"Sapé comme Jadis", ou comment la mode dit beaucoup de notre époque
Avec "Sapé comme Jadis", Yvane Jacob nous rappelle que le vêtement n’est pas seulement une question d’apparence.
Pourquoi Margaret Thatcher ne sortait jamais sans un sac à main ? Pourquoi Donald Trump tient à dire qu’il ne porte jamais de peignoir ? Pourquoi Rosa Parks était toujours tirée à quatre épingles ? Qui peut nous dire pourquoi la reine Elizabeth II porte constamment des vêtements aux couleurs criardes ? Ces questions, Yvane Jacob y répond dans Sapé comme Jadis, un compte Instagram d’abord, mais aussi un livre paru aux éditions Robert Laffont en octobre dernier, dans lequel elle nous présente 60 figures historiques et leur rapport aux vêtements.
La mode a longtemps été, et reste, un objet de distinction, le vêtement a fait l’objet de luttes de pouvoir.
Il y a encore quelques années, il était totalement admis que la mode était l’empire de la futilité. On la classait parmi ces choses de la vie sans importance, sans consistance suffisante. Certes, on lui concédait quelques vertus, notamment celles qui avaient un jour eu trait à l’émancipation des femmes. D’accord pour Coco Chanel et ses tenues garçonnes, OK aussi pour la mini-jupe de Courrèges. N’oublions pas le smoking d’Yves Saint Laurent.
Pourtant, dans l’industrie de la mode, la vision du vêtement et de l’accessoire -comme accessoires, vous l’avez ?- ont fait long feu. Au-delà du matériel, la mode fait exister les inspirations de multiples designers qui a permis à l’industrie de s’enrichir de sous-culture et contre-culture comme le punk ou le grunge, pour ne citer qu’elles.
Dans les milieux universitaires, aussi, on commence à voir émerger les fashion studies. Sous la houlette de la commissaire d’exposition et auteure Valérie Steele à New York par exemple, la mode se regarde, passe à la moulinette du mainstream et, finalement, trouve un nouveau tremplin sur les réseaux sociaux. Rapidement, on réalise une chose : on s’habille tous et jamais par hasard ! La mode dit quelque chose de ceux et celles que nous sommes, autant que nous sommes.
« Sapé comme jadis est né de cette volonté de raconter ces histoires peu connues, par le biais de courtes biographies, pour replacer le vêtement dans la relation intime que nous entretenons avec lui. C’était aussi une manière d’amener mes amis étrangers au milieu de la mode à s’y intéresser, et les gens de la mode à une vision plus historique du vêtement », nous confie Yvane Jacob l’autrice du compte Instagram et de l’ouvrage éponymes, responsable de collections dans la mode. Son travail, c’est d’aider les designers d’une marque à construire une collection cohérente, à leur faire placer leurs vêtements dans un contexte sociale et politique.
L’idée du compte lui est venue en suivant des études de sciences politiques puis de mode à l’IFM. Elle explique : « En étudiant l’histoire de la mode, j’ai été frappée par la récurrence et l’importance (en quantités) des lois somptuaires. Et donc par le fait que le politique s’est énormément mêlé d’affaires vestimentaires ». Les lois somptuaires, sont des lois qui réglementent voire imposent les habitudes de consommation, elles rythment l’ordre sociale et commercial d’un pays et touchent donc la mode de près.
La mode a longtemps été imposée au reste du monde par l’Occident, comme un outil de domination culturelle.
Loin de se limiter à une vision occidentale, les figures qu’elle a choisies viennent des quatre coins du monde. « Je voulais rappeler que ce qui nous paraît évident ne l’est en fait jamais. Et c’est particulièrement visible dans le domaine des vêtements, des couleurs. La mode a longtemps été imposée au reste du monde par l’Occident, comme un outil de domination culturelle. Le costume cravate en est l’exemple le plus évident. On en trouve encore trace aujourd’hui dans les scandales récurrents qui agitent le monde de la mode et qui prouvent que les marques influentes sont encore principalement dirigées par des Occidentaux », souligne Yvane Jacob.
60 personnalités politiques ou historiques, de Marie-Antoinette à Simone de Beauvoir en passant par Fidel Castro nous sont donc racontées à travers leurs vêtements. En plus d’avoir un rapport inclusif à l’histoire, le livre laisse également une place aux hommes. Parce que s’il nous a été longtemps été compté que le vêtement était l’apanage du féminin, Yvane Jacob nous révèle une histoire toute autre en mettant en avant des profils tels que Sitting Bull, Kwame Nkrumah ou encore Yasser Arafat. Elle explique : « Au départ, j’essayais d’alterner toujours un homme et une femme, parce que les personnages historiques qui me venaient immédiatement à l’esprit étaient majoritairement des hommes. Or, le vêtement a été un énorme enjeu pour les femmes, et il y a des personnages féminins qui ont fait usage extraordinaire du vêtement ».
S’il est divisé en différentes thématiques comme le vêtement scandale, la libération des femmes ou l’outil de la révolution, en filigrane le livre explore le lien entre mode et politique. « Je voulais montrer que la façon dont on s’habille n’est jamais neutre, mais s’inscrit dans un ensemble de codes, une histoire des luttes, des rapports de domination, des pratiques de distinction, etc. Après la Révolution, pour la France, cet aspect n’est plus aussi présent que dans l’Ancien Régime, mais il est remplacé par un enjeu de communication, tout aussi crucial », note Yvane Jacob.
Je voulais montrer l’usage que ces femmes ont fait du vêtement pour améliorer leur quotidien, défendre leurs idées ou réaliser leurs rêves.
Et c’est ainsi qu’on apprend comment le sac de Margaret Thatcher a traumatisé des hommes politiques, mais aussi la manière dont Angela Davis a fait de ses cheveux un symbole militant ou encore que Simone de Beauvoir s’intéressait plus aux vêtements qu’on pourrait le croire. Les femmes occupent d’ailleurs une place de choix dans son ouvrage, sans être limitées à l’inconique Gabrielle Chanel. Yvane Jacob : « Le rôle de Chanel est très important, mais il est bien connu. Je voulais montrer l’usage que ces femmes ont fait du vêtement pour améliorer leur quotidien, défendre leurs idées ou réaliser leurs rêves. On s’identifie à elles, c’est très émouvant « .
« Le rythme de mode s’est accéléré et que ça contribue à vider les vêtements de leur sens. J’ai l’impression que les créateurs se concentrent aussi davantage sur l’esthétique que sur le message », souligne Yvane Jacob. Dernièrement, Instagram joue un rôle prépondérant dans notre rapport à la mode et à son histoire. Parfois dans son actualité la plus directe avec des comptes comme Diet Prada et la flopée de nouveaux critiques de mode qui répertorie ce qui se passe quotidiennement dans l’industrie.
En se penchant sur l’histoire de la mode, on se rend par exemple compte que le féminisme ne peut être qu’un tee-shirt.
D’autres compte s’intéressent à la mode en allant voir du côté de ses archives. C’est le cas de @sapecommejadis, @diorinthe2000s consacré au passage de John Galliano au sein de la maison française ou encore @McQueen_Vault qui revient sur le travail magistral de Lee Alexander McQueen ou @old_céline qui rend hommage à celui de Phoebe Philo. Et quand on demande à Yvane Jacob pourquoi il est important de regarder en arrière, elle sait trouver les mots pour nous convaincre : « En se penchant sur l’histoire de la mode, on se rend par exemple compte que le féminisme ne peut être qu’un tee-shirt. Le corps a beaucoup été contraint, la mode a longtemps été, et reste, un objet de distinction, le vêtement a fait l’objet de luttes de pouvoir. L’histoire peut aider à éclairer le présent, à nous rappeler que les choses qui peuvent nous sembler immuables ne le sont jamais. »
Sapé comme jadis, par Yvane Jacob. Editions Robert Laffont. Prix : 22€
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