La mode des années 20
Dans l’idéal, il faudrait presque lire cet article en écoutant un vinyle de jazz. Un Sidney Bechet ou un Jelly Roll Morton, grésillant mais puissant. Un air qui, tout de suite, rappellerait l’énergie sidérante ayant traversé les années 20, en Occident. Cette onde créative magistrale, c’est elle que certains créateurs d’aujourd’hui ont convoquée sur les podiums du printemps-été – et même de l’hiver à venir. L’évocation est amenée par petites touches.
Rien de littéral qui donnerait l’impression d’une tenue déguisée pour une soirée à thème « Gatsby », ni de bêtement passéiste. En ce centenaire naissant s’exprime un désir feutré, mais réel, de faire de nouveau vrombir ce tempo enthousiasmant des années folles, histoire de donner à notre époque anxiogène un peu de peps. Bienvenue dans les néo-roaring twenties !
On pourrait presque y croire. Kaia Gerber, mannequin star et fille de Cindy Crawford, ne s’est-elle pas offert une coupe au carré court, charlestonienne en diable, sacrée coiffure de la saison ? Chez Prada, les franges ont virevolté, les robes plates à taille basse ont redessiné la silhouette et on a même ressorti les chapeaux cloches. Chez Chanel, les perles étaient de rigueur ainsi que les petits tailleurs, indémodables, tels que sanctuarisés par la grande Gabrielle elle-même. Mais avec un swing très XXIe siècle !
Mais qu’est-ce qui aimante à ce point les créatifs de tous poils, qui viennent puiser sans complexe à cette source esthétique pourtant lointaine ? « Tout ou presque a été inventé dans ces années-là, confirme Catherine Örmen, historienne de la mode et commissaire de l’exposition Man Ray et la mode (2) qui s’ouvre au musée du Luxembourg, à Paris.
La mode s’est démocratisée tout en montant en puissance, les formes se sont simplifiées et sont devenues plus faciles à reproduire. Les créateurs ont acquis un nouveau statut, figure incontournable du Tout-Paris.
Ainsi Gabrielle Chanel, Jean Patou, Madeleine Vionnet, Jeanne Lanvin, Paul Poiret ou encore Lucien Lelong sont au sommet. Dans le même temps, la publicité et la photographie de mode prennent leur essor. Man Ray en est l’emblème. » Ses photos en noir et blanc offrent un témoignage édifiant de l’inventivité qui régnait alors. « Notre vestiaire actuel doit tout aux années 20 », renchérit Xavier Chaumette, historien de la mode et auteur de Le costume tailleur (3) . Pour la première fois, les vêtements de travail sont détournés, le sportswear et le casual wear font leurs premiers pas, et le vestiaire du soir se met en place. Il est normal que les jeunes créateurs d’aujourd’hui exploitent ce matériau originel foisonnant ».
Et follement moderne, surtout. Du style à ne pas avoir pris une ride, ou presque. Car ce qui fascine dans ces années 20, considérées comme un âge d’or de liberté et de création, c’est aussi le progressisme forcené. L’avant-garde à la manœuvre, éclatante, qui pose les bases de quelque chose de neuf. Un appétit de culture, un désir de changement, une soif de faire dialoguer toutes les nationalités et les disciplines artistiques.
« Dans ce Paris qui était comme un phare de liberté, les artistes affluaient du monde entier. C’était ouvert, excentrique. L’avant-garde servait de référence, note encore Xavier Chaumette. La peinture, la musique, la danse, la littérature, l’architecture, les arts décoratifs : tout était au diapason. La mode se nourrissait de cela. »
Évidemment, ce synchronisme fait rêver. Car règne alors une indéniable ouverture d’esprit, liée au creuset multiculturel de la capitale. On danse le charleston, on se rend au Bal nègre, on écoute Joséphine Baker, on adhère au Constructivisme exporté par les Russes en exil, on révère les Surréalistes menés par André Breton, on écoute vibrer les amis du salon littéraire de l’Américaine Gertrude Stein. Après les privations de la guerre, on découvre aussi avec joie les grands chambardements initiés par les machines. Voitures, avions, usines rutilantes… tout change et tout donne matière à s’étourdir.
* 1.« Cecil Beaton’s bright young things », jusqu’au 7 juin. 2. Jusqu’au 26 juillet 2020. 3. Éd. Esmod.
"Redonner du sens aux objets, aux vêtements"
Comme aujourd’hui, l’heure est au féminisme revendiqué. Les femmes s’émancipent. « Leur rôle est redéfini, note Xavier Chaumette. La course vers l’émancipation s’accélère. En Grande-Bretagne, elles obtiennent le droit de vote, en France, elles travaillent, s’amusent, se coupent les cheveux courts. ». Elles se questionnent, aussi, sur la question du genre et sur les limites que ce dernier induit pour elles. « La fluidité du genre est une donnée centrale à cette époque », souligne Catherine Örmen.
Les femmes ont la volonté de s’identifier aux hommes, elles privilégient les silhouettes plates, les “boyish looks”, l’allure garçonne. Une thématique qui est tout à fait d’actualité encore aujourd’hui ». C’est peut-être là que se nouent les raisons du comeback, dans tout ce qui s’est expérimenté alors et qui résonne plus que jamais. Dans ce « monde nouveau » de Charlotte Perriand, pour plagier le sous-titre de la formidable exposition consacrée récemment à cette créatrice prolixe à la Fondation Vuitton.
Car ce « monde nouveau », de l’industrialisation, du capitalisme, est celui que nous connaissons, dans lequel nous avons grandi. Celui qui suscite de plus en plus de questionnements, notamment face au désastre écologique annoncé. « Peut-être sommes-nous en fin de cycle et avons-nous envie de boucler la boucle en allant voir à la source, analyse Claire Savary, à la tête du bureau de tendances Liberté.
Nous aussi, nous sommes dans une période de basculement, de changement. Nous aussi, nous connaissons une révolution technologique. Nous aussi, nous ne trouvons pas le futur très engageant. » Alors, faisons la fête ? « Ou redonnons du sens aux choses, aux objets, aux vêtements », avance Thomas Zylberman, du bureau de style Carlin International. « La profusion d’objets et de fringues a peut-être fini par nous lasser. Il faut retourner vers quelque chose de plus travaillé, une allure plus artisanale, convoquer les savoir-faire et le bel ouvrage. Et garder, du coup, ses habits plus longtemps. » Car ce retour vers le passé semble aussi une manière de redonner au vêtement ses lettres de noblesse.
« Ces derniers temps, il y a un vrai engouement pour le vintage, souligne Xavier Chaumette. C’est une manière de s’inscrire dans une histoire, une culture, une filiation ». Et puiser dans le vivier de codes des années 20, cette grammaire si cool et inventive, « est une approche tout de même moins rebattue que les sempiternelles références aux seventies, voire aux fifties », reprend Thomas Zylberman.
Dès lors, nul doute que ce revival années 20 ne fait que commencer. Dans la lancée, il est d’ailleurs recommandé de (re)lire Fitzgerald, qui conclut son merveilleux Gatsby le magnifique par cette phrase toujours brûlante : « C’est ainsi que nous avançons, barques à contre-courant, sans cesse ramenés vers le passé. » Ceci est peut-être plus vrai que jamais.
La robe à plumes des années 20
Les robes longues fluides des années 20
Un manteau Chanel dans les années 20
Joséphine Baker dans les années 20
Les bijoux des années 20
Marlene Dietrich dans les années 20
La robe de jour des années 20
Le foulard bohème des années 20
Gabrielle Chanel dans les années 20
La robe à franges des années 20
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