t-il de Comment ne pas être amoureux de vous, ses mémoires parues début novembre aux éditions Talent Sport. Si le chanteur livre de nouvelles confidences, après Du côté de chez moi, Soit dit en passant et J’irais bien refaire un tour, sortis respectivement en 1997, 2003 et 2012, c’est aussi parce que, comme il le dit dans l’avant-propos, « il s’en est fallu de peu que ça s’arrête ».
En janvier 2022, l’artiste a chuté chez lui, de trois mètres de haut. Un accident domestique – il a trébuché en montant un escalier en courant pour aller étendre un jean tout juste sorti de la machine à laver. Quatre jours de coma. Une fois tiré d’affaire, il a constaté que sa mémoire immédiate était défaillante. « Il m’arrive de ne plus me souvenir d’un appel, si un artiste est encore vivant, ou du nom de mes célèbres voisins », déplore-t-il. « Heureusement, mes souvenirs anciens sont intacts mais j’ai peur de ne pas me souvenir des lignes que j’écris », poursuit-il.
Celles-ci sont désormais immortalisées sur plus de trois cents pages en encre noire sur papier blanc. L’artiste, qui fêtera ses 80 ans sur la scène du Grand Rex, à Paris, en mai 2024, a reparcouru le fil de ses souvenirs avec 20 Minutes.
Comment allez-vous ?
Je pense que je ne vais pas trop mal, excepté que je n’ai plus ni goût ni odorat suite à l’accident. Pour moi qui suis né épicurien, deux fois par jour, au déjeuner et au dîner, je « chagrine » – ce n’est pas français mais vous comprenez ce que je veux dire. J’ai aussi d’autres problèmes de mémoire immédiate liés à la chute et à l’âge. Par exemple, je reçois un SMS, je tape la réponse, puis j’oublie de l’envoyer et après je me fais engueuler parce que je n’ai pas répondu.
Dans votre dernier livre vous déplorez avoir été longtemps considéré comme un « chanteur pour midinettes ». Cela vous a-t-il pesé ?
Non ce n’était pas « pour midinettes » mais « chanteur pour minettes ». « Minettes », c’est aussi le sexe de la femme, c’est ça qui est intéressant. Je ne connaissais pas l’expression à l’époque, parce que, avant de faire des disques, je chantais dans la rue. J’ignorais qu’on pouvait devenir chanteur « pour minettes » en faisant des disques. Dans les années 1970, on vendait beaucoup de disques – un peu comme, aujourd’hui, Matt Pokora ou des gens qui sont là aussi pour leurs physiques de jeunes hommes faisant rêver des nanas. Cela ne m’a pas déplu, mais je disais à la maison de disques qu’un jour les gens allaient se rendre compte que ce n’était pas tout à fait ça quand même… (rires)
Vous viviez alors déjà en couple avec Patrick Loiseau, qui est aussi l’auteur de vos chansons. Vous sentiez-vous obligé de cacher la vérité ?
Quoi ? Le côté homo ? Pas du tout. C’est juste que c’était impossible d’en parler parce que cela ne faisait pas vendre. Je raconte souvent cette anecdote qui m’a frappé. Dans les années 1980, le quotidien néerlandais le plus populaire, le Telegraaf, avait publié un long article sur un homme arrêté pour espionnage qui commençait sur la Une et se poursuivait page 4. Dans les pages intérieures, on comprenait qu’il était homo. En France, le journal aurait sans doute titré en Une : « Un haut fonctionnaire homosexuel a été arrêté ». Au Pays-Bas, être gay n’est pas un sujet.
Vous racontez aussi que plus récemment, au début des années 2000, il vous a été refusé de participer avec Patrick Loiseau à « Qui veut gagner des millions ? »…
Oui, c’est dingue ça.
Vous n’avez pas eu d’explications ?
Ce n’était pas la peine de les demander, j’ai très bien compris. C’est TF1. A l’époque, la chaîne pensait peut-être faire moins d’audimat.
Vous affirmez dans votre livre que les moins de 50 ans ne connaissent que deux chansons de vous, « Vanina » et « Du côté de chez Swann »…
Oui, c’est déjà deux fois plus que Patrick Hernandez [auteur et interprète de Born to Be Alive] mais c’est quand même pas beaucoup (rires).
Quand je fais un concert, les gens ont, en gros, entre 60 et 100 ans. Ils viennent parfois avec leurs petits-enfants qui savent à peine qui je suis. Ça se conçoit. Et ça s’accepte – difficilement.
Ce qui restera de vous vous préoccupe-t-il ?
Non, je réponds généralement que n’étant pas une limace, je ne laisse pas de traces (sourire). Je pense vraiment que ce que je pourrais laisser, c’est une chanson, mais pas mon nom. Aujourd’hui, des gens citent par exemple Le Métèque sans savoir que c’est Moustaki qui la chantait. Restera donc peut-être, de préférence, Du côté de chez Swann car Vanina est une adaptation.
Quelle est, parmi toutes celles de votre répertoire, votre chanson fétiche ?
Je n’en ai pas vraiment, mais celle qui fait le plus d’effet sur une salle, c’est La Décision. C’est une chanson d’après une musique de Brahms, qui est venue d’un éditeur allemand, et pour laquelle Patrick Loiseau, qui est donc mon auteur et mon compagnon, a écrit les paroles. Mais je pense – cela ne va pas lui plaire – que ce n’est pas le texte qui a fait le succès de ce morceau mais le fait qu’il soit impressionnant vocalement, il est fait pour le ténor que je suis.
Depuis le début de votre carrière, vous avez connu plusieurs des évolutions de l’industrie musicale…
Même la fin !
Avez-vous l’impression que c’est la fin ?
Je pense que le disque est devenu un objet démodé, obsolète. Les jeunes écoutent en streaming, les rémunérations des artistes se comptent à quelques centimes par lecture. Vanina, j’en vendais 40.000 exemplaires par jour. Aujourd’hui, un disque d’or, c’est 50.000 exemplaires, à l’époque, c’était un million.
Qu’en est-il de « Souviens-toi d’aimer », votre dernier disque, sorti en 2019 ?
Quand je suis allé promouvoir cet album, qui était produit par Renaud, ce qui est quand même original, à RTL, le directeur des programmes est sorti pour me saluer et me dire qu’il avait adoré le disque. Il m’a dit : « Je ne peux pas le passer, évidemment, mais c’est beau ! » J’avais envie de l’étrangler. Pourquoi il ne peut pas le passer ? Parce que je suis trop vieux. La radio Nostalgie a arrêté de diffuser des morceaux des années 1970. La nostalgie commence maintenant dans les années 1980, c’est commercial évidemment, parce que celles qui sont la cible avaient 10 ans à cette époque. C’est une forme de sectarisme qui est emmerdant, même s’il est compréhensible sur le plan purement commercial.
Les artistes doivent-ils maintenant compter sur leurs concerts pour engranger des revenus ?
Heureusement. Et ça me va, parce que c’est ce que je préfère dans mon métier. Sur scène, on oublie tout le malheur qu’on a. Je cite souvent l’exemple d’Annie Cordy. J’ai fait une tournée « Age Tendre » avec elle. Elle boitait toute la journée à cause d’un problème de genou mais, sur scène, elle dansait comme si elle avait 17 ans.
On est heureux pendant une heure, une heure et demie – ou, si on est Salvatore Adamo, trois heures –, et en plus, on a un chèque à la fin.
Quels artistes de la jeune génération appréciez-vous ?
J’aime beaucoup Zaz, parce qu’elle a un timbre à l’américaine, un peu à la Brenda Lee, un peu rauque. J’aime aussi beaucoup Vianney, je l’ai reçu dans une de mes émissions [ « Du côté de chez Dave », qu’il a présenté de 2014 à 2016 sur France 3] avant que sa musique marche. Il est agréable à vivre mais je ne suis pas très sensible à ce qu’il écrit. C’est un talent original et c’est ça l’essentiel. Claudio Capéo est un accordéoniste qui chante pas mal, il a une voix sympa. C’est démodé, ce qu’il fait, mais ça plaît aujourd’hui, donc tant mieux.
Dans vos mémoires, vous évoquez aussi Slimane…
Slimane chante bien. La chanson avec laquelle il va participer à l’Eurovision [Mon amour] me semble avoir de véritables possibilités pour enfin succéder à Marie Myriam. Il n’y a pas longtemps, je discutais avec elle et elle disait avoir hâte qu’un autre Français gagne à nouveau pour qu’elle puisse rester chez elle. Elle a cessé de chanter quand son mari est mort et elle voudrait bien arrêter d’être « la chanteuse de l’Eurovision ». Je souhaite bonne chance à Slimane. La chanson est vocalement intéressante. Pour le concours, elle n’est pas trop téléphonée.
Vous avez failli participer à l’Eurovision en 1969, non ?
J’ai participé aux présélections aux Pays-Bas. Mais c’est Lenny Kuhr qui l’a emporté et elle a ensuite gagné l’Eurovision, sauf que c’était une année avec quatre vainqueurs. Elle chantait De Troubadour, c’est une gentille fille. Elle a quand même fait la première partie de Brassens à Bobino.
Vous avez commenté l’Eurovision avec Marc-Olivier Fogiel en 2001 et 2002…
C’est un très bon souvenir. A l’époque, je n’avais pas spécialement envie de faire son émission, « On ne peut pas plaire à tout le monde », car, comme beaucoup de gens, j’avais un jugement un peu hâtif. Il était traité de pitbull parce qu’il coupait la parole aux invités. Un programmateur télé m’avait dit qu’on était faits pour nous entendre. Quand j’ai appris qu’il aimait Salvatore Adamo, j’ai pensé que quelqu’un qui aimait Adamo ne pouvait pas être mauvais (rires). J’ai fait l’émission, ça s’est très bien passé et on est devenus amis.
Et vos commentaires de l’Eurovision ont marqué les esprits…
On racontait des choses pas possibles. La chanteuse allemande était non-voyante. J’avais dit qu’elle était affreusement mal habillée et que c’était normal parce qu’elle ne voyait rien. J’ai présenté mes excuses ensuite. On a commenté deux éditions et on a été virés.
Vous aurez 80 ans le 4 mai 2024, et vous ferez un concert pour l’occasion le 21 mai. Avez-vous hâte ?
Pour la première fois de ma vie, je vais faire le Grand Rex. J’y avais vu Nougaro et j’ai toujours pensé que ce serait bien que je me produise dans cette salle un jour.
A quoi le public peut-il s’attendre ?
J’ai vraiment envie de faire des chansons très seventies, qui étaient des bonnes ventes à l’époque et que les gens qui aiment ce que je fais connaissent. Ils ne seront pas déçus. Je n’ai jamais compris qu’un chanteur interprète en concert l’intégralité de son dernier album. Le public attend surtout les anciennes chansons. Du dernier album, je ferai seulement une chanson sur mes amis homosexuels qui sont morts du sida, et La Fille aux deux papas, pour faire plaisir à Marc-Olivier Fogiel qui a deux enfants nés d’une GPA.
Vous racontez que vous choisissez avec soin l’ordre dans lequel vous allez interpréter vos chansons sur scène. Est-ce vraiment le cas ?
Oui, je crois qu’en faisant Godspell je suis allé à l’université de la chanson. On a joué cette comédie musicale plus de 700 fois avec, entre autres, Daniel Auteuil et Armande Altaï [au début des années 1970]. C’est vraiment un dosage à prendre en compte.
Je suis assez fier d’avoir « créé » la formule « EFGH » : émotion, folie, générosité, humour. Pour moi, ce sont les mamelles d’un bon spectacle.
En concert, entre deux chansons, j’essaie d’être drôle, mais il m’arrive de me tromper. En 2019, en chantant Mon cœur est malade, j’ai couru dans la salle, fait n’importe quoi, et j’ai vu le public que j’avais face à moi. Je suis remonté sur scène et j’ai dit : « Vous et moi avons un point commun : on ne peut plus mourir jeunes. » Ça a provoqué un silence total. Cela n’a pas fait rire du tout. C’étaient des seniors et ils n’avaient pas envie qu’on leur rappelle que nous allons tous mourir. Moi, je trouve ça drôle.
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