Télétravail en confinement : "C’est comme si on n’avait rien appris de la première vague !"

Plus les journées passent, plus ce second confinement fait l’effet d’un raz-de-marée, notamment pour celles et ceux à nouveau sommés de travailler… à domicile ! Déjà en mars dernier, des salarié(e)s éreinté(e)s nous avaient fait part de leur épuisement, dû au travail à distance forcé induit par le premier confinement. 

Lara, assistante marketing dans un laboratoire pharmaceutique, confiait alors que sa charge de travail semblait s’être décuplée. « On ne s’arrête jamais de bosser, on fait mille réunions par semaine. Le rythme est identique, voire pire qu’avant », soufflait-elle. Comme elle, 48% des collaborateurs (salariés et managers) ont ainsi estimé “que la première vague de la crise a amplifié leur niveau de stress”. C’est le constat qui ressort de l’enquête bi-annuelle Cegos 2020 sur le climat social en entreprise réalisée en juillet

Un tiers des salariés est en état d’épuisement émotionnel sévère

D’autres études, toutes menées avant le reconfinement d’octobre 2020, alertent sur l’état de santé mentale des salariés et aussi des managers. Ainsi, selon le “Baromètre de la santé psychologique des salariés français en période de crise » (4ème édition) d’Opinion Way, “un tiers des salariés est même en état d’épuisement émotionnel sévère et 5% en burn out, une maladie qui touche d’ailleurs deux fois plus les managers”.

L’amoncellement d’incivilités numériques (manque d’écoute en réunion virtuelle, mails lapidaires…) et le brouillage des frontières entre vie privée et vie professionnelle (sollicitation en dehors des horaires de bureau…) n’y sont pas pour rien.

Si pour l’heure, il est difficile d’obtenir des chiffres concrets sur l’impact de ce second confinement sur les salariés de tous secteurs, pour beaucoup cette deuxième vague semble encore plus épuisante que la première. Les journées de travail s’éternisent, les mails s’amoncèlent, la pression est de plus en plus forte, comme si les hautes instances voulaient à tout prix “sauver les meubles” avant le 31 décembre.
Les équipes, elles ont bien souvent oublié les bonnes résolutions qu’elles s’étaient fixées lors de la première vague de télétravail généralisée : soigner sa posture, savoir prendre des pauses ou fermer les ordinateurs “à l’heure”.

François*, 30 ans, consultant en analyse de data : « C’est comme si on jouait l’avenir du service sur ce dernier trimestre »

“Ces dernières semaines, je finis littéralement sur les rotules tous les vendredis soir. J’ai l’impression qu’en plus des problèmes présents au premier confinement, il y a un stress supplémentaire : il faut maintenir l’activité, tout en faisant les bilans de l’année et les projections pour la suivante. Comme si on jouait l’avenir du service sur ce dernier trimestre ! 

Le premier confinement avait été compliqué car mes responsables sont plutôt “ancienne école” et le télétravail n’était pas du tout une option possible avant la crise sanitaire. D’un coup, il a fallu gérer l’activité à distance sans qu’ils puissent nous “surveiller”. Au début, on avait des réunions tous les jours. Fort heureusement ils ont diminué la cadence. Par contre, ils n’hésitaient pas à faire régulièrement des réflexions sur nos heures de connexion etc. Or, pas besoin d’être connecté au serveur pour travailler !

Même avec les meilleures résolutions du monde, je n’arrive pas à finir à l’heure

A l’annonce du déconfinement, ils nous ont fait revenir sur site très rapidement. Une fois seulement, un des chefs a dit en réunion “finalement, vous travaillez très bien sans moi”. Sa réflexion est très mal passée, puisque ça faisait des semaines qu’on se tuait à la tâche, sans regarder nos horaires et que globalement, la seule chose qui a fonctionné, c’est l’entraide entre les collègues. Depuis, rien n’a changé : on n’a jamais pu aborder les difficultés rencontrées ou les améliorations en process ou les besoins en équipement. Du coup, j’ai essayé de mettre en place des bonnes résolutions du premier confinement : je ne travaille plus depuis mon canapé mais sur une table, je me suis équipé aussi… à mes frais.

Lors de l’annonce du nouveau confinement, je savais que rien ne serait fait du côté de la hiérarchie, par contre je n’avais pas anticipé une telle charge de travail. Et même avec les meilleures résolutions du monde, je n’arrive pas à finir à l’heure.”  

Mallory*, 31 ans, responsable éditoriale : “On nous demande de faire une année en trois mois” 

“Cette année a été plus qu’éprouvante : lors du premier confinement, on a eu trois semaines de tunnel durant lesquelles il a fallu apprendre à communiquer différemment, mettre en place de nouveaux process, tout en couvrant l’actualité très dense, qui est notre cœur de métier. J’ai une équipe d’une dizaine de personnes et j’ai dû réapprendre à les accompagner à distance, tout en gérant l’activité. Ensuite, les choses se sont peu à peu calmées. On a pris de nouvelles habitudes de travail, on a pu sortir un peu la tête de l’eau… et on nous a mis au chômage partiel en partie, ce qui m’a personnellement aidée à souffler. 

L’entreprise a été plutôt pragmatique dans l’aide proposée (licences de logiciel, formation managers, questionnaire sur la qualité de vie en télétravail) mais souvent, c’est arrivé tard et, à date, je ne vois aucune amélioration entre cette nouvelle phase de télétravail prolongée et la première. 

Le retour au télétravail pour une durée indéterminée n’a d’ailleurs pas été un sujet de discussion très profond en interne

D’autant que depuis septembre, c’est devenu très compliqué : comme si, les responsables voulaient qu’on boucle une année en trois mois, pour rattraper en quelque sorte la “pause” notamment financière du premier confinement. Sauf que, ni moi, ni mon équipe n’avons été en pause ! Ça fait donc plusieurs semaines que les nouveaux projets pleuvent, comme pour montrer que malgré le contexte ”on fait des choses”. L’amplitude de ma journée de travail, mais aussi celle de beaucoup autour de moi a explosé. A croire qu’on n’a rien appris de la première vague.

Le retour au télétravail pour une durée indéterminée n’a d’ailleurs pas été un sujet de discussion très profond en interne, lors de l’annonce du reconfinement. Tout le monde est partie du principe qu’après tout « On sait faire maintenant ! ».

En ce dernier trimestre 2020, ou « dernière ligne droite », il faut donc assurer le travail en cours, répondre aux sollicitations de toute part et anticiper l’année prochaine avec des ambitions toujours plus grandes… autant que la fatigue accumulée.”

Olga*, 26 ans, analyste en stratégie client : “L’ambiance du moment, c’est le ‘raz-le-bol’”

“Je crois que le mot qui résume l’ambiance du moment, c’est “raz-le-bol”. Je ne sais pas si c’est juste dans mon entreprise ou non, mais depuis plusieurs mois, on ne sait plus vraiment quelles sont les directives. Tout le monde tente de lancer des projets à droite à gauche, mais la finalité, on ne la connaît pas. 

Du coup, le sentiment général en ce moment, c’est de la lassitude. La charge de travail est moins importante, et du coup j’en profite pour postuler ailleurs

Au premier confinement, la charge de travail a été énorme. Je travaille dans un service transverse pour une entreprise qui conseille et soutient des clients. Autant dire qu’à l’arrivée du coronavirus, il fallait être sur tous les fronts : anticiper les répercussions de la crise, prévoir des axes de développement malgré tout, etc. En plus, j’ai dû prêter main forte dans un autre service à mi-temps mais dans les faits, je me suis retrouvée avec deux temps plein, sans savoir comment m’en sortir. Pourtant, j’étais incapable de laisser tomber mes collègues. Et puis, comme la situation était nouvelle et exceptionnelle, j’étais comme galvanisée les premières semaines. Ça n’a pas duré : un jour, la fatigue m’a rattrapée et j’ai dû demander de l’aide à mon manager pour lever le pied. Heureusement, il est très à l’écoute et il m’a permis de retrouver une charge de travail acceptable, du moins pour quelques semaines. 

Après un été en demi-teinte avec pas mal de bouleversements stratégiques en interne (démissions, changements hiérarchiques), il a fallu affronter la pression de la rentrée de septembre. Tous les services se sont donnés le mot pour “limiter la casse” et finir l’année, sans trop de dégâts. Et par-dessus tout cela, un nouveau confinement… Du coup, le sentiment général en ce moment, c’est de la lassitude. La charge de travail est moins importante, et du coup j’en profite pour postuler ailleurs. Je ne pense pas que ce soit directement lié à la crise, mais je crois que j’ai fait le tour de mon poste. J’ai besoin de changement.

*Les prénoms ont été changés pour préserver l’anonymat

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