Sapiosexualité : de quoi parle-t-on exactement ?

"Sapiosexuel" est entré dans nos vocabulaires, sans que l’on se questionne sur son sens véritable et son origine. Les "sapiosexuels" se qualifient ainsi pour indiquer leur attirance sexuelle pour les personnes dites intelligentes… Finalement, quoi de nouveau sous le soleil ?

Morgane fantasme sur Alain Juppé, « le mec le plus sexy de France ». Morgane est l’héroïne du roman de Marlène Schiappa*. Comme son personnage, la Ministre est « sapiosexuelle » : elle se qualifie elle-même ainsi, le 4 août dernier, dans un portrait du JDD

« Sapio », pour l’adjectif « sapiens », « intelligent », « sage », ou « raisonnable », en latin. Le mot valise définit les personnes qui assurent être intéressées sexuellement ou sentimentalement par l’intelligence du partenaire, et ce, avant tout autre critère. Selon une étude menée en 2018 par des chercheurs de l’Université de Western Australie, 8% de la population mondiale se dit sapiosexuelle.

« Le sentir brillant et briller »

S’il semble impossible de tracer l’origine exacte du terme, on sait en revanche que sa popularisation remonte à novembre 2014, lorsque le site de rencontres OkCupid étoffe sa liste d’orientations sexuelles en proposant à ses utilisateurs les termes « asexuels », « queer », « non-binaire », « ne sait pas » et… « sapiosexuel ».

Les concurrents lui emboîtent le pas et démocratisent tour à tour le qualificatif… Jusqu’en 2017, quand une application américaine se lance sur ce seul créneau et créé l’application « Sapio ». « Les profils sont plus qu’un visage », prône Sapio, qui prend le contre-pied des applications de dating, où la décision de se connecter se prend sur un ou deux selfie seulement.

S’il m’invite chez lui, je cours instinctivement vers la bibliothèque. Et ce que j’y découvre peut être aussi rédhibitoire qu’excitant

« It’s a match ! » Un échange virtuel, puis la rencontre, entre Sophie et l’homme « matché »… « Au premier rendez-vous, je ne peux pas m’empêcher de l’assommer de questions : que lit-il en ce moment ? Quel est son écrivain préféré ? Son genre littéraire favori ? S’il m’invite chez lui, poursuit-elle, je cours instinctivement vers la bibliothèque. Et ce que j’y découvre peut être aussi rédhibitoire qu’excitant », assume Sophie.

L’ingénieure parisienne de 27 ans confie aussi cuisiner rapidement son rencard sur ses opinions politiques, ce qu’il pense de tel sujet sociétal… Puis les études et la profession, confesse-t-elle, à moitié honteuse. Elle veut tout de suite savoir, l’entendre en parler, « le sentir brillant et briller », s’emballe-t-elle.

Les obsédés du Q.I

« Ne sous-estimez pas le pouvoir de séduction d’un vocabulaire décent », écrit une internaute sur un groupe Facebook dédiés au « Sapio-Love », qui réunit une communauté de 14.000 membres.

« Séduisez mon esprit et vous pourrez avoir mon corps », publie une autre. « Avoir une conversation profonde avec quelqu’un qui a un esprit brillant est une nouvelle façon de faire l’amour », estime un troisième. L’intelligence est érotisée, le cerveau, sexualisé (« Ton cerveau est la partie de ton corps la plus sexy. »).

Les sapiosexuels connectés se partagent aussi des dessins érotiques : une femme léchant un cerveau ou un homme chevauchant un livre. 

Il y a comme un hic

Mais quel est le propos des sapiosexuels, au juste ? Que eux s’intéressent à l’esprit ? En opposition à qui ? Les autres ne prendraient pas en compte l’intellect de la personne ? Tous les autres ne s’intéresseraient qu’au physique ? Est-il si original que ça de trouver son partenaire intéressant ? L’intelligence n’est-elle pas une des premières qualités recherchées par tous ? N’est-ce pas le  Sophie le concède. Rien de révolutionnaire, finalement.

Et puis, de quelle intelligence parle-t-on ? Du Q.I simplement ? De la culture ? Du niveau d’études ou du prestige de celles-ci ? Quid de l’humour, de la répartie, de la curiosité, de la créativité ? 

Selon quels critères évaluent cette « intelligence » ? Et qui sont-ils pour pouvoir la détecter chez l’autre ? C’est ici que les sapiosexuels sont taxés de « snobs », voire de prétentieux.

L’étude menée par les chercheurs de l’Université de Western Australie démontre pourtant que les personnes** qui se qualifiaient de sapiosexuelles n’avaient pourtant pas un QI plus élevé que la moyenne. Oups.

  • Qu’est-ce qui fait fantasmer les femmes ?
  • Vos prénoms sont-ils compatibles pour former un couple ?

*Pas plus de quatre heures de sommeil, de Marlène Schiappa, (Ed. Stock), 2014.

**Sur un panel de 383 personnes, âgés de 18 à 35 ans.

Source: Lire L’Article Complet