"Scandale" : un film porté par l’incroyable trio Charlize Theron, Nicole Kidman et Margot Robbie
En salle le 22 janvier, "Scandale" revient sur la chute de Roger Ailes, patron historique de "Fox News", destitué en 2017 à la suite de nombreuses accusations de harcèlement et agression sexuelle. Nicole Kidman, Charlize Theron et Margot Robbie portent avec force ce film inégal.
C’était l’un des films les plus attendus aux États-Unis pour la fin d’année 2019. Le 22 janvier 2020, Scandale – Bombshell en anglais – sort enfin en France. Ce drame réalisé par Jay Roach s’inspire de faits réels : la chute de Roger Ailes (John Lithgow), fondateur et patron historique et tyrannique de la chaîne d’information en continu conservatrice Fox News, lorsque Gretchen Carlson (Nicole Kidman), une ancienne présentatrice, l’a accusé de rétrogradation puis licenciement abusif après qu’elle ait refusé des avances sexuelles, en 2016.
Sa plainte avait inspiré beaucoup d’autres femmes à révéler publiquement, à leur tour, du harcèlement sexuel, chantage sexuel et agressions sexuelles qu’elles ont subies de la part du magnat des médias, très craint. Des accusations en cascade, qui avaient fini par révéler une culture du silence à Fox News sur les sévices commis par Roger Ailes. Un scandale aux proportions inédites, incluant même l’une des stars de la chaîne : Megyn Kelly (Charlize Theron).
S’il était essentiel de montrer cette affaire sur le grand écran, Scandale pâtit de nombreuses maladresses. Attention, ce papier contient quelques spoilers.
Avec un budget de 32 millions de dollars, Scandale est le premier film d’envergure de Hollywood post-#MeToo s’intéressant aux violences sexuelles systémiques contre les femmes dans le monde du travail.
Pourtant, l’affaire Roger Ailes a éclaté en 2016, pour se solder en 2017, soit un an avant que le New Yorker ne fasse éclater l’affaire Harvey Weinstein, qui a elle-même déclenché le mouvement #MeToo.
Pour cela, beaucoup d’attentes étaient placées dans Scandale, nommé aux Golden Globes et Oscars, où Charlize Theron concourt pour le titre de Meilleure actrice et Margot Robbie, pour celui de la Meilleure actrice dans un second rôle.
Mais les audiences internationales auront sans doute du mal à se sentir concernées par ce qui est montré, tellement le film tire, logiquement, sur des ficelles très spécifiques de la culture américaine, et il est facile de passer à côté de nombreux éléments ou personnages importants sans connaissance du paysage médiatique américain.
Sans doute pour y remédier, le film commence par une présentation de Fox News, presque façon exposé scolaire, par le personnage de Megyn Kelly, qui s’adresse directement à la caméra. Dans un esprit décalé qui brise le quatrième mur, elle nous balade dans les locaux de la chaîne de télévision, et nous fait un rapide historique et inventaire de sa portée.
À la manière du brillant The Big Short (2015), qui traitait de la crise des subprimes, on essaie d’accrocher l’attention en abordant un sujet lourd de manière décalée, presque drôle. Une entrée en matière assez désarçonnante, qui n’est pas la plus heureuse vu la souffrance de victimes ensuite étayée tout au long de Scandale. Notamment quand on pense à sa scène la plus forte, mais arrivée un peu comme un cheveu sur la soupe, où plusieurs victimes de Roger Alies font un cameo vocal en racontant rapidement ce qu’il leur a fait subir, tandis que des photos d’elles prennent tout l’écran.
Tout au long du film, on suit le quotidien et les combats croisés de ces trois journalistes qui, finalement, ne se croisent toutes ensemble qu’au détour d’un ascenseur. Charlize Theron est phénoménale dans la peau de Megyn Kelly, dont elle a su reprendre les poses et manières de parler. Avec un travail de maquillage et prothèses saisissant, la ressemblance entre les deux femmes est troublante.
Le film revient sur une séquence culte, lorsque cette présentatrice de Fox News avait osé interroger Donald Trump sur ses propos orduriers envers les femmes lors d’un débat républicain. Mordante et affirmée, elle se retrouve la cible des critiques et menaces pendant de longs mois, alors que le candidat s’en prend à elle sur Twitter.
Scandale s’attelle, avec succès, à retracer cette année d’enfer pour la journaliste, qui ressent une profonde colère. La décision de mélanger des images réelles de Donald Trump avec des images tournées pour le film est judicieuse, permettant notamment aux spectateurs non-américains de se sentir un peu plus concernés.
Si Megyn Kelly subit un sexisme de plein fouet, tout en affirmant à qui veut l’entendre que « Non, elle n’est pas féministe », sa collègue Gretchen Carlson, jouée par Nicole Kidman, tente de faire bouger les lignes en instillant des messages progressistes dans l’émission de l’après-midi qu’elle anime seule. Auparavant, elle officiait dans un talk-show très regardé à plusieurs voix, où elle était la seule femme. Elle en a été rétrogradée après avoir refusé des avances de Roger Alies. Lorsque ce dernier finit par la licencier, elle décide de l’attaquer, et veut dénoncer cette culture du chantage sexuel.
À travers ce personnage, Scandale offre une autre vision du sexisme : celui que l’on nomme ordinaire, qui s’insère dans des paroles et blagues semblant banales, mais qui en sont d’autant plus dommageables. Mais la présentatrice a tout consigné depuis des années, bien consciente que ce qu’elle a subissait n’était ni normal, ni légal. Il est vivifiant de voir un personnage féminin âgé d’une cinquantaine d’années réclamer réparation pour le pouvoir et le respect dont on l’a privée à cause de son genre, dans un milieu justement si puissant et viril.
La plainte de Gretchen Carlson fait les gros titres, et amène, petit à petit, d’autres femmes à témoigner. Mais tout le monde s’interroge sur le silence de la star de la chaîne, Megyn Kelly. Scandale réussit également à expliquer ses hésitations à s’exprimer publiquement sur l’affaire.
Pendant ce temps, on suit également la progression d’une petite nouvelle : Kayla Pospisil (Margot Robbie). Très motivée et ambitieuse, elle finit par être elle-même victime de Roger Ailes, et subit de plein fouet l’omerta qui règne au sein de la chaîne de télévision sur le harcèlement sexuel perpétré par le grand patron.
Globalement, le film parvient à rendre compte du piège dans lequel sont enfermées les femmes travaillant dans une entreprise sexiste, qui tolère les violences sexuelles. Certaines victimes n’ont pas pour autant envie de sacrifier leur carrière, et essaient de s’adapter pour survivre. C’est le dilemme subi pendant des années par Gretchen Carlson et Megyn Kelly, et auquel est rapidement exposée la jeune Kayla Pospisil.
N’en déplaise aux deux jeunes femmes que j’ai pu entendre s’agacer après la séance, disant que ces victimes « au fond, avaient eu de belles carrières en acceptant d’être harcelées ». Les victimes ne sont pas le problème. Les harceleurs sont le problème, et tout le système d’autorité autour d’eux qui leur permet de ne pas être inquiétés. C’est pourtant, vraisemblablement, ce qu’essaie de d’illustrer Scandale.
Dans ce sens, le réalisateur Jay Roach a jugé opportun de créer un troisième personnage principal, fictif celui-ci : Kayla Pospisil. On peut comprendre, d’un côté, l’envie de montrer que Roger Ailes a continué ses méfaits jusqu’au bout, et de faire de Kayla Pospisil un « exemple » pour « montrer » aux spectateurs comment le chantage sexuel, le harcèlement et l’omerta se mettent en place, jusqu’à isoler une victime traumatisée.
Mais la candeur initiale de la jeune femme en fait un exemple qui met profondément mal à l’aise. À son arrivée à Fox News, cette jeune influenceuse chrétienne conservatrice est fière, souriante, apprêtée, déborde d’idées pour améliorer cette chaîne qui la fait rêver depuis qu’elle est petite.
Un enthousiasme rafraîchissant, mais qui contraste avec le cynisme ambiant des équipes, et n’augure rien de bon. On se doute d’emblée que quelque chose de terrible va lui arriver, et c’est comme la regarder courir vers un mur. Ce qui est incroyablement cruel.
Ainsi, Kayla Pospisil tente sa chance directement auprès de Roger Ailes pour passer devant la caméra. C’est là que l’homme, âgé et diminué, lui fait du chantage sexuel.
S’en suit alors une scène-pivot, dans laquelle Roger Ailes demande à la jeune femme de remonter sa robe pour « voir ses jambes » (sic), et finalement, lui montrer sa culotte. Cette scène, le réalisateur Jay Roach l’a certainement pensée comme la plus importante de son film. Elle est pourtant la plus ratée.
Pourquoi ? Car la mise en scène, les cadres, l’enchaînement des plans sur la jeune employée et le vieux patron ne suggèrent pas que la révolte, mais une certaine tension sexuelle résultant d’un voyeurisme regrettable. Un cas d’école de male gaze, pour reprendre le terme théorisé par Laura Mulvey en 1975. Il consiste à dénoncer le fait qu’un réalisateur homme a souvent tendance à érotiser et objectifier le corps de ses actrices, par des décisions de mises en scène spécifiques qui créent une distanciation avec le spectateur, et ne permettent pas l’empathie.
Jay Roach a décidé d’alterner des gros plans entre le visage de plus en plus décomposé de la victime, et celui de l’agresseur, qui grogne de plaisir. Il ne lui manquerait plus que le filet de bave au coin de la bouche pour parfaire l’horreur. Pis encore, la caméra revient plusieurs fois sur les jambes, et les fesses de Kayla Pospisil, à mesure qu’elle remonte sa robe. On nous montre même sa culotte, avec un gros plan gênant sur le bassin de Margot Robbie, qui se tortille.
La scène aurait été bien plus forte, et juste, si le cadre s’était concentré uniquement sur le visage de l’actrice, à mesure qu’elle exprime, d’ailleurs très bien, l’effroi qui grandit dans son personnage.
Pour ajouter au malaise, on a l’impression très désagréable de voir ainsi la jeune journaliste être punie d’être jeune, belle, enthousiaste et ambitieuse, de s’être mise en avant. D’avoir été, en quelque sorte, « naïve », parce qu’elle ne s’attendait pas à subir cela en allant toquer à la porte de Roger Ailes. C’est un constat rageant, alors que Margot Robbie est très convaincante, et touchante dans ce rôle.
Peut-être le résultat de ce male gaze problématique, un autre spectateur de cette projection de presse, âgé à vue d’oeil d’une cinquantaine d’années, lâche à voix hauteà la fin de la scène : « C’est vrai que c’est une jolie femme ! » Malaise silencieux et poli, personne ne réagit. Cet homme a-t-il juste vu une belle femme, en passant complètement à côté de l’horreur de ce qu’elle était en train de vivre, justement à cause de cette mise en scène haletante ? Il faudrait lui poser la question pour en être sûr, mais le doute est permis.
Scandale, de Jay Roach, avec Nicole Kidman , Margot Robbie, Charlize Theron, en salle le 22 janvier 2020
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