Pourquoi Stella Jean ne défile pas lors de la Fashion Week de Milan ?
Au lieu d’un défilé classique, la créatrice italienne a choisi, à travers une série photo et des vidéos, de mettre en lumière la situation complexe des italiens non-blancs.
Deux fois par an, c’est la même rengaine, les institutions de mode, en France comme à l’étranger, présentent le calendrier officiel de leur Fashion Week respective. Mais cette saison, un nom manque à l’appel de la semaine de la mode milanaise, celui de la créatrice italienne d’origine haïtienne Stella Jean. La créatrice a décidé, en signe de contestation suite aux politiques discriminatoires du pays, de faire porter sa collection à 20 femmes ayant été victime de racisme ordinaire.
Qui peut prétendre à l’italianité ?
« En tant que première designer noire italien, et en fait la seule, à la suite des derniers événements racistes inacceptables qui se sont multipliés dans notre pays, la ministre Luciana Lamorgese a déclaré l’Italie en état d’urgence culturelle. Je fais face à une histoire que je connais malheureusement très bien, et je ne peux pas rester silencieuse et présenter comme si rien ne s’était passé », nous a écrit Stella Jean dans un e-mail en début de semaine. Par ces simples mots, elle lie son histoire personnelle à celle de son pays de naissance qui a fait de « l’italianité« un concept excluant.
L’italianité, c’est le folklore italien qui mêle la pizza, les Vespa, la Cinecittà et les campagnes de Dolce & Gabbana autant que le Naples d’Elena Ferrante. Un roman national fort dont l’imaginaire s’embarrasse fort peu des questions de diversité. Déjà, en février 2019, le magazine indépendant DOCUMENT publiait un article intitulé : « 8 créatifs afro-italiens partagent leur difficulté à se faire connaître ». Est mis en relief dans cet article l’incapacité du pays à s’envisager dans sa pluralité qui compte pourtant des Italiens noirs, asiatiques, arabes, etc.
Concernant les afro-italiens, l’article cite notamment le travail de l’historien Mauro Valeria qui rappelle qu’entre 1850 et 1880, plus de 1500 bébé africains ont été enlevés à leurs parents et emmenés en Italie par un groupe religieux. Le but ? Leur imposer le mode de vie occidentale. Mais la population noire italienne a commencé à être envisagée comme problématique dès la tentative d’invasion de l’Éthiopie pas Mussolini dans les années 30.
Un pays sous le joug des discriminations
Aujourd’hui, lorsqu’on parle de l’Italie et de son rapport à la diversité, le racisme n’est jamais loin. On pourrait citer le monde du football et les nombreuses fois où le joueurs noir italien Mario Balotelli – pour ne citer que lui – a dû quitter le terrain en cours de matchs, mais aussi les injures racistes rencontrées par la ministre Cécile Kyenge suite à sa nomination en 2013 tout comme le manque flagrant d’inclusion sur les podiums milanais lors de la Fashion Week. L’accès au pouvoir de Matteo Salvini en août 2018 n’a fait qu’aggraver un climat déjà un peu hostile notamment parce qu’il a cristallisé la problématique migratoire.
Le HCDH craint que le discours politique ne se développe pour dépeindre des personnes comme étrangers, ennemis, concurrents et « autres »
L’Italie, porte d’entrée principale de la crise migratoire, avait en 2017, sous l’égide de l’ancien ministre de l’Interieur Marco Minniti, fait adopter le pacte migratoire « Italie-Libye« . Son rôle ? Faire en sorte que les garde-côtes libyens interceptent les bateaux transportants des migrants pour, officiellement, mettre un terme au trafique d’être humain. Une pratique dont le résultat a révélé un nouveau marché de l’esclavage, en Libye, où le viol et la torture des migrants sont monnaie-courante. Les Nations unies ont d’ailleurs qualifiées le processus comme était « inhumain ».
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Sous Salvini, le pays a connu une subtile, mais non-négligeable montée du racisme, de la xénophobie et de la ségrégation culturelle notamment après la mise en place du « décret Salvini » qui a supprimé la catégorie de « protection humanitaire » pour les demandeurs d’asile et introduit de nouvelles méthodes d’octroi et de retrait de la nationalité italienne ainsi que la fermeture des ports italiens aux bateaux de recherche et sauvetage des ONG et durci les règles relatives au rapatriement. En 2018, le nombre de crimes raciaux à augmenté au point de bénéficier d’une entrée spéciale sur Wikipedia.
Dans son « rapport de mission en Italie sur la discrimination raciale, en mettant l’accent sur l’incitation à la haine raciale et à la discrimination » publié en 2019, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme écrit : « Le HCDH craint que le discours politique ne se développe pour dépeindre des personnes comme étrangers, ennemis, concurrents et « autres ». Par exemple, le décret-loi sur Immigration et sécurité – même par son titre – établit un lien entre immigration, citoyenneté et la sécurité, renforçant ainsi les perceptions discriminatoires qui stigmatisent et associent les migrants et les minorités criminelles ».
Avant de conclure : « L’immigration » et la « sécurité » alimentent la perception selon laquelle les migrants et les minorités doivent être crainte, servant à exploiter des incertitudes et des angoisses souvent indépendantes à des fins politiques. OHCHR craint que ces liens conduisent à une augmentation de la discrimination raciale, des discours haineux et les crimes de haine, ainsi que de les rendre plus socialement acceptables ».
We made Italy, now we must make Italians
C’est donc dans ce climat tendu que Stella Jean a introduit cette semaine les pièces de sa collection pour l’automne-hiver prochain en partenariat avec l’UNAR, l’Office national de lutte contre la discrimination raciale. La créatrice les a approchées et a expliqué l’idée derrière son projet : « J’ai été touchée par leur ferme volonté de faire et de soutenir cette idée qui ne se veut pas victimaire, mais provoquer des réactions ».
italiennes au-delà de tous les stéréotypes, italiennes au-delà de toutes les nuances de couleur
C’est sous le slogan « We made Italy, now we must make Italians » ou « Nous avons fait l’Italie. Maintenant, il ne nous reste qu’à faire les Italiens » que la styliste italienne a présenté sa campagne engagée. « Cette célèbre phrase à été prononcée par l’homme d’état Massimo D’Azeglio, il y a 159 ans. Elle signifie : bien que l’Italie soit géographiquement et politiquement unie en 1861, les différentes cultures, traditions et langues (dialectes) y régneront toujours. Et c’est incroyable qu’après tout ce temps, la situation soit identique. Maintenant les nouveaux Italiens sont une réalité a laquelle personne ne peut s’opposer parce qu’aujourd’hui, le multi-culturalisme est une condition irréversible » , explique Stella Jean.
Pour porter cette vidéo, elle a fait appel à 20 femmes « italiennes au-delà de tous les stéréotypes, italiennes au-delà de toutes les nuances de couleur, d’une caractéristique somatique ou credo, une partie intégrale et non intégrée d’un pays qu’elles contribuent à faire évoluer ». Elle analyse : « Mes compatriotes manquent parfois d’une certaine mémoire. La mémoire nécessaire pour se rappeler que l’Italie est une terre de métis, contaminée par les cultures les plus diverses : grecques, Arabes, Étrusques, Normandes…. Pourtant, les Italiens ont toujours du mal à l’accepter. En Italie règne encore un fort racisme qui sépare le nord du sud dans lequel il y a encore ceux qui se vantent d’une prétendue supériorité du Nord. Il y a encore des gens qui ne louent pas de logements aux Noirs et aux gens du sud. Nous devons faire la paix avec notre généalogie multi-ethnique ».
Stella Jean est une femme avant d’être une marque, et c’est mon histoire que je présente à chaque collection. En tant que premier et seul designer noire, j’ai une responsabilité envers la génération de nouveaux Italiens, le résultat de nombreuses migrations, distillés esthétiques d’une beauté et d’une culture singulière.
Et lorsqu’on lui demande si ce n’est pas un risque pour une marque de mode, aussi installée soit-elle de ne pas défiler – se coupant ainsi de possibles retombées presse et de retours d’acheteurs – Stella Jean répond sans hésitation : « Je n’avais pas de choix, c’est une question de conscience. Une prise de position. Stella Jean est une femme avant d’être une marque, et c’est mon histoire que je présente à chaque collection. En tant que premier et seul designer noire, j’ai une responsabilité envers la génération de nouveaux Italiens, le résultat de nombreuses migrations, distillés esthétiques d’une beauté et d’une culture singulière. En grandissant, je me sentais presque toujours comme une mouche blanche, j’aimerais qu’aucun de ces enfants, ne se sentent plus seuls, ou une rareté de laquelle se moquer ou pointer du doigt. Personne n’a le droit de les faire se sentir des intrus chez eux ».
L’étape à laquelle on aurait pu décider si nous confronter ou pas avec ceux qui sont différent de nous est déjà passé, les autres font déjà partie de nous.
À l’écran, les 20 femmes disent avec beaucoup d’humour les réflexions les plus courantes qu’elles ont entendues et qui remettent en question leur nationalité italienne. « Vous avez tous le rythme dans la peau, non ? « , « Vous vous ressemblez tous, comment réussissez-vous à vous différencier ? « , « Pour une noire, tu parles bien italien », « Tu arrives à voir avec les yeux en amandes ?« … Des remarques que nombreuses personnes non-blanches en France comme partout en Occident ont déjà entendues. « Ces femmes n’ont pas le droit de se moquer des ignorants ! Si vous êtes aussi victime de leur intelligence, faites-en appel à la Constitution Italienne », se moque la vidéo en faisant référence à l’article 3 qui stipule l’égalité de tous les citoyens devant la loi.
Et à Stella Jean de conclure : « Ou nous gagnons cette bataille unies, ou nous perdons tous. L’étape à laquelle on aurait pu décider si nous confronter ou pas avec ceux qui sont différent de nous est déjà passé, les autres font déjà partie de nous. J’en suis un exemple. Et je pense qu’il est clair que je suis irréversible ».
Découvrez la collection Stella Jean automne-hiver 2020-2021 dans le diaporama suivant.
La collection Stella Jean pour l’automne-hiver 2020-2021
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