Télétravail, flex office, bureaux partagés : quand le sentiment d'appartenance des équipes chancelle
- L’entreprise, un souvenir lointain ?
- Monde du travail : les codes ont changé
- Un sentiment d’appartenance redéfini
- Vers une collaboration à double sens
- Comment trouver le juste milieu ?
Entre l’entreprise et le salarié, un lien privilégié se met théoriquement en place dès le début de la collaboration.
Une relation à la fois singulière et plurielle, notamment parce nombreux sont les travailleurs à consacrer plus de temps à leur travail qu’à leur vie personnelle. Et à passer plus de temps avec leurs collègues qu’avec leurs proches !
Cette relation à double sens entre entreprise et employés a pourtant été lourdement remise en question après plus de deux ans de pandémie, du télétravail obligatoire et les nouveaux mode d »organisation qui en ont découlé. À l’heure du flex office et des bureaux partagés, les liens semblent plus flous et les dirigeants tâtonnent souvent pour savoir comment conserver leurs effectifs et faire perdurer le sentiment d’appartenance.
L’entreprise, un souvenir lointain ?
Réalité sociétale ou phénomène monté en épingle par les médias ? Depuis la crise sanitaire, plusieurs termes sont mis en exergue en ce qui concerne la relation au travail. Ainsi, on parle de quiet quitting ou démission silencieuse pour parler de ces salariés désabusés qui ne sont plus prêts à trop donner au travail, surtout s’ils estiment ne pas recevoir en retour, la rémunération ou la reconnaissance qu’ils méritent.
On évoque aussi très régulièrement « la grande démission » ou cette vague de départ des salariés, parfois sans projet concret. « Dans les faits, s’il y a bien une vague de départs notables dans les grandes villes, elle est beaucoup moins importante en province, où les opportunités sont moins conséquentes pour se permettre de tout lâcher du jour au lendemain », relativise Sophie de Menthon, Présidente du mouvement patronal ETHIC (Entreprises de taille humaine, indépendantes et de croissance) et à l’origine du concept ‘J’aime ma boîte’, qui fête cette année ses 20 ans.
Un point de vue que partage Ralph Ruimy, co-fondateur de l’assurance digitale Acheel. « Les médias ont oublié de préciser que ces démissions en cascade concernaient le microcosme parisien et les cadres qui peuvent se permettre de quitter un job et d’en retrouver un en appuyant sur un bouton, tout en exigeant de travailler à distance parce qu’ils n’en peuvent plus de vivre en ville ou d’avoir des comptes à rendre ».
Les confinements et le chômage forcé de certains salariés ont causé de profonds chocs chez certains qui ont pu se sentir profondément inutiles.
Mais si une partie des salariés affichent un tel ras-le-bol face au monde de l’entreprise, c’est aussi et sûrement parce qu’à mesure que le temps passe – et effet crise sanitaire et économique oblige – nous sommes dans un fonctionnement où tout s’accélère : de « l’onboarding RH » (arrivée du nouveau collaborateur dans l’entreprise et prise de poste) à sa gestion individualisée des performances.
Aujourd’hui, explique Clémence Brunot, Fondatrice de Have You Met Simone, un cabinet de recrutement accompagnant les entreprises sur la parité, « nous avons affaire à des candidats ‘plug & play‘, qui à peine mis en poste, doivent être opérationnels. Et si la personne ne fait pas l’affaire, on fera ce qu’il faut pour qu’elle s’en aille« .
Mais cela n’est pas sans conséquence sur l’affection qu’un salarié peut mettre dans son job et son entreprise. Car dans ces conditions, l’investissement personnel sera minimal. Et la recruteuse de rappeler que « les confinements et le chômage forcé de certains salariés ont causé de profonds chocs chez certains, qui ont pu se sentir profondément inutiles ».
Monde du travail : les codes ont changé
De nos jours, les rapports de force avec l’entreprise ont changé de sens.
Quand un poste est vacant, ce n’est plus l’employeur qui impose ses critères de recherche, mais lui qui doit composer avec ce que les candidats veulent bien lui concéder : jours de télétravail privilégiés, matériel confortable et performant à la hauteur des chiffres de croissance demandés, avantages sociaux appréciés, égalité salariale et équité des chances respectées, respect de la barrière vie pro/ vie privée exigé…
« Plus qu’une pure question de salaire, les travailleurs d’aujourd’hui vont attacher beaucoup d’importance aux critères entourant le poste qui les intéresse. Et ce sont ces critères qui pourraient ou non les faire rester en poste ou les faire quitter un job pour un autre. C’est donc là que les entreprises ont une importante carte à jouer », souligne Clémence Brunot.
Un sentiment d’appartenance redéfini
Il passe, pour les entreprises, par le fait de financer régulièrement des formations, d’organiser des team buildings, de mettre à disposition des accessoires, vêtements ou encore des uniformes à l’effigie de l’entreprise bien pensés.
Sophie de Menthon évoque l’exemple de la société de services dédiée à l’environnement, aux entreprises ainsi qu’aux collectivités à dimension internationale Derichebourg, dont les employés sont, dès leur intégration, « formés aux codes et aux couleurs de l’entreprise ».
Ralph Ruimy lui, assure que la mise en place de réunions mensuelles pour faire le point sur les gains de l’entreprise, les objectifs à venir, ses victoires et défaites, dépenses et pertes… a changé le comportement des employés. Ils se « sentent investis à 200%, car considérés et respectés ». « Non seulement ils participent aux brainsto mis en place, mais en plus, c’est une fierté pour eux d’avoir été consultés pour la mise en place des valeurs de l’entreprise : ambition, pragmatisme, fun et esprit d’équipe », ajoute le co-fondateur.
Vers une collaboration à double sens
Quand on attend beaucoup, il faut pouvoir donner et inversement.
« Quand nous avons monté l’entreprise, la première personne recrutée a été un “happiness manager”. Difficile de créer une boite sans en avoir un de nos jours quand on surfe sur les codes de la start-up tech dynamique mais bienveillante », souligne Ralph Ruimy.
Mais pour conserver des équipes motivées et performantes, l’entreprise Acheel met aussi en place des initiatives qui arrangent les deux parties : locations de Airbnb ou remboursement des transports électriques durant les grèves, mise en place d’un arrêt (rémunéré) en cas de fausse couche pour le couple, d’une salle d’allaitement pour les mères, aucune réunion programmée avant 9h ou après 18h30…
Le but pour l’entreprise ? Obtenir des salariés conscients des conditions offertes, donc motivés et impliqués dans leur travail. En parallèle pour l’employé, c’est plus de souplesse et de facilités au quotidien et le sentiment d’aller travailler sans boule au ventre, surtout quand les entreprises multiplient les formations prônant la diversité, luttant contre les différentes formes de harcèlement… Des actes qui comptent pour les salariés sensibles à ces questions et à plus d’égalité.
Mais pour Caroline Porbadnik, Directrice des Ressources Humaines chez IZI by EDF, le recours à ces postes un peu fourre-tout de “happiness manager” est à moduler. « Cela a été très à la mode dans les années 2000-2010, puis très décrié depuis, car on peut penser que cela concerne surtout des entreprises faussement bienveillantes de nos jours. C’est un peu le genre : Tu as la moitié de la boîte qui est en burn-out donc tu prends un happiness manager pour décorer les bureaux et organiser un apéro et faire passer le tout ».
Ce que recherchent les candidat.e.s aujourd’hui en priorité, c’est une entreprise capable de mettre à son cahier des charges que l’équilibre vie pro/vie privée est primordial.
Ainsi, la bière du jeudi soir ne fait pas tout, et l’écoute du salarié serait primordiale. Une écoute d’autant plus importante selon la recruteuse Clémence Brunot : « ce que recherchent les candidat.e.s aujourd’hui en priorité, c’est une entreprise capable de mettre à son cahier des charges que l’équilibre vie pro/vie privée est primordial ».
Autrement dit, les super locaux, la déco et le babyfoot peuvent avoir un attrait certain, mais ils essoufflent vite, tout comme les fiestas du jeudi soir, aussi originales soient-elles, si elles ne sont pas accompagnées de vraies prises en compte de la réalité des salariés : être libre de ses horaires pour pouvoir gérer un imprévu sans devoir sans cesse rendre des comptes parce que la confiance n’est pas là, pouvoir rester en télétravail si nécessaire, rester à la maison si un enfant est malade, mais aussi tout ce qui contribue de près ou de loin à l’égalité entre hommes et femmes, comme le fait de pouvoir rentrer tôt à la maison sans être jugé quand on est un jeune papa.
« Des facilités qui peuvent être mises en place, notamment par les middle managers qui ont la culture du terrain ou les DRH qui planchent sur le sujet depuis de nombreuses années et soucieux.ses du bien-être au travail », souligne Clémence Brunot.
Comment trouver le juste milieu ?
Entre des employés qui pourraient se montrer trop exigeants et des patrons qui doivent jongler entre management bienveillant, respect et rentabilité, il est parfois difficile de trouver l’équilibre.
Pour Sophie de Menthon, les pas sont à faire dans les deux sens. Mettre en place des occasions de « créer du ciment » – notamment avec des fêtes comme ‘J’aime ma boite’ où les familles peuvent venir, ou encore les « after eight » (soirées où les employés sortent entre eux boire un verre ou des soirées financées par l’entreprise au sein des locaux ou en dehors) – sont autant d’occasions de prouver à l’employé que l’entreprise n’est pas son ennemi.
Mais de son côté, l’employé ne doit pas considérer l’entreprise comme une entité devant tout gérer pour lui. Car si l’on en croit la représentante patronale, « on assiste à une demande croissante de satisfaction de la part des employés envers l’entreprise, que ce soit pour des questions financières, ludiques, philosophiques… Or, l’entreprise ne peut pas décider pour son employé du sens de sa vie, quand bien même elle souhaite le meilleur pour lui ».
Par exemple, nous dit Sophie de Menthon, « j’observe de plus en plus de salariés qui souhaitent travailler de chez eux mais veulent en même temps améliorer le relationnel dans l’équipe et l’entreprise dans son ensemble. Pour moi, ça n’a pas de sens ; l’entreprise n’est pas un eldorado ! ».
L’espoir reste toutefois permis, puisque selon les résultats d’une très récente étude Opinionway pour J’aime ma boite (Sous la direction de Bruno Jeanbart)*, 67% des 1009 salariés interrogés disent aimer leur boite et même 78% des moins de 35 ans.
* Septembre 2022.
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