Témoignage : "Je suis devenue culturiste"

Pourquoi je m’impose une telle discipline ? Ça vient de très loin, et je suis très émue de raconter mon histoire. Fière aussi. Vous voyez ces faits divers sordides, genre l’affaire d’Outreau, qui se passent souvent dans le Nord, dans des familles ouvrières où la promiscuité sexuelle, l’alcoolisme, la malbouffe qui produit des obèses font des ravages ? C’est là où j’ai grandi. Ma petite enfance ? Abandonnée par une mère qui buvait et couchait avec trop d’hommes pour pouvoir me garder, un père mort d’un cancer quand j’avais 2 ans, les foyers d’accueil de la DDASS, comme on appelait l’Aide sociale à l’enfance (ASE) à l’époque.

Vivre pour son rêve

Finalement, j’ai été adoptée par ma grand-mère, qui n’avait rien d’une mamie gâteau. Avec elle, les gifles et les coups pleuvaient. Pour cette femme qui pesait dans les 120 kg, j’étais avant tout un commis gratuit et corvéable à merci qui l’aidait dans son élevage canin. Elle me faisait souvent manquer l’école pour que je nourrisse les chiens et les nettoie. Les enseignants fermaient les yeux. Dans ce petit village, tout le monde se connaissait. A cause de mon absentéisme, j’ai redoublé CM2 et 5ème. Pour la plus grande joie de ma grand–mère, qui ne redoutait rien tant que je parte au lycée en ville et qu’elle perde son employée gratuite.

Enfant, j’ai commencé à développer une endométriose. J’ai eu des règles précoces et mes seins ont commencé à pousser, ce qui n’a pas échappé au compagnon de ma grand-mère. Je devais avoir 10 ans quand je l’ai surpris à se masturber devant mon lit. De mes 9 ans à mes 15 ans, ce « grand-beau-père » a essayé périodiquement de me violer. Ma grand-mère ne m’a jamais crue ni protégée. Le rêve auquel je m’accrochais pour tenir : rencontrer un gentil garçon avec qui fonder ma propre famille, et quitter pour toujours cet enfer dès ma majorité. Donner de l’amour à un enfant, celui que je n’avais jamais reçu. 

Mon futur mari, militaire de carrière, s’est heureusement vite présenté dans ma vie. Il m’a logée, nourrie, a payé mes études. Grâce à lui, je suis devenue assistante maternelle, un métier qui me laissait assez de temps pour mon petit plaisir : me rendre dans les ongleries, dont je ne sortais pas toujours satisfaite. C’est pourquoi, il y a dix ans, j’ai décidé d’ouvrir la mienne à domicile. Ma petite entreprise, un mari adorable et deux enfants, conçus difficilement en raison de mon endométriose. La vie commençait à être belle, même si j’ai mis trois ans pour avoir ma fille, cinq ans pour mon fils, de 18 et 13 ans aujourd’hui. Mais je souffrais toujours autant, et il y a quatre ans, les médecins ont enfin accepté qu’on m’opère.

J’ai subi une hystérectomie, la fameuse totale, comme on dit. En ménopause précoce artificielle dès mes 36 ans, je pesais 75 kg pour 1,60 m parce que depuis des années, je grignotais pour compenser mon mal-être. Mon mari a alors proposé que nous nous mettions au running pour que je perde du poids et combatte ma déprime. J’étais partante. J’ai adoré courir, mais maigrir ne suffisait pas, je n’avais pas de formes. Au bout d’un an, j’ai commencé à acheter matériel et tapis pour faire du fitness à la maison. Puis j’ai poussé mon mari à nous mettre, ensemble encore, au culturisme, en salle, sans crainte des regards sur nous, pour prendre du muscle car il est plutôt filiforme.

« L’homme du couple »

Depuis quatre ans, je soulève de la fonte tous les jours, huit à dix heures par semaine, de 19 h à 21 h.

Au programme, entre autres, des haltères et du hip thrust, un exercice où dos sur un banc, on lève une barre chargée posée sur le ventre au niveau des hanches. Je peux soulever jusqu’à 160 kg à la force du bassin alors que je ne pèse que 55 kg. Et j’espère faire mieux. Aller sur les podiums, j’adorerais, mais j’ai une profession. Je travaille dix heures par jour.

Je me suis imposé un cadre strict. Mais désormais, c’est moi qui me fixe les règles, et pas une famille pathogène. Côté alimentation, excepté pendant nos quinze jours de vacances annuelles, je pèse mes aliments et je me lance des défis comme les sèches, des régimes courts très protéinés et où l’on boit peu, pour perdre du gras et soulever plus lourd. J’ai perdu 20 kilos en quatre ans à force de volonté, de régularité. Dans le culturisme, on veut toujours aller plus loin.

Je suis ma propre coach. En ce moment, à 16 h, je prends un shaker de Whey, des protéines pour faire gonfler les muscles et les faire travailler sans se blesser, différents des anabolisants à base de testostérone. J’en prends aussi, sur des périodes brèves, pour augmenter la masse musculaire et diminuer la masse graisseuse. Pas pour ressembler à un homme, avec de gros biceps et des pectoraux qui ressortent.

Je porte des jupes, des talons, de la lingerie fine. Un jour, quelqu’un a dit à mon mari : « Si ta femme continue comme ça, tu n’as pas peur qu’à terme, ce soit elle, l’homme du couple ? » Il lui a cloué le bec : « Ce n’est pas un problème. » Le culturisme chez nous, c’est une histoire de couple. Avant, ni lui ni moi n’osions porter de débardeur. Ensemble, on est plus fort. Nos enfants aussi font de la gym en salle, aux mêmes heures que nous, cela préserve notre vie de famille.

Un nouveau corps sur Instagram

Je me sens heureuse, produisant sans doute cette fameuse dopamine, l’hormone du plaisir et de la récompense, en dépassant mes propres limites, en soulevant des charges de plus en plus lourdes. La pratique est addictive. Il y a aussi une dimension spirituelle dans le culturisme, parce que cette contrainte que je m’impose me rend toujours plus heureuse, équilibrée, active, meilleure dans tous les aspects de ma vie.

Quand je me lance des défis, je ressens une sorte d’orgasme, la jouissance de ne rien lâcher. J’ai vécu cette sensation lors de mon premier semi-marathon, une discipline que je pratique en parallèle du culturisme. Je courais seule, avec un incroyable sentiment de liberté, de plaisir en dépit de douleurs qui peuvent durer plusieurs jours.

Je me suis blessée en soulevant des poids. Je souffre d’une hernie inguinale à l’aine, parce que j’ai beaucoup forcé sur la ceinture abdominale alors que je n’ai plus d’utérus. Je fais attention mais je tarde à me faire opérer parce qu’il faudrait que je me passe de sport pendant trois mois.

Mes fidèles clientes m’ont vue changer. Je ne cache plus mon corps dans d’amples vêtements noirs. Certaines, me voyant épanouie, métamorphosée, m’ont poussée à ouvrir un compte Instagram*. J’y ai posté des photos de moi avant et après, les larges shorts que je portais quand je pesais 75 kg. Le sport m’a aidée à évacuer tout ce stress accumulé depuis mon enfance, et à éviter la dépression qui menaçait.

J’ai sans doute aussi besoin de reconnaissance : au fond, c’est à ma famille que je montre mes muscles, même si j’ai coupé les ponts avec elle. Mon nouveau corps, c’est une revanche sur le passé. Dans mon club ou sur Instagram, j’ai besoin d’avoir un regard sur moi qui me dise que je ne suis pas devenue ce que j’aurais dû logiquement devenir. Souvent, quand je passe devant un miroir, je me regarde comme pour vérifier que c’est moi, cette femme bien dessinée. Je me trouve belle par rapport à celle que j’ai été. Je crois que je renvoie une image positive. Ne pas ressembler aux femmes de ma famille, c’est ma victoire.

(*) @lulu_run_fit

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