"Suite" : un documentaire pour dénoncer les violences sexuelles dans l'athlétisme
« Nous sommes prêtes, nous parlons. » Disponible gratuitement sur Youtube depuis le 20 juin 2022, le documentaire Suite, d’Emma Oudiou, s’attaque aux violences sexuelles et sexistes dans le milieu sportif.
L’ancienne membre de l’équipe de France d’athlétisme, à l’origine du projet, a recueilli les témoignages de plusieurs jeunes femmes.
Dans « Suite », elles prennent la parole pour s’entraider
« Comme vous j’ai rêvé devant ces images et puis j’ai vite été rattrapée » débute Emma Oudiou en voix-off. Elle-même victime de violences sexuelles, la sportive a va sa plainte être classée sans suite quatre an après l’avoir déposée.
« Je suis révoltée, et je sais que je ne suis pas la seule », déclare alors l’ancienne athlète dans son documentaire. Elle poursuit : « Nous sommes prêtes, nous parlons. À vous d’écouter la suite. »
Cinq femmes témoignent dans Suite : Noémie, Elisa, Cassandre, Perrine et Sarah. Deux d’entre elles ont décidé de rester anonyme face à la caméra. À travers leurs récits, elles mettent en cause respectivement un président de club d’athlétisme, un athlète de l’équipe de France et un entraîneur, les accusant de violences sexuelles.
Comme chacune l’explique, les sportives témoignent, entre autres, pour « aider les autres » victimes, filles ou garçons, qui « auraient subi ‘ça’ également ». « Ça », c’est un viol, des attouchements, du harcèlement, ou encore des agressions sexuelles…
Les récits de victimes convergent
Sans le savoir à l’époque, Elisa, Noémie et Cassandre ont été victimes d’agressions sexuelles du même entraîneur. L’homme dont l’identité n’est pas dévoilée au fil du documentaire, se serait aussi immiscé dans leur vie en envoyant des sms déplacés.
Les trois femmes dénoncent le même schéma. Un homme se rapproche d’elles, il semble bienveillant, et leur propose finalement plusieurs massages chez lui. Au moment des faits qu’elle dénonce, Elisa a 16 ans. « Ça se passait dans la garage », décrit la jeune femme.
Si au début, l’homme ne massait que les parties très sollicitées par l’exercice, les mollets et les cuisses, « au fur et à mesure c’était un peu plus loin, les fesses, les parties intimes… ». Elisa précise qu’il n’y a jamais eu de pénétration.
Pendant deux ou trois ans, ces séances de massages se poursuivent. Jusqu’au jour où Elisa y met fin, après que le mis en cause soit « remonté jusqu’au sein ». « Stop ça va trop loin », lui aurait-elle lancé.
Ce jour-là, il a abusé de moi.
Ces massages qui virent aux agressions sexuelles auraient été reproduits sur Cassandre et Noémie. Dans Suite, cette dernière évoque un moment précis alors que l’entraîneur accusé était devenu un très bon ami de sa famille. Celui-ci lui aurait proposé un massage, lui demandant de se déshabiller et d’aller dans la chambre.
Alors qu’elle début son témoignage, les larmes se mettent à couler sur les joues de Noémie. « Les volets fermés, tout était noir. Ce jour-là, il a abusé de moi », assure-t-elle. Elle avait 12 ans. S’il n’y a pas eu de pénétration, selon la sportive, cette dernière raconte comment « il est passé sous [s]on short plusieurs fois jusqu’à [lui] toucher les parties génitales. »
Sept plaintes contre un entraîneur toujours en poste
Histoire similaire pour Cassandre, qui dénonce une manipulation de l’entraîneur pour arriver à ses fins. En plus des agressions sexuelles qu’elle dénonce, l’homme aurait utilisé sa position de force et créait une relation de confiance avec les jeunes athlètes. « Quand tu as 11 ans, l’adulte c’est la personne en qui tu as confiance. […] C’est une figure d’autorité importante, quelqu’un que tu vois très souvent […] C’est difficile de se méfier », estime aujourd’hui Cassandre.
Quelques temps après son agression, les deux femmes portent plainte. Une enquête est ouverte et le commissariat contacte toutes les jeunes filles qui ont été dans ce club. Dont Cassandre. Dans son entretien avec la police, celle-ci raconte son histoire dans les moindres détails.
Alors que le policier lui répète à plusieurs reprises qu’elle a été victime d’agressions sexuelles, la jeune femme commence à prendre conscience de ce qui lui est arrivé. Après avoir délivré son témoignage, elle décide à son tour de porter plainte. Au total, sept plaintes ont été déposées contre l’entraîneur à la suite de cette enquête policière. Mais ce dernier est toujours en poste.
Selon Elisa, « il est protégé par les gens qui sont restés au club ». « Tout le monde le sait », renchérit Noémie, mais « ils n’ont absolument rien fait, ils ne l’ont pas mis de côté ». Comme le confirme Le Parisien, il continue d’entraîner. Le nom du coach « figure bien sur l’organigramme que ‘Le Parisien – Aujourd’hui en France‘ a pu consulter, en tant que responsable du demi-fond. »
Un athlète de l’équipe de France accusé de viol
De son côté, Sarah dénonce un viol qui serait survenu lors de sa fête d’anniversaire en 2018. Plusieurs athlètes de l’équipe de France sont invités, dont un garçon qui lui plaisait. La soirée se passe, puis ils se rejoignent dans une pièce à part.
Mais Sarah explique avoir bu et être rentrée dans la pièce en titubant. Le jeune homme l’aurait embrassé, se souvient-elle avant d’avoir un trou noir. Lorsque Sarah reprend connaissance, adossée contre une machine, elle se rend compte que sa culotte est baissée et que le garçon, membre de l’équipe de France d’athlétisme, « était à l’intérieur d'[elle] ».
« Je lui ai dis d’arrêter […]. Je lui ai dis ‘ça fait mal’, ‘arrête’, ‘c’est ma première fois.' », raconte la sportive. Une scène de viol, décrit l’athlète, qui ne prend fin qu’après l’interruption d’un personne venue toquer à la porte de la chambre.
« Je savais que c’était pas normal, même si, ni moi, ni personne, n’avons mis les bons mots dessus. » C’est plus tard, à l’aide d’un travail psychologique, que Sarah arrive à prendre conscience qu’il s’agissait d’un viol, et que ce n’était ni normal, ni consenti.
L’histoire ne s’arrête pas là. En plus de son traumatisme, Sarah va subir du harcèlement, assure-t-elle, car le jeune homme en question avait une petite-amie. Au sein de l’INSEP, l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance où Sarah est formée, d’autres élèves parlent de cette relation sexuelle dans les couloirs.
« Aux yeux de tout le monde j’étais la fille qui avait brisé un couple, qui avait couché avec un mec en couple ». Sarah aurait reçu des insultes et des appels anonymes. Les autres sportifs et sportives lui auraient collé la réputation de fille facile. Pour autant, personne ne lui a demandé si cette relation était consentie.
« La question de base à poser… » déplore-t-elle, « on m’a direct accusée et insultée ». Au passage, Sarah dénonce « sexisme qui plane » au sein de l’INSEP, « soutenu par les coachs et les dirigeants ».
La jeune femme a porté plainte pour viol trois ans plus tard, quelques semaines avant le tournage de Suite.
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L’emprise d’un homme de pouvoir
Une dernière jeune femme témoigne également. Perrine, elle, raconte « un processus d’engrange et de manipulation » sur 4 ans, mis en place par le directeur de son club, de 28 ans son aîné. Elle débute une relation avec lui, alors qu’elle a 21 ans, ce dernier est marié et père de famille.
« J’étais une novice dans ma vie amoureuse et sexuelle », admet-elle. Si le début de leur idylle semble être « désiré », selon ses mots, aujourd’hui Perrine s’interroge sur la nature de ses sentiments et tente de les démêler de « l’emprise » dont elle était victime. Les deux amants ont alterné entre ruptures et réconciliations.
Perrine évoque un changement dans son comportement : une agressivité soudaine et des relations sexuelles expéditives. « Parfois, il m’allongeait sur le lit, il se vidait et il me laissait », raconte Perrine dans le documentaire, très émue.
Elle-même a fini par vouloir que leurs échanges soient très courts. « Je vais avoir une relation sexuelle avec lui parce que je voulais qu’il parte », explique-t-elle. Puis, il redevenait gentil, assure la jeune femme, lui faisait compliments et cadeaux : « J’étais dans cette ambivalence en permanence. »
Elle le quitte finalement et parvient à se détacher de toute cette histoire. C’est uniquement là, dans cette nouvelle vie, raconte-t-elle, que Perrine réalise avoir été violée : « Je commence à accepter que j’ai été victime. » La jeune femme n’a pas porté plainte car elle explique ne pas avoir « besoin d’entendre le mot coupable pour savoir qu’il l’est ».
La Fédération Française d’Athlétisme (FFA) a contacté l’athlète Emma Oudiou après la diffusion de son documentaire édifiant. La FFA « veut mettre en place des commissions disciplinaires par rapport à toutes les histoires qui sont ressorties dans le documentaire », a-t-elle confié à RMC Sport.
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