Ukraine : à la frontière polonaise, les gynécologues bénévoles d’ASF rassurent les femmes avant leur exil
Principal point de passage des ukrainien.ne.s à leur arrivée en Pologne, c’est à Przemysl que le Dr Louis Marcellin, gynécologue, et l’interne Gaël Darlet, tous deux exerçant à l’hôpital Cochin à Paris, ont posé leurs bagages.
Ce jeudi 31 mars 2022, ils ont accueilli leur première patiente dans ce cabinet gynécologique de fortune, tout récemment installé sur le parking d’un ancien supermarché devenu centre d’accueil pour les réfugié.es.
“Assurer le suivi obstétrical des Ukrainiennes déplacées et prévenir les violences faites aux femmes” : telles étaient les urgences dégagées par le gynécologue Xavier Duval-Arnould, gynécologue et vice-président d’Action Santé Femmes.
Pour ce faire, des médecins de tous horizons sont recrutés, et un appel aux dons est lancé pour financer la mise en route de leur Unité mobile obstétricale, dont le premier roulement est assuré par les médecins suscités de l’hôpital Cochin.
Pour les six mois à venir, ces soignant.e.s bénévoles accompagné.e.s, vont accueillir les réfugiées en consultation, afin de les rassurer sur leur santé, et, quand le cas de figure se présentera, sur leur grossesse, avant leur exil – auquel il est impossible de donner une temporalité.
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Un cabinet gynécologique aménagé dans un container
Marie Claire : Vous êtes arrivés à Przemysl mardi dernier (le 29 mars 2022, ndlr), quelle a été votre première mission sur place ?
Louis Marcellin : La première étape de la mission a surtout été logistique. Il a fallu réceptionner un genre de container où on y installerait tout le matériel comme le monitoring ou l’échographe.
Dans le box, notre cabinet est à côté de celui des Pompiers Solidaires, ensuite il y a des douches et une salle réservée aux tests Covid. Puis on a dû faire installer l’électricité.
Là-bas, ce n’est que du bouche à oreille, il faut être très ouvert, ne pas avoir peur de parler avec des inconnus. Avec la barrière non négligeable de la langue, ça peut être un défi. Mais tout le monde s’entraide, c’est très bien organisé.
"Réassurer" les femmes avant l’exil
Marie Claire : Vous allez accueillir les femmes, notamment celles enceintes, avant leur fuite en Pologne. Prévoyez-vous de déclencher des accouchements ?
Louis Marcellin : Non, avec cette unité obstétricale – qui deviendra mobile par la suite – l’urgence c’est de rassurer les femmes, tout en les incitant à quitter la frontière et à continuer leur route. On ne se substitue pas aux hôpitaux polonais qui sont très compétents et qui vont pouvoir accueillir les réfugiées en cas d’urgence ou d’accouchement.
C’est surtout de l’accueil et du soutien multithématique pour ces femmes, qui sont soulagées d’avoir passé la frontière, mais dans un stress incroyable par rapport au déroulé de leur grossesse. Elles n’avaient pas du tout prévu d’accoucher dans de telles circonstances. D’ailleurs, elles ne savent même pas où sont les hôpitaux en Pologne.
Marie Claire : En fait, vous enfilez presque une casquette de psychologue ?
Louis Marcellin : C’est ça. Nous recevons des femmes épuisées moralement, psychologiquement et physiquement par ce qu’elles ont vécu en Ukraine. Et puis, elles savent aussi qu’elles risquent de repartir dans les prochaines semaines, sans savoir où, comment et jusqu’à quand.
L’examen n’est pas la priorité, l’urgence c’est la réassurance et la prévention. On doit également protéger ces femmes afin qu’elles ne se retrouvent pas dans des endroits plus dangereux où elles pourraient être victimes d’agressions physiques ou sexuelles.
Le cabinet va se déplacer "au gré des bombardements"
Marie Claire : L’ambiance à Przemysl, est-ce qu’elle est anxiogène ?
Louis Marcellin : Pas du tout, mais nous avions été préparés à ça avant d’arriver. Gaël (Darlet, ndlr) est passé en Ukraine hier, et là c’était différent. Tout le monde faisait la queue pour quitter le pays, on sentait l’angoisse. Mais ici, on ne se sent pas dans une zone de conflit, on n’entend pas les bombardements. Les gens sont plus détendus d’être de l’autre côté.
Le plus impressionnant, c’est le monde qu’il y a ici. Avec les enfants qui pleurent, qui rient. Il faut imaginer qu’en face de ce supermarché qui fait centre d’accueil, il y un McDonalds et un Action. Cela ressemble beaucoup à chez nous.
Marie Claire : Est-ce votre première mission dans un contexte de guerre ?
Louis Marcellin : Complètement. Je suis un “petit” gynécologue du 14ème arrondissement de Paris. J’ai entendu dire qu’une ONG cherchait des bénévoles alors je me suis rallié à Action Santé Femmes. C’est une autre forme de réalisation, c’est inexplicable.
Humainement, c’est extraordinaire. On incite vraiment les médecins à rejoindre cette mission.
Gaël Darlet : De mon côté, je suis en dixième année de médecine, donc encore interne. Avant d’arriver, j’étais inquiet. Mais en fait, ici, c’est très safe, et il y a le matériel adéquat.
Marie Claire : Comment percevez vous l’avenir de la mission ?
Louis Marcellin : Pour le moment, on fait savoir qu’on existe, notamment aux médecins de la ville. Parce qu’à part eux, il n’y a pas de gynécologue. Ça les soulage.
Dans deux jours, on devrait voir arriver un grand nombre de réfugié.es venus de Marioupol, alors les consultations vont commencer à se densifier.
Les dons vont servir à transformer le container en camion, et nous permettre de nous déplacer dans d’autres villes de Pologne, là où c’est bénéfique. On fera en fonction des bombardements. Puis nous passerons le relai à la prochaine équipe.
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