Tranchées, soldats… Les jeux vidéo, aide-mémoire de la guerre de 14-18 ?
- Pour la première fois en France, une exposition évoque l’univers des jeux vidéo de guerre à travers l’histoire de la Première Guerre mondiale.
- L’expo Jeux de Guerre. Jouer avec l’Histoire se tient au centre historique du Mémorial 14-18, à Souchez, près de Lens, dans le Pas-de-Calais, jusqu’au 19 mai 2024.
- La réflexion sur les relations entre les jeux et la véritable histoire est éclairée par les témoignages d’historiens, de développeurs de jeux, d’enseignants et de joueurs.
« Des milliers d’étudiants en Histoire s’y intéressent par le biais des jeux vidéo de guerre. » Ce constat, c’est un professeur d’Histoire qui le livre. Nicolas Patin est spécialiste des guerres mondiales et enseigne à l’université de Bordeaux. Il est également commissaire scientifique de l’exposition Jeux de guerre. Jouer avec l’Histoire qui se tient jusqu’au 19 mai 2024, au centre historique du Mémorial 14-18, à Souchez, dans le Pas-de-Calais.
Installé au cœur de l’ancien champ de bataille de la Première Guerre mondiale, ce musée retrace habituellement la mémoire du conflit qui a vu périr plus de 18 millions de personnes, dont près de la moitié de civils. Alors, au premier abord, l’idée de se pencher sur le jeu vidéo de guerre pourrait y paraître iconoclaste.
L’exposition Jeux de guerre. Jouer avec l’Histoire est cependant avant tout pragmatique, selon Nicolas Patin : « Comme le cinéma ou la littérature hier, les jeux vidéo sont entrés dans les mœurs et guident vers la découverte du passé les jeunes d’aujourd’hui, pour qui la mémoire du XXe siècle s’éloigne ».
Potentiel vecteur de mémoire de la Guerre 14-18
Pour la première fois en France, cette exposition aborde ainsi l’univers des jeux de guerre en confrontant images et objets d’archives avec des extraits visuels traitant de la guerre de 14-18. Un conflit qui est d’ailleurs très peu évoqué : sur plus de 1.000 jeux identifiés dans le monde, seul 90 traitent de la Grande Guerre. Plusieurs raisons à cette sous-représentation, par rapport à la Seconde Guerre mondiale : « la principale est que les affrontements se font à distance via l’artillerie et les combats aux corps à corps sont rares, souligne Nicolas Patin. Difficile d’en produire une expérience de jeu qui soit à la fois réaliste et captivante. »
Au centre historique du Mémorial 14-18, tout au long de la scénographie, les témoignages d’historiens, de développeurs de jeux et même de joueurs alimentent cette réflexion autour de la représentation ludique de ce conflit.
« On n’entend pas du tout de cri »
Avec des rappels constants à la véracité historique, parfois un brin tronquée… L’obéissance aux ordres, pourtant vertu cardinale du soldat, est toujours oubliée ; laissant place à des exploits individuels. Une grosse entorse avec la réalité, comme l’explique Emmanuelle Cronier, maître de conférences en histoire à l’université d’Amiens, à propos du jeu Verdun de la société néerlandaise de jeux vidéo Blackmill Games : « la spécificité de cette guerre, c’est le nombre important de blessés alors qu’à l’écran, ils sont absents visuellement mais aussi dans le paysage sonore. On n’entend pas du tout de cri alors que c’est une réalité importante du no man’s land qui a été beaucoup commenté par les anciens combattants. »
Les créateurs donnent aussi leur point de vue. « Quand on se lance dans un projet comme Soldats inconnus, précise Paul Tumelaire, creative director chez Ubisoft, on fait appel aux archives et on découvre des lettres de poilus, des photos. Je me dis que ce serait dommage de ne pas donner la possibilité d’avoir cette connaissance que nous avons réussi à avoir en faisant ce jeu. » Car Soldats inconnus, qui prend le parti d’éviter le jeu de tir pour une progression par recherches d’indices, fait partie des jeux proposés en test dans cette exposition. Avec Battlefield 1, incontournable du jeu de tir grand public, Verdun 14-18 où les créateurs ont tenté de recréer minutieusement l’atmosphère des tranchées, et Toy Soldiers, dont les soldats de plomb rappellent symboliquement les réalités de la guerre.
L’exemple du film 1917
S’il est un film qui emprunte à l’univers du jeu vidéo, c’est bien 1917, de Sam Mendès, sorti en 2019. Il retrace l’itinéraire de deux soldats autour de la bataille de Bullecourt qui eut lieu en avril et mai 1917, dans le Pas-de-Calais. « On a vraiment l’impression d’être embarqué comme dans un jeu. on est avec deux personnages, puis un seul et mis en situation, raconte Laurent Veray, historien du cinéma. On voit bien qu’esthétiquement, beaucoup de films reprennent à leur compte des formes qui proviennent de l’univers du jeu vidéo avec une dimension immersive beaucoup plus forte. »
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