La veste noire, le vêtement des femmes politique ?

  • De droite à gauche, l’uniforme de la conquête du pouvoir
  • Performer le pouvoir pour mieux l’infiltrer ?

« Les femmes politiques doivent beaucoup à Yves Saint Laurent : c’est lui qui a fait passer le vestiaire masculin sur les épaules des femmes. » Cité par la journaliste Gaëtane Morin dans son ouivrage Le Vestiaire des Politiques, ce n’est pas la première fois que Pierre Bergé commente la façon dont les dirigeantes et autres tenantes du pouvoir politique se sont réappropriées les attributs stylistiques masculins.

Déjà en 2008, dans la soirée du 1er juin alors qu’Yves Saint Laurent vient de mourir, l’influent homme d’affaires expliquait sur l’antenne de France Info pourquoi son compagnon resterait l’une des plus grandes figures de la mode. « Chanel a donné la liberté aux femmes. Yves Saint Laurent leur a donné le pouvoir. Il a quitté le territoire esthétique pour pénétrer sur le territoire social. » a t-il détaillé.

Et il n’a pas tout à fait tort. Et pour cause, que ce soit dans l’exercice de leurs prérogatives ou dans leur quête de nouveaux mandats, ce sont aujourd’hui les femmes politiques qui endossent les créations révolutionnaires du grand couturier, et plus particulièrement celle qu’il a directement dérobée à la garde-robe masculine : j’ai nommé la veste de tailleur.

De droite à gauche, l’uniforme de la conquête du pouvoir

Exit la réputation sulfureuse de la veste qui a pu être sublimée par Catherine Deneuve, Françoise Hardy ou encore Vibeke Knudsen , immortalisée dans l’iconique photo d’Helmut Newton.

Depuis le début des années 2010, la veste de smoking version féminine semble en effet s’extirper de son ascendance glamour pour s’aventurer dans les contrées formelles du dress-code politique. C’est ainsi qu’en 2014, l’ex-candidate à la présidentielle Ségolène Royale fait son entrée au controversé Ministère de l’Ecologie en veste de smoking ouverte sur un top bleu électrique.

La même année, en pleine campagne municipale, Nathalie Kosciusko-Morizet pose sur les rives du Canal Saint Martin en veste de smoking noir, à l’image d’Anne Hidalgo qui en fera sa pièce de prédilection, que ce soit sur ses affiches électorales que dans l’exercice de ses fonctions à la tête de la Mairie de Paris.

D’ailleurs six ans plus tard, la maire de Paris battra campagne dans le même uniforme, à l’image de sa challenger Rachida Dati qui, pour le débat télévisé final, n’hésitera pas à dégainer la fameuse veste aux revers satinés.

D’autres habituées de la conquête du pouvoir tendent également à intégrer dans leur vestiaire une version plus dépouillé du vêtement mythique, privilégiant une “simple” veste de tailleur noir ou un blazer au double boutonnage.

Une pièce réputée masculine mais bien plus normalisée en tant qu’élément à part entière du vestiaire professionnel féminin.

Une femme est davantage assignée à son apparence, à son corps, qu’un homme.

En mars 2017, seule femme en « finale » de la campagne présidentielle, Marine Le Pen adopte le même uniforme que ses camarades masculins pour le débat télévisé, avec un veste noire minimaliste qui respire le formalisme et la neutralité.

« Elle reprend l’absence de signes distinctifs revendiqués par ses voisins : veste et pantalon noirs.

Elle s’attache à donner une image d’elle rassurante, c’est la voisine de bureau, la DRH.” commente alors dans l’Express Dominique Gaulme, co-auteure du livre Habits du pouvoir – une histoire politique du vêtement masculin .

Ici la veste noire féminine se fait pièce de jour normalisée, désexualisée et vectrice de sobriété.

Autre adepte de cet uniforme que l’on veut désormais idéologiquement inexpressif ?

Valérie Pécresse, actuellement candidate à la prochaine présidentielle, qui affirmait déjà en 2016 modeler ses tenues pour gagner en crédibilité. « Une veste bien épaulée, des couleurs sombres (…) : ces armes m’ont aidée à crédibiliser mon discours. » confiait-elle à Paris Match.

Performer le pouvoir pour mieux l’infiltrer ?

Et pour cause, à l’image de la politique professionnelle, la veste noire reste à l’origine un vêtement d’attribution masculine, façonné par et pour les hommes, qui en dépit de la sensibilité idéologique ou du mandat de celui ou celle qui la porte, se veut le signe d’appartenance et le dénominateur commun de membres d’une CSP ultra-privilégié : celle du pouvoir et de la domination sociétale.

L’endosser, c’est en somme adopter l’uniforme coutumier et attendu des insiders, et s’octroyer la légitimité d’évoluer à leurs côtés sur un pied d’égalité tout en gagnant en crédibilité dans un espace donné.

Un acte vestimentaire performatif en somme, dont la ritualisation se révèle d’autant plus complexe pour les femmes politiques que leur légitimité est constamment questionnée, notamment à travers l’attention exacerbée portée à leurs choix vestimentaires.

C’est ainsi qu’aux Etats-Unis, quand la démocrate Alexandria Ocasio-Cortez fait le choix d’arborer un élégant blazer noir à double boutonnage doré. 

Certains de ses détracteurs ne manquent pas d’utiliser sa tenue pour tourner son discours politique en dérision, une jeune femme du Bronx élue sur des propositions réputées socialistes ne pouvant visiblement pas adopter le dress-code des classes dirigeantes. « Une femme est davantage assignée à son apparence, à son corps, qu’un homme », souligne Jamil Dakhlia, chercheur en communication politique.

En France, beaucoup de femmes politiques adoptent ainsi la veste noire pour s’éviter les commentaires constants sur leurs tenues et ainsi s’assurer que l’attention médiatique sera moins portée sur leur #OOTD que sur leurs valeurs, leurs idées, leurs programmes.

Et lorsque la pièce, comme la veste de smoking, se veut un brin plus que mode que la veste de tailleur classique, elle fait l’objet d’un stylisme tout en sobriété, associée à des chemisiers strictes ou des blouses néo-bourgeoises, afin d’en faire un outil d’infiltration d’autant plus efficace qu’il ne sera pas remarqué.

Ou quand l’apanage vestimentaire des hommes fréquentant les fumoirs et autres cercles de jeux permet deux siècles plus tard de féminiser un autre men’s club où l’on cultive l’entre-soi genré.

Il était temps.

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