Twilight, mon ultime plaisir coupable
Les livres Twilight sont arrivés dans ma vie peu de temps avant les films. Difficile d’y échapper : au Cultura de la zone commerciale la plus proche de chez moi, des rayons entiers alpaguaient les jeunettes, avec leurs couvertures noires brillantes, leurs lettres blanches ou rouge sang.
Je me souviens de la vitesse à laquelle mes yeux glissaient sur les pages, dévorant les chapitres avec un appétit inégalé depuis Harry Potter, près de dix ans plus tôt. J’étais, comme disent les jeunes aujourd’hui : « hooked », c’est-à-dire, cramponnée à ce livre, Twilight : fascination, et aux trois suivants. Quinze ans plus tard, je me revois le lire allongée sur le ventre, dans la chambre de ma grand-mère, au milieu des effluves fortes de son parfum poudré, et de son pot de crème Nivea.
Twilight : les origines
Elle n’aurait pas aimé apprendre le contenu de Twilight : une adolescente, Bella Swann, y raconte comment elle est « tombée inconditionnellement et irrévocablement amoureuse » (les vrai•es auront saisi la référence) d’Edward Cullen, un vampire. Celui-ci vit en cachette avec sa famille d’outre-tombe dans la petite ville de Forks, bourgade la moins ensoleillée des États-Unis, dans l’État de Washington, tout au Nord-Ouest du pays. Bella y emménage chez son père, Charlie, chef de la police bougon et renfrogné, mais gentil. Alors qu’elle pensait s’ennuyer, la rencontre des Cullen va bouleverser sa vie.
Si je n’ai pas relu les livres depuis longtemps, j’ai revu le premier film de la saga Twilight, avec Robert Pattinson et Kristen Stewart au casting, pas plus tard qu’il y a une dizaine de jours. Je les avais tous revus l’année dernière, au premier confinement, et certainement encore l’année précédente, etc. Je suis toujours « hooked », malgré mes 30 ans, et mon féminisme chevillé au corps. Bref, je n’ai jamais fait sortir Twilight de ma vie.
D’autant que sur les réseaux sociaux, surtout TikTok, une nouvelle génération redécouvre actuellement la saga, dans un élan général de nostalgie pour les années 2000. Ces jeunes internautes s’en moquent beaucoup. Leurs parodies sont à mourir de rire, notamment celles d’un certain Brody Wellmaker.
Alors que les cinq films Twilight sont à nouveau disponibles sur Netflix, confessions et tentatives d’explications sur pourquoi, désormais jeune trentenaire féministe, je continue à être fascinée par la saga imaginée par Stephenie Meyer, malgré ses évidents problèmes de fond.
Cible de choix
C’est ridicule, mais oui, je voulais être Bella de toutes mes forces.
D’abord, parce qu’en bonne adolescente emo dans l’âme, j’étais attirée par une certaine forme d’occulte. Je voulais croire qu’il y avait une autre vie à côté de la nôtre. J’empruntais des livres d’horreur au CDI de mon collège-lycée, je me faisais peur toute seule avec des histoires de dame blanche et sorcières, je me demandais si les sortilèges incantatoires pouvaient vraiment marcher.
J’étais fan des univers dits fantastiques, où le surnaturel côtoie le normal, qui, pour moi, rimait avec banal, ennuyeux. Je rêvais qu’en plissant juste un peu les yeux, allait se dévoiler un monde de magie, de possibilités. Quelque chose en plus, de bien plus passionnant que ce qui s’offrait à moi (Rappelez-vous qu’on n’est jamais trop drama à cet âge). J’étais donc une cible de choix pour Twilight.
Car Bella avait tiré le gros lot : alors qu’elle menait une vie très monotone, elle se trouvait un amoureux immortel, qui pouvait grimper aux arbres, lire les pensées, arrêter une voiture d’une seule main, courir à la vitesse de l’éclair. Edward avait en plus un côté sombre, insaisissable, faisant de lui une sorte de divinité.
Les vampires n’avaient jamais été aussi cool, sexy et modernes. Finis, le château moyenâgeux perché dans les hauteurs venteuses de la Transylvanie, le crâne déformé, les canines jaunâtres et les capes à fanfreluches. Bonjour la chevelure luxuriante tenant par la force divine du gel, les yeux dorés, les looks d’étudiants d’école de commerce, les voitures coupé sport. Sans compter la splendide villa contemporaine des Cullen, que ne renierait pas feue La Maison France 5.
Une héroïne insipide
Cette histoire d’amour m’obsédait car elle n’avait aucun sens. Rendez-vous compte : Bella tombe amoureuse d’un vam-pi-re, qui tombe aussi amoureux d’elle ! Elle, une humaine pas si intéressante.
Car disons-le tout de suite : Bella n’a aucune personnalité. Peut-être dirait-on aujourd’hui qu’elle est très introvertie. Mais dans le livre de Stephenie Meyer, sa description pouvait tenir en quelques mots : rat de bibliothèque maladroite, timide et mal dans sa peau. Voilà. C’est tout.
Le fait qu’Edward, un homme mystérieux à la beauté « marmoréenne », tombe amoureux d’elle comme si elle était la 8e merveille du monde, a donné de l’espoir en intraveineuse à toutes les romantiques effacées et pas cool, comme moi, qui se voyaient comme le vilain petit canard. La scène où Edward ouvre la portière à Bella, avant de se diriger au ralenti vers leur lycée, lunettes Ray-Ban noires, cheveux savamment ébouriffés et veste en jean foncée, m’a longtemps hantée. Je rêvais de passer à travers l’écran.
Bella est fade. Elle ne devient intéressante que lorsqu’elle est transformée en vampire, et encore. Elle n’a même pas le sens de la répartie (cf : « Tu surnommes ma fille comme le monstre du Loch Ness ? », dans le tome 4). Quinze ans plus tard, cela saute d’autant plus aux yeux. La seule chose qui la définit est son amour pour Edward.
Pour preuve, elle tombe dans une grave dépression dans le deuxième tome, New Moon, après qu’il l’ait quittée. Par la suite, lorsque j’ai connu mon premier grand chagrin d’amour, l’image de Bella immobile à sa fenêtre pendant plusieurs saisons, dévastée, m’était revenue avec force. Heureusement, on se remet de tout, même des plus grosses déceptions amoureuses.
Cette histoire d’amour m’obsédait car elle n’avait aucun sens.
(C’est sans doute le bon moment pour confesser que j’ai visité Volterra, où la fin de New Moon a été tournée. C’est dans cette belle ville italienne fortifiée, en Toscane, que résident les Volturi, la famille royale des vampires imaginée dans Twilight. Promis, c’était sur mon chemin, je n’ai pas fait un détour exprès.)
Fusion mortelle
Je voulais être Bella, parce qu’elle semblait vivre la plus grande histoire d’amour de tous les temps. De celles qui vous sauvent, ou vous tuent. Du moins, c’est ce que Stephenie Meyer s’est évertuée à nous mettre dans le crâne dans ses quatre livres. Car Twilight est sans doute l’une des oeuvres de pop culture les plus problématiques qui soient.
Déjà, rappelons qu’Edward a 101 ans, et Bella, 17. Niveau écart d’âge inquiétant, on explose tous les records. Dans la saga, le pire cauchemar de Bella est qu’Edward finisse par être dégoûté d’elle si elle vieillit trop. Parfait pour bien nous mettre dans la tête qu’une femme qui vieillit, c’est immonde. Pourtant, Edward souhaite qu’elle reste humaine, et vieillisse (C’est bien la seule qualité qu’on peut lui reconnaître).
De fait, Edward et Bella sont très fusionnels, trop. Il la stalke quand elle dort, et lui dit même : « Je ne peux pas m’éloigner de toi un seul instant. » Mais à mes yeux d’ado, la relation entre Edward et Bella était un but à atteindre. Aimer, c’était donc ça : la rencontre de deux âmes-soeurs inséparables, comblées pour l’éternité, et qui se suffisaient à elles-mêmes.
Ce n’était certainement pas le but de Meyer, mais en infusant ce message naïf dans la tête de millions d’ados, Twilight a sans aucun doute contribué à entretenir des clichés nocifs sur l’amour, et notamment, les relations hétérosexuelles. Et l’idée que la plus belle chose qui puisse arriver à une jeune fille, c’est de rencontrer l’Amour, avec un grand « A », qui va tout bouleverser sur son passage.
Edward Cullen, ce pervers narcissique
Edward est attiré par Bella non pas pour sa personnalité de feu (sic), mais à cause de l’odeur de son sang (« Tu es comme ma propre marque d’héroïne », pour le citer), et parce qu’elle est la seule personne dont il ne peut pas lire les pensées. Il est donc attiré par elle… parce qu’il ne peut pas la posséder. Difficile de trouver une raison plus sexiste, et terrifiante. D’ailleurs, il fait tout pour avoir la main sur elle. Sous couvert de vouloir la protéger, il essaie de contrôler ses fréquentations, l’oblige à s’éloigner de sa famille, de ses ami•es. Il l’isole.
Pis encore, il doit se retenir en permanence de la tuer. Ce qui est… un problème ? Récemment, un TikTok m’a beaucoup fait rire. Une jeune femme constate : « Mes problèmes relationnels ont commencé quand j’ai été team Edward. Il devait littéralement combattre le besoin de tuer Bella à chaque fois qu’il la voyait. Quand j’ai vu ça, je me suis dit : ‘C’est ça, le romantisme !' »
Mais pour Stephenie Meyer, tout allait bien dans le meilleur des mondes. Pour rappel, cette tirade magnifiant la dangerosité de leur relation : « Et le lion s’éprit de l’agneau. Quel imbécile, cet agneau. Quel fou, ce lion…Quel masochiste. » À l’époque, je croyais lire du Shakespeare. Aujourd’hui, elle me donne envie de hurler dans un coussin.
Plus le temps a passé, plus j’ai constaté avec effroi qu’Edward, loin d’être le prince charmant des ténèbres que j’imaginais, coche toutes les cases du pervers narcissique.
Son envie permanente de contrôler Bella, Meyer l’emballe dans une jolie boîte, et nous la montre comme la preuve ultime d’amour. Pourtant, Robert Pattinson lui-même a dénoncé la toxicité de la relation d’Edward et Bella dans de nombreuses interviews pendant la promotion des films (à se demander pourquoi il n’a jamais été viré).
Mais attention : Jacob, l’autre « prétendant » de Bella, ne vaut pas mieux. À partir du deuxième tome, il devient tout aussi lourd et contrôlant qu’Edward. Il s’évertue sans cesse à faire des reproches à Bella. Surtout, il s’énerve qu’elle ne veuille pas « admettre » qu’elle l’aime, comme lui. Quinze ans plus tard, cette insistance n’est ni mignonne, ni excusable. Au lieu de respecter le choix de Bella, Jacob est en colère contre elle, entretenant l’idée sexiste que les femmes ne savent pas ce qui est bon pour elles, et ne sortent qu’avec des sales types. Tout cela, sur fond de rivalité masculine aussi subtile qu’un gel douche aux phéromones (vérifiez, ça existe).
Plus le temps a passé, plus j’ai constaté avec effroi qu’Edward, loin d’être le prince charmant des ténèbres que j’imaginais, coche toutes les cases du pervers narcissique.
Le sexe interdit
Et puis, parlons de la manière dont le sexe est décrit dans Twilight. Bella est très attirée par Edward, et c’est elle qui lui fait des avances. Ce qui pourrait être perçu comme une normalisation progressiste du désir des jeunes filles. C’est tout le contraire. Edward refuse de coucher avec elle, car il a peur de lui faire mal, à cause de sa puissance de vampire. De quoi cultiver l’idée que les hommes ont des pulsions sexuelles dangereuses et incontrôlables. (Ce qui fait partie de la culture du viol, cet ensemble de préjugés très répandus autour du viol, des violeurs et des victimes de viol.)
Bella et Edward finissent par trouver un compromis : ils auront leur premier rapport sexuel après le mariage, et Edward s’engage à la transformer en vampire par la suite.
Le message est clair : gardez vos braguettes bien fermées les jeunes, car le sexe n’en sera que plus savoureux une fois la bague au doigt. Une conception conservatrice, dangereuse et très simplifiée de la sexualité. Elle glorifie la virginité comme un signe de pureté, à l’image de la foi mormone de Stephenie Meyer.
L’autrice se donne raison lorsqu’elle écrit la lune de miel du couple, où ils cassent littéralement un lit dans leur suite nuptiale. Je me souviens encore des murmures nerveux échangés avec des camarades de classe dans les couloirs, quand chacune avait « enfin » lu cette scène culte du tome 4.
Quinze ans plus tard, impossible de ne pas rire en voyant Robert Pattinson de dos, qui démonte une tête de lit à mains nues, dans un nuage de plumes.
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Twilight, 15 ans plus tard
Mais on ne change pas, on met juste les costumes d’autres sur soi, comme chante Céline Dion. Pour mes 30 ans, qui ont sonné il y a deux semaines, mes amies m’ont organisé un anniversaire surprise « emo », avec une sublime banderole « Welcome to the black parade » faite main, en référence au tube de My Chemical Romance. L’hôte de maison avait concocté un délicieux cocktail rouge « sang », tandis qu’une de mes amies avait préparé un magnifique gâteau noir surplombé de roses rouges.
Elles m’ont accueillie en disant : « C’est ton anniversaire, choisis le Twilight que tu veux, on en regarde un ce soir ! » Bien sûr, j’ai choisi le premier, car c’est le plus culte. Pas forcément le plus ridicule, mais en tout cas, le plus spontané, celui qui a su créer une atmosphère caractéristique. C’est celui que je connais le mieux, quasiment par coeur, de la mise en scène aux répliques, en passant par la bande-originale.
Car parlons-en, de la bande-originale. Qu’importe la médiocrité de Twilight, des artistes très respectés de la scène indie rock ou pop ont signé des titres originaux, ou donné l’autorisation d’utiliser leur musique pour la saga. Ce qui a donné des bande-originales incroyables. Thom Yorke, Lykke Li, bon iver, St. Vincent, Vampire Weekend, Florence + The Machine, Iron & Wine… Après avoir longtemps chouiné sur Clair de Lune de Debussy (ou « Cler dé Loune by Déboussi », comme dit Edward), encore aujourd’hui, je saigne (vous l’avez ?) chaque automne le sublime duo Roslyn, entre bon iver et St. Vincent.
C’est aussi à Twilight que je dois la découverte de mon artiste préférée : Lykke Li. Mais si, rappelez-vous, c’est Possibility, son sombre titre au piano, qui est joué dans la fameuse scène de la fenêtre de New Moon. C’est un fait, Twilight a participé à façonner mes goûts musicaux actuels, et je suis loin d’être la seule. Rien que pour ça, je ne peux que lui en être reconnaissante.
Le premier film m’a aussi donné une obsession certaine (et pour le coup, assez saine) pour les paysages magiques du Pacific NorthWest, dont les grandes forêts sombres et montagnes majestueuses côtoient l’océan agité. Si c’est aussi votre cas, je vous conseille une vidéo de la Youtubeuse Fannyfique, qui s’est offert un beau roadtrip sur les traces de Twilight il y a quelques années.
Mon cerveau a associé ces paysages, l’ambiance surnaturelle, romantique, de Twilight, à tous ces artistes, créant un monde imaginaire auquel il est encore tentant de rêver, de temps à autre. C’est la puissance sans égale de la nostalgie. Ce sentiment de sécurité, de familiarité qu’elle procure est addictif. Je ne sais pas si on peut définitivement se couper de quelque chose qui a beaucoup compté, qui a été constitutif de soi, aussi ridicule qu’on puisse le trouver des années plus tard.
Me replonger dans Twilight, c’est aussi me rendre compte que j’ai vieilli, grandi, mûri. C’est voir le chemin parcouru, mais garder de la bienveillance pour mon moi ado. Elle n’a pas à avoir honte d’avoir été réceptive à ce pan énorme de la pop culture, dont le succès tient notamment au fait qu’il venait renforcer des millénaires de sexisme et de conceptions nocives de l’amour. Je ne suis pas sûre que Twilight susciterait le même enthousiasme sans recul s’il arrivait demain en librairies. Et tant mieux.
J’ai 30 ans et Twilight n’est pas sorti de ma vie. Je pense que ce n’est pas un problème, à partir du moment où je replonge dans la saga avec un esprit critique, et beaucoup d’ironie. Aussi problématique soit-elle, l’essentiel est que cette saga ressuscite un peu en moi l’ado emo romantique et rêveuse de 15 ans que j’étais, qui n’a jamais complètement disparu.
Heureusement, je ne rêve plus de passer l’éternité auprès d’Edward Cullen. Concernant Robert Pattinson, c’est encore ouvert à la discussion…
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