Dans son premier livre, Alice Pfeiffer questionne le mythe de la Parisienne
Avec ce premier ouvrage, la journaliste de mode Alice Pfeiffer déconstruit un mythe de la mode française.
“Cet ouvrage est dédié à toutes celles qui un jour ont eu honte de l’accent, du métier ou de l’apparence de leurs parents, de leur poids, ou encore des baskets qu’elles n’avaient pas reçues à Noël. Elles méritent néanmoins de représenter fièrement ce pays qui est aussi le leur. Je suis parisienne et pourtant je ne le suis pas – mais ce n’est pas de moi qu’il s’agit ici. Après dix ans de journalisme de mode pour les médias français, anglais et américains, j’ai cerné une passion pour un mythe, ‘une imitation qui n’a pas de version original’ pour citer Judith Butler. Un unique visage français, une Parisienne imaginaire, incarnée année après année par des personnalités en copie conforme, coopte le récit de la mode – et dévoile l’absence de multiplicité dans la représentation nationale ».
C’est par ces mots que la journaliste de mode et spécialiste des questions de genre Alice Pfeiffer ouvre son livre. À aujourd’hui 34 ans, elle publie aux Éditions Stock Je ne suis pas Parisienne, un essai dans lequel elle réfléchit à la place que ce mythe occupe dans l’industrie de la mode ainsi que dans la société française.
Un ouvrage pionnier
Si dans les rayons des libraires vous trouverez de nombreux livres sur la Parisienne, vous n’en trouverez pas un comme celui-ci. Je ne suis pas Parisienne est un ouvrage pionnier dans lequel Alice Pfeiffer décortique ce mythe français qui traverse les époques. En 11 chapitres, elle dresse le portrait de toutes celles qu’on n’imagine pas quand on pense à la Parisienne. Les femmes qui vieillissent, les femmes racisées, les femmes rondes, les femmes juives, les femmes LGBTQ, Madame Tout Le Monde…
Ce livre ne vise pas à faire la critique de cette mode, mais plutôt à observer en creux les clichés sexistes de féminités qui n’ont pas d’égal
C’est en revenant à Paris après avoir passé dix ans en Angleterre que l’autrice a commencé à s’interroger sur ce mythe. À peine débarquée de l’Eurostar, à Gare du Nord, attablée devant une pinte de bière, un garçon de café lui dit, un sourire moqueur aux lèvres et en tapotant sa hanche : “Vous allez pas reprendre des frites quand même ?!” On pourrait presque dire que c’est ici qu’a commencé une fascination de l’autrice pour le mythe de la Parisienne et les injonctions qui y sont liées. Des anecdotes comme celles-ci, entendu dans les rues de la Capitale française et au sein de sa scène mode jalonnent les différents paragraphes du livre. « Chaque échange semble teinté d’ironie, de drague ou de dédain – ou les trois à la fois. J’apprends ce qu’il y a de sournois dans une flatterie comme « originale », « sympa » ou « gentille ». Au contraire, « pas dégueu », « pas mal », constituent des compliments sans prise de risque », relève-t-elle non sans ironie dans son livre.
Le Parisien, loin d’être épargné
Si l’on parle souvent de la Parisienne, on parle beaucoup moins de son homologue masculin à qui Alice Pfeiffer consacre pourtant un chapitre de son essai. Intitulée “Le Parisien, un Français qui s’ignore”, cette partie revient sur le rôle que joue ce nouveau pygmalion. Elle explique : C’est un homme particulier car de loin, il s’agirait d’un plus apprêté qui aurait soit-disant pioché dans des codes féminins. Ce n’est pas politiquement correct, mais les anglos-saxons se demandent souvent : ‘Is he gay or is he french ?’. Est-il gay ou est-il français ? D’après mes recherches, le Parisien a moins peur de faire gay que de faire beauf. Il y a une plus grande hantise de classe qu’une hantise sexuée. C’est une façon de prouver qu’on est Parisien et non pas Français, comme s’il y avait une différence très marquante”.
Et son rapport avec la Parisienne alors ? “Depuis toujours on a une figure de femme-enfant éduquée à tous les niveaux, intellectuellement comme à l’horizontale, par un homme plus âgé. Mais c’est une figure de domination invisible. J’ai lu Foucault pendant mes études sur le genre et il dit ‘aucune surveillance n’est aussi efficace que quand elle est internalisée et quand la personne surveillée n’a plus besoin d’être surveillée puisqu’elle se surveille elle-même' », nous explique l’autrice.
Élargir le mythe
Quand on parle de la Parisienne, on a tout de suite en tête les femmes iconiques des années 60, leurs longs cheveux blonds ou châtains, la cigarette qui pend à leurs lèvres, le t-shirt sans soutien-gorge qu’elles peuvent porter, leur minceur, un Gallimard NRF au fond du sac et une moue boudeuse sur le visage. Si on arrive aussi bien à l’imaginer c’est aussi parce que le mythe ne s’arrête pas à une simple identification au passé. La Parisienne, vous la croisez tous les jours sur votre feed Instagram dans des robes à fleurs ou des Levi’s 501. Vue de Paris, la Parisienne est un mythe locale, vue d’ailleurs, elle est le symbole de la France. Sa Marianne de la mode.
“Ce livre ne vise pas à faire la critique de cette mode, mais plutôt à observer en creux les clichés sexistes de féminités qui n’ont pas d’égal”, lit-on d’entrée de jeu dans le texte qui ouvre le livre. L’idée n’est donc pas de faire tomber le mythe mais de comprendre sur quoi il repose et surtout qui peut se sentir représenté par cet archétype. La France, pays qui repose sur l’universalisme, est beaucoup discuté ses dernières années. De nombreuses personnes minorisées demandant une représentation plus juste voir le droit à exister dans une société qui se targue de ne pas voir les différences.
Ce serait l’image d’une femme libérée, qui ne mâcherait pas ses mots, ne serait pas dominée au quotidien par le chic et l’entretien de son apparence
Mais les choses sont déjà en train de changer que ce soit dans la mode, qui essaie d’être de plus en plus inclusive, mais aussi dans la société où depuis quelques années de nombreuses femmes comme Elsa Drolin, Amandine Gay ou encore Houda Benyamina parviennent à faire entendre leurs voix. Mais comme expliquer malgré tout la survivance de ce mythe ? Pour Alice Pfeiffer : “À l’heure de l’ultra-rapidité, de l’ultra-consommation, la Parisienne incarne une forme de savoir, de sagesse, d’intellect qui dure à travers le temps et s’oppose aux États-Unis dirigées par quelqu’un qui a de très mauvaises manières, très peu de culture et une femme qu’il montre comme un trophée de chasse. Ce serait l’image d’une femme libérée, qui ne mâcherait pas ses mots, ne serait pas dominée au quotidien par le chic et l’entretien de son apparence”.
Sans renier ni détruire l’existence du mythe, Je ne suis pas Parisienne permet à chacun·e de réfléchir sur ce que signifie être Parisienne mais aussi Français.e plus de dix ans après la création du Ministère de l’Identité Nationale – aujourd’hui supprimé – de Nicolas Sarkozy. Il donne aussi l’envie de faire résonner des voix françaises issues de la diversité, qui ne se retrouvent pas forcément dans ce mythe et pourraient raconter leur histoire de la France et, qui sait, faire émerger et rayonner ici comme à l’étranger un autre visage de la femme française. Quelqu’un a dit Jacquemus ?
Je ne suis pas Parisienne
aux Éditions Stock
18€
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