Vanessa Krycève : cuisiner pour restaurer le lien

« Pour une fois, je n’étais pas en cuisine ! Ces dernières semaines j’ai vraiment plutôt joué le rôle de couteau suisse. » Couteau suisse, l’expression va bien bien à la future mère super active qui part faire son échographie des cinq mois à la fin de notre conversation. Vanessa Krycève est sur tous les fronts, et ça ne date pas d’hier.

Comédienne, elle suit en même temps une formation de cuisine, se passionne pour la pâtisserie, rejoint la brigade de Guy Savoy. Elle aurait pu continuer dans cette voie d’excellence, celle du grand restaurant, ou rêver d’ouvrir sa propre adresse. Mais il aurait manqué quelque chose de fort. Ce quelque chose qui a animé Vanessa Krycève dans son envie d’être comédienne : une sorte de feu, de mission, de plus grand que soi.

Le déclic d’une cuisine responsable et solidaire

L’aiguillon surgit lors d’une conversation avec sa soeur installée en Allemagne, qui lui fait part d’une rencontre qu’elle vient de faire : un couple de réfugiés syriens hébergés dans un centre d’accueil, qu’elle croise et qui lui avouent avoir faim. Ne les nourrit-on pas dans ce centre ? Si, mais on ne leur laisse pas la choix, ce sera soupe au porc ou rien. Soudain tout se déclenche dans la tête de Vanessa, au hasard de ce récit. « Je sais cuisiner, c’est mon métier, je vais donc cuisiner pour essayer de restaurer le lien perdu, pour réparer notre honte aussi… »

Tout se joue à table : la confiance que l’on accorde aux cuisiniers, la joie qui revient, ne serait-ce que le temps d’un repas, l’attention des uns aux autres.

Avec des amies, elle a créé Le Recho, et la première mission a lieu en 2016, à Grande Synthe (Hauts de France) : c’était la première fois que ces réfugiés et migrants avaient l’occasion de s’asseoir à table depuis le début de leur exil. « Tout se joue à table : la confiance que l’on accorde aux cuisiniers, la joie qui revient, ne serait-ce que le temps d’un repas, l’attention des uns aux autres. »

La table comme ciment, la cuisine comme vertu. Que ce soit lors de ces missions ou à La Table du Recho, le restaurant qu’elle a ouvert dans une ancienne caserne du XVIe arrondissement de Paris, au sein du centre d’accueil Les Cinq Toits, tout repose sur le bio, la respect des saisons, les circuits courts, la très faible présence de produits d’origine animale. Les cuisines rouvrent d’ailleurs ces jours-ci, en service partiel de vente à emporter.

800 repas par jour offerts aux soignants

Vanessa y a passé la journée à tout installer. Pas de repos, donc, pour celle qui a oeuvré à la coordination des repas préparés chaque jour par la Communauté Ecotable (qui fédère plusieurs associations qui ont uni leurs talents) : 800 repas par jour, 35.000 en tout, allant de l’aide alimentaire aux plus démunis jusqu’aux repas des soignants. « Mais ‘soignants’ entendus au sens large, pas uniquement le personnel médical, aussi ceux qui font le ménage. »

Cet exploit pourrait être une fin en soi, mais pour Vanessa Krycève et tous ceux – surtout celles – il n’y a que deux hommes et une trentaine de femmes – qui animent la Communauté, c’est un formidable labo qui prouve, de manière organique, qu’un autre type de restauration collective est possible.

Alors qu’on nous dit – c’est le credo des entreprises de type Sodhexo – depuis des décennies qu’on ne peut pas nourrir en grand nombre de manière saine, responsable tout en serrant les prix. Il fallait voir la qualité des produits travaillés pour ces repas, des magnifiques légumes de pleine terre, des produits laitiers superbes. Le fruit du travail de producteurs engagés qui ont aussi bénéficié de ce cercle vertueux. Et, bien sûr, car c’est un tout cohérent, les plats étaient aussi beaux que bons.

« Pour moi, l’enjeu c’est que cette forme de restauration soit un levier pour la transition écologique. L’expérience que nous venons de faire est le signe que l’on peut changer de paradigme. » Quelle est la phrase qui est inscrite sur le mur d’entrée de La Table du Recho ? « Restaurer le monde en restaurant les Hommes ».

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