Le jour où Cécile Duflot s’est fait siffler à l’Assemblée Nationale

  • Quand la robe de Cécile Duflot fait scandale
  • Le harcèlement vestimentaire, une passion française
  • Une féminité exclue de la souveraineté populaire
  • En politique, le vêtement compte

17 juillet 2012. À l’Assemblée nationale, la traditionnelle séance des questions au gouvernement bat son plein sur fond de balbutiements du quinquennat socialiste de François Hollande.

Interpellée par Jean-Christophe Fromantin, député-maire de Neuilly et membre de l’UDI (centriste) sur l’avenir du Grand Paris, Cécile Duflot, alors ministre du Logement au sein du gouvernement paritaire de Jean-Marc Ayrault, s’avance au centre de l’hémicycle pour répondre à sa question. En vain.

« Je n’ai même pas ouvert la bouche, que je me fais huer. » commente-t-elle dans une vidéo qu’elle postera sur Youtube cinq ans plus tard.

« Tout le monde était étonné de la voir en robe. Elle a manifestement changé de look, et si elle ne veut pas qu’on s’y intéresse, elle peut ne pas changer de look. D’ailleurs, peut-être avait-elle mis cette robe pour ne pas qu’on écoute ce qu’elle avait à dire. » – Patrick Balkany

Quolibets, rires, chahut : en quelques secondes, une clameur gaillarde semble émaner des rangs UMP du Palais Bourbon si bien que Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, en vient à devoir intervenir et appeler au calme. La ministre garde son sang-froid et prend la parole, non sans pointer subtilement son effroi.

« Mesdames et messieurs les députés, mais surtout messieurs, visiblement… » entame-t-elle. La raison de leur enthousiasme non domestiqué pour l’ancienne députée écologiste devenue ministre ?

Sa tenue, une robe à fleurs bleue et blanche aux manches trois quarts et à la silhouette un brin patineuse, dont l’élégance relativement classique répond parfaitement au « dress code correct » exigé par le Parlement.

Quand la robe de Cécile Duflot fait scandale

Pourtant, en quelques heures, la robe Boden d’une valeur de 59.99€ arborée par Cécile Duflot devient le sujet de conversation politique numéro 1 (au détriment de l’avenir du Grand Paris visiblement) et se voit relayée sur toutes les chaines de télevision et de radio, en passant par les journaux et les réseaux sociaux.

En 2016, elle sera même sélectionnée par le Musée des Arts Décoratifs pour être exhibée dans le cadre de Tenue Correcte Exigée, quand le vêtement fait scandale une exposition dédiée au scandale dans l’univers vestimentaire. Mais pourquoi tant de ferveur, de bruit et d’attention pour une robe estivale, un brin rétro, aussi sulfureuse qu’un col Claudine ou qu’un cardigan ? 

« C’est un mystère. On passe devant tous les jours pour préparer l’expo. On a du mal à comprendre. » commentait alors Denis Bruna, le conservateur du Musée.

Sur Twitter pourtant, au moment des faits, le débat s’enflamme, une partie des utilisateurs du réseau social taxant les siffleurs de l’Assemblée de « bande d’imbéciles » qui ne « peuvent pas voir plus loin que leur niveau de testostérone ». « Il y en a même un qui a lancé « vas-y enlève les boutons ! », rappelle Cécile Duflot dans la vidéo.

Si la femme politique ne le nomme pas directement, les médias anglo-saxons, eux, n’hésitent pas à le faire. Il s’agit du député-maire UMP Patrick Balkany qui, le jour même, se défendait de tout acte de malveillance avec une impertinence relevée de paternalisme dont seul l’homme politique en question, condamné depuis pour blanchiment de fraude fiscale, a le secret.

« Nous n’avons pas hué ni sifflé Cécile Duflot, nous avons admiré », rectifie Patrick Balkany dans Le Figaro. « Tout le monde était étonné de la voir en robe. Elle a manifestement changé de look, et si elle ne veut pas qu’on s’y intéresse, elle peut ne pas changer de look. D’ailleurs, peut-être avait-elle mis cette robe pour ne pas qu’on écoute ce qu’elle avait à dire. » poursuit-il.

De son côté, le député Jacques Myard expliquait au magazine Le Point que les sifflets et quolibets étaient « un moyen de rendre hommage à la beauté » de la Ministre.

Quant à Laurent Wauquiez, il est l’un des rares du clan conservateur à se désolidariser publiquement de ce qu’il décrit comme un « moment peu glorieux. » Le malaise atteint alors des sommets.

Le harcèlement vestimentaire, une passion française

Car tout le monde le sait : ce n’est ni la première, ni malheureusement la dernière fois dans l’histoire de la scène politique qu’une femme de pouvoir se retrouve victime de comportements sexiste de la part de ses confrères, ces derniers ayant la fâcheuse tendance de viser tout particulièrement leurs tenues vestimentaires.

Une forme de tradition française en somme, au machisme profondément ancré et à la toxicité rarement questionnée, que remarquent par ailleurs de nombreux médias étrangers.

« En France, les hommes politiques sont facilement distraits. Ou peut-être sont-ils simplement des porcs. » interroge par exemple le site américain Slate.com, soulignant la triste banalité de l’incident subi par Cécile Duflot.

« Quand vous prenez la parole, certains sujets sont appréciés d’une façon très particulière : ils n’hésitent pas à faire des commentaires sur votre tenue ou vos sous-vêtements. » confirme à l’époque Clémentine Autain sur La Chaîne Parlementaire.

Certaines élues se rabattent alors sur des tenues d’ascendance masculine, comme le costume et le tailleur pantalon, ceux-là même qui étaient d’ailleurs formellement décriés 50 ans plus tôt.

Dans les années 70, Michèle Alliot-Marie se voit ainsi refuser l’accès hémicycle sous prétexte qu’elle abhorre un pantalon, alors légalement interdit aux membres du deuxième sexe.

Quelques années plus tard, Jacques Chirac, Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing, accuse Alice Saunier-Seïté, ministre de l’Éducation Supérieure, de dégrader la fonction de ministre et l’image de la France tout simplement parce qu’elle ose venir au Conseil des ministres en pantalon.

Ironie de l’Histoire ? C’est parce qu’elle avait été critiquée pour avoir porté un jean en Conseil des ministres que Cécile Duflot avait finalement pris la décision d’acheter cette fameuse robe Boden à l’origine de la polémique.À croire que cela ne va décidément jamais.

On se souvient également des remarques peu élogieuses envoyées par ces messieurs à la ministre et députée Roselyne Bachelot qui a dû, pendant un temps, ranger ses tailleurs colorés au placard ou encore des confessions de Valérie Pécresse qui a admis ouvertement, à maintes reprises, devoir modeler ses tenues pour gagner en crédibilité (et accessoirement, on imagine, en tranquillité.).

Une féminité exclue de la souveraineté populaire

Veste épaulée, pantalons bien coupés, couleurs sombres : le dressing de la femme politique moderne se décline – par extension – tout en austérité, excluant de fait tout signe ostentatoire de frivolité (poke Bernard Debré qui s’inquiétait en 2012 de la pertinence des tenues Louis Vuitton et Dior de Rachida Dati) ou encore, et surtout, de féminité.

« Les hommes ne supportent pas l’arrivée de femmes désirables dans leur domaine gardé. » remarquait Françoise Giroud, les politiciens obligeant ainsi de facto leurs consœurs à euphémiser leur féminité par l’adoption d’une tenue réputée traditionnellement masculine.

Une règle vestimentaire tacite muée en sésame non avoué d’accès au pouvoir qui, lorsqu’elle est transgressée par l’adoption d’une tenue réputée féminine, se solde par une répression symbolique violente, à l’image de celle vécue publiquement par Cécile Duflot en 2012.

Dans la vidéo publiée sur Youtube, l’ancienne ministre souligne d’ailleurs le caractère collectif et spontané de ces huées. « Ces messieurs de l’UMP ont sifflé l’introduction du genre (sexué) affiché, montré, exhibé dans l’hémicycle », abonde Dominique Dupart, Maîtresse de conférence en littérature à l’université de Lille-III dans une tribune publiée en 2012 dans Libération.

En 2012, on a critiqué la robe en la jugeant trop féminine, voire campagnarde. – Denis Bruna, commissaire d’exposition au Musée des Arts Décoratifs de Paris.

L’écrivaine rappelle notamment qu’en démocratie, la souveraineté populaire et sa représentation se font communément masculine sous couvert d’universalité indéfectible.

C’est le fameux « Liberté, Égalité, Fraternité » pour devise nationale ou « Aux grands hommes la patrie reconnaissante » sur le front du Panthéon.

Par conséquent, dans cet univers phallocentré, tout ce qui donnerait symboliquement plus de visibilité aux femmes tend à modifier l’équilibre démocratique existant en faisant exister une communauté traditionnellement exclue des sphères de pouvoir : les femmes, a fortiori lorsqu’elles ne viennent pas de classe privilégiée.

« En 2012, on a critiqué la robe en la jugeant trop féminine, voire campagnarde. » souligne Denis Bruna au micro de France 3 Régions.

En politique, le vêtement compte

Car au-delà de sa féminité, ce serait indirectement son caractère non-élitiste, outsider du pouvoir, qui fait de la robe à fleurs (mais aussi de la jupe, des hauts talons ou encore du tailleur pastel) un objet vestimentaire ligitieux.

« La robe – fleurs ou pois – a pour elle, non d’être trop distinctive, mais au contraire d’être trop proche de l’habit civil féminin. On me reproche de venir d’un espace qui ne soit pas assez représentatif du pouvoir. On me reproche d’être trop normale ! Ces messieurs ne supportent pas que la ministre ne soit pas du sérail en se vêtant comme une simple citoyenne. » écrit Dominique Dupart avec justesse.

Pour moi, c’est très symbolique tout ça : cela montre que les femmes sont victimes de sexisme avant même d’ouvrir la bouche, même sans rien dire, juste d’être là. – Cécile Duflot

Une culture de l’entre-soi que certains hommes politiques, notamment issus des partis de gauche, ont pu expérimenter, que cela soit le socialiste Jack Lang avec sa chemise col Mao en 1985 (également exposée aux MAD aux côtés de la robe de Cécile Duflot) ou encore le communiste Patrice Carvalho et son bleu de travail en 1997.

Des anecdotes ponctuelles qui font toutefois difficilement le poids face au sexisme ordinaire dont les femmes politiques font l’objet au quotidien. « Pour moi, c’est très symbolique tout ça : cela montre que les femmes sont victimes de sexisme avant même d’ouvrir la bouche, même sans rien dire, juste d’être là. » conclu celle dont la robe fait aujourd’hui office de symbole de cette discrimination.

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