Pourquoi il est difficile de trouver des vêtements écoresponsables et grande taille ?
Alors que l’industrie textile se retrouve au carrefour de l’inclusivité et de la mode éco-responsable, les femmes grosses restent encore difficilement prises en considération.
Ces dernières années, les questions environnementales ont pris une importance cruciale aux yeux des consommateurs qui réclament une mode éthique – les diverses affaires d’esclavage moderne dans l’industrie textile sont aussi passées par là -, poussant les designers à repenser leurs pratiques.
Mais la question du vêtement qui serait à la fois grande taille ET éco-responsable est, elle, rarement évoquée. Pour les femmes grosses, le chemin vers un vêtement beau et bon reste semé d’embûches.
La mode et la grossophobie, une longue histoire
19. C’est le nombre de mannequins plus-size qui ont foulé les podiums lors de la Fashion Week automne-hiver 2021, toutes capitales confondues. Une statistique dérisoire, et qui plus est, en chute libre depuis l’arrivée de la Covid-19 puisqu’elle était 46 lors des défilés pour l’automne-hiver 2020.
Malgré tout, ce nombre rapporté par The Fashion Spot reste encourageant quand on sait qu’au printemps 2016, seules six femmes rondes étaient les bienvenues dans les défilés des créateurs.
Cette exclusion des femmes grosses a une cause : la grossophobie. L’industrie, à l’image de la société, a toujours voué un culte à la minceur, à tel point qu’on croirait presque que les femmes grosses n’existent pas.
De facto, l’effacement des corps gros se retrouve dès le début du processus de confection des vêtements. Les acteurs de l’industrie textile restreignent en effet leurs tailles pour plusieurs raisons. La première et non des moindres : le coût.
Quand on créé un vêtement, on peut prévoir un nombre approximatif de découpes patron dans un seul et même métrage de tissu, et ce, jusqu’à une taille 42. Dès lors qu’on veut passer au-dessus, il faut ajouter du métrage. « Un coût qui risque de ne pas être amorti par la suite », précise Dinah Sultan, trendforecaster à l’agence de conseils et de tendances Peclers Paris.
Il y avait une peur de se retrouver « déformés » par des grandes tailles.
Qu’en est-il alors des maisons de luxe qui, elles, ont davantage de ressources financières ? Et bien l’image. Année 2009, le couturier Karl Lagerfeld déclare que les femmes rondes n’ont rien à faire dans l’industrie. « Personne ne veut y voir des femmes grosses », explique-t-il au magazine allemand Focus. Et de répondre aux critiques faisaint état de la grossophobie spécifique au milieu de la mode. « Ce sont les grosses bonnes femmes assises avec leur paquet de chips devant la télévision qui disent que les mannequins minces sont hideux. »
Dinah Sultan analyse : « Pendant plusieurs années, il y avait une peur de la part des marques de se retrouver « déformées » par des grandes tailles. C’est d’ailleurs pour ça que les femmes fortes se ruent sur des accessoires pour porter ces grandes marques et pas sur les vêtements, puisqu’ils n’existent pas. »
Il faut être formé à habiller les corps gros. Mais cette éducation qui devrait être dispensée dans les écoles de mode et les ateliers de couture est majoritairement inexistante.
Autre réalité du secteur : « tailler des vêtements pour de la grande taille demande une vraie expertise. Ce ne sont pas du tout les mêmes corps que ceux qui s’arrêtent au 42″, précise la trendforecaster. En effet, plus la taille augmente, plus certaines parties du corps – principalement les hanches et les cuisses – vont être prononcées. Il faut être formé à habiller les corps gros. Mais cette éducation qui devrait être dispensée dans les écoles de mode et les ateliers de couture est majoritairement inexistante. De façon structurelle, la mode discrimine.
Et si des enseignes se sont lancées dans le marché plus-size, rien ne garantit que leur offre répondra aux attentes. Notamment en matière de style. En effet, de nombreux labels imaginent des collections grande taille sans tenir compte des goûts vestimentaires des clientes ni de leur attrait pour les belles pièces ou les tendances. Pour beaucoup, il semblerait que la femme enrobée ne cherche qu’à se mettre quelque chose, n’importe quoi, sur le dos. Résultat ? Effort minimal sur le stylisme.
https://www.instagram.com/p/B_iD9jvna_R/
Les choses commencent heureusement à changer : rare designer à concevoir ses vêtements au-delà du 38, Jacquemus développe ses collections jusqu’au 46, sans oublier la diversité des corps prônée par Savage X Fenty ou encore Marina Rinaldi. Et c’est sans compter Nike, qui, en imaginant des vêtements de sport jusqu’au 3XL, balaie les idées reçues selon lesquelles les femmes grosses ne sont pas sportives.
Une certaine branche de l’industrie textile s’est elle aussi mobilisée pour offrir des propositions vestimentaires à destination des femmes grosses : la fast-fashion.
La fast-fashion, une alliée de taille au rayon plus size
Parce que les labels de luxe ne voient pas les consommatrices au-dessus d’une taille 42, la fast-fashion a pris le monopole sur la notion de diversité des corps. On lui connaît pourtant divers scandales : le dernier en date concerne la communauté des Ouïghours, détenue dans des camps de concentration en Chine et soumise au travail forcé dont l’industrie textile a bénéficié. Mais le secteur perdure en étant le seul à offrir des vêtements tendances et à leur taille aux femmes rondes.
Il faut dire que jusque-là, rien ou presque ne leur était proposé. En 1992, H&M inaugure sa ligne plus-size « H&M+ ». On y trouve des vêtements allant d’une taille L au 4XL. Le suédois compte parmi les premiers à avoir pensé des produits pour les femmes rondes.
Ce qui n’étonne pas la trendforecaster Dinah Sultan : « Dans les entreprises de fast-fashion, il y a un peu plus de diversité, notamment chez H&M qui est connu pour surtailler. C’est le reflet de la Suède où les femmes sont très grandes et font autour d’une taille 42. « C’est la différence avec les labels de luxe qui, par manque de diversité au sein même de leur corporation, n’ont pas les profils créatifs à même de penser aux femmes rondes.
La Bible, pour moi, c’est ASOS.
Autre Messi de la mode inclusive : ASOS. L’e-shop créé en 2000 propose des vêtements taillés jusqu’au 58 et sans compromis sur le style. Dominique Kenmogne, plus connue sous le pseudo @Pomelokiwie, est influenceuse mode et lifestyle, et une serial shoppeuse aguerrie. Pour elle : « la Bible, c’est ASOS. C’est la première marque à avoir tout compris en termes d’inclusion et de diversité. »
https://www.instagram.com/p/COqY70Njf36/
Le pure-player anglais est l’un des premiers e-shop à ne plus retoucher les vergetures de ses mannequins et donc à représenter les corps tels qu’ils sont. À l’instar d’ASOS et sa gamme « Curve », d’autres marques de l’ultra fast-fashion se sont calées sur le créneau de la mode inclusive. Notamment PrettyLittleThing, New Look, ou encore Gémo.
De son côté l’Américain Fashion Nova, célèbre la beauté des corps à travers des mannequins aux courbes diverses, sans jamais employer le terme « plus-size ». Avec eux, @Pomelokiwie shoppe ses pièces de mode les plus trendy. Aujourd’hui, Mango et Zara suivent aussi cette voie.
Si la vapeur s’est inversée, on le doit notamment aux réseaux sociaux. En 2017, on prône l’acceptation de soi et la beauté de tous les corps avec, à chaque fois, le même mot-dièse en conclusion : #bodypositive. Le mouvement porté par des milliers de femmes ne tarde pas à devenir viral. À travers ces plateformes, les consommateurs ne laissent plus le choix à la mode : c’est aux marques de suivre la révolution en marche.
Ainsi, le body-positivisme a quitté le web pour s’exporter IRL (dans la vraie vi, ndlr), jusque sur les podiums de la Fashion Week. Ainsi, une Ashley Graham ou une Paloma Elsesser sont devenues de véritables icônes de la mode actuelle. Precious Lee, Alexis Ruby, Candice Huffine… À les voir défiler en nombre saisons après saisons, les mannequins rondes sont devenues incontournables.
Saison printemps-été 2020. C’est le momentum : 86 mannequins rondes ont défilés lors de ce Fashion Month. Les réseaux sociaux ont un pouvoir inestimable, et leurs internautes ont su en faire un excellent usage. Bien que de nombreux points déontologique et environnementaux l’accablent, celle qu’on qualifie de « mode jetable » est devenue un véritable représentant pour les femmes grosses.
Ces éco-labels qui parlent aux femmes plus size
Même si la mode éthique se fait de plus en plus audible, les femmes grosses en restent les grandes oubliées. En France, Make My Lemonade de la blogueuse Lisa Gachet, s’échine à proposer une mode inclusive et éthique. Ses tailles s’étendent jusqu’au 48 et ses produits sont fabriqués dans des matières naturelles : en viscose et en oeko-tex, un matériau respectueux de l’environnement. Outre-Atlantique, la griffe américaine Karen Kane imagine des pièces durables allant jusqu’à une taille 3X.
Octavie et Léonie, 1083, Ateliers Unes, Lycy & Yak. Partout dans le monde, plusieurs enseignes conjuguent éthique et mode grande taille. « Mode éthique et grande taille ne sont pas incompatibles », commente Dinah Sultan. De quoi couper l’herbe sous le pied des plus sceptiques. Néanmoins, ces éco-labels restent trop souvent difficiles à identifier, principalement parce qu’il s’agit de marques émergentes peu connues du grand public.
Pour beaucoup d’entre nous, il s’agit encore de trouver des vêtements à notre taille.
À la question de savoir si elle trouve des vêtements éthiques à sa taille, Dominique Kenmogne, @pomelokiwie sur les réseaux sociaux, répond par la négative. Pourtant ce n’est pas faute d’avoir cherché. « Là où certains sont déjà en train de réfléchir à la transition entre la fast et la slow-fashion, pour beaucoup d’entre nous, il s’agit encore de trouver des vêtements à notre taille », rappelle à juste titre la blogueuse mode et lifestyle âgée de 34 ans. Une conséquence directe de l’entrée tardive de la mode plus-size dans l’industrie textile.
Je fais partie de ces personnes obligées d’aller chez Zara pour trouver un jean
« L’éco-consciousness dans la grande taille va mettre du temps à s’installer. Il y a un gros travail à faire envers les consommatrices, et je parle en connaissance de cause puisque je suis moi-même une taille 46 », nous raconte, Dinah Sultan. Elle continue : « Pendant un moment je ne savais même pas où chercher des vêtements, donc je fais partie de ces personnes « obligées » d’aller chez Zara pour trouver un jean. »
La trendforecaster réfute l’idée que les marques puissent se justifier par une contrainte de temps. « On est dans une époque où on a la chance de pouvoir faire tout rapidement. L’excuse « ça va prendre du temps » ne fonctionne plus. C’est possible de tester, le e-commerce a permis de lancer des collections beaucoup plus vite qu’avant, d’être plus proche de sa communauté aussi donc il ne faut pas avoir peur d’y aller », rétorque la membre du bureau Peclers Paris.
Aujourd’hui, Lolo Paris et C. Bergamia sont les deux seules enseignes éco-responsables qui proposant de la grande taille présentes sur le guide des marques labellisées par Slow We Are. Ce label de confiance de la mode éco-responsable recense spécifiquement les enseignes reconnues pour leur éthique et leur transparence.
https://www.instagram.com/p/CJ1N88RB5XD/
En attendant une plus large proposition plus-size durable, la solution éthique de @Pomelokiwie, « serait de consommer mieux en achetant moins fréquemment ». Une idée corroborée par Dinah Sultan : « Pour avoir moins d’impact sur l’environnement, l’avenir de la grande taille éthique c’est aussi le made-to-order : commander un vêtement à sa taille pour éviter le sur-stock. »
Au rayon plus size, éco-labels et autres griffes soucieuses de l’éthique ont donc encore tout à prouver. Et plus encore, toute une communauté à gagner.
Source: Lire L’Article Complet