Révolte des jeunes, migration… On a mis un pied dans la décennie 2020
- A l’occasion de l’entrée dans la nouvelle décennie, 20 Minutes consacre une série d’articles aux années 2020, nouvelles années folles.
- Virginie Raisson, présidente du Laboratoire d’études prospectives et d’analyses (Lepac) et Spécialisée dans la géopolitique prospective, nous invite dans la prochaine décennie.
- Pression migratoire, vieillissement de la population, réchauffement climatique, limitation des ressources… Ce n’est pas joli joli.
Cent ans plus tard, les « années folles » repointent le bout de leur nez. Des « roaring twenties » [les années 1920 rugissantes], portées par une euphorie créatrice et une croyance quasi fanatique en la révolution industrielle, nous entrons dans les « worrying twenties » [les années 2020 inquiétantes], comme les a baptisées la grande étude de Ipsos Trend Obs 2020. Au menu de la décennie : désenchantement, détresse existentielle et fantasme de l’apocalypse. Toute la semaine, 20 Minutes explore les futurs proches qui nous attendent d’ici 2030. Dans ce premier épisode, nous observons les « signaux faibles » qui sont autant d’indices sur notre avenir.
Que peut-on espérer pour la prochaine décennie ? Assez peu de chose positives à en croire les gros titres de la presse. 2019 a donné un avant-goût inquiétant de ce qui nous attend dans les années à venir : catastrophes environnementales en tous genres(incendies en Australie et dans la
forêt Amazonienne, érosion de la biodiversité, inondations…), révolte de la jeunesse mondiale, immobilisme des Etats devant la crise climatique. La liste est encore longue et ça ne va pas s’arranger.
Virginie Raisson-Victor*, autrice de 2038, les futurs du monde (Robert Laffont) et présidente du Laboratoire d’études prospectives et d’analyses cartographiques
(Lepac), passe en revue les signaux faibles qui dessinent déjà le monde de demain. Et bonne année surtout !
Une population vieillissante (la poisse)
« Sur le plan démographique, le vieillissement constitue la tendance la plus importante pour le futur de nos sociétés. A partir du moment où une population vieillit, le nombre de personnes atteintes de maladies neurodégénératives et de cancers augmente et, avec elles, le nombre de personnes dépendantes. Or leur prise en charge soulève un problème de main-d’œuvre disponible pour les accompagner au quotidien, et de répartition des ressources publiques pour assurer le financement de leurs soins. Un enjeu de solidarité intergénérationnelle entre des plus jeunes, moins nombreux, qui héritent de la dette de leurs aînés, et leurs parents, dont les revenus ne seront pas égalés par ceux des générations suivantes, va se poser.
De la même façon, une population qui vieillit, c’est une population qui a besoin, pour se déplacer, de bancs, de rampes d’accès et d’une ergonomie particulière dans les transports. Bien sûr, tout cela aura un coût et imposera, aux villes, de faire des arbitrages critiques, d’autant plus délicats qu’ils engagent la solidarité intergénérationnelle. Au moment de faire ces choix, il conviendra de prendre en considération l’âge moyen des votants car on sait que les priorités évoluent avec l’âge. Tandis que les plus âgés sont facilement sensibles aux questions de santé, de sécurité ou de patrimoine, les plus jeunes, eux, attachent davantage d’importance aux questions de justice sociale, d’écologie et d’éducation. Or on calcule qu’en France, l’âge médian des votants pourrait atteindre 56 ans en 2050. Le vieillissement vient donc aussi se placer au cœur du débat démocratique et de la reformulation du contrat social. »
La révolte d’une jeunesse qui n’a plus rien à perdre
« Imaginons que j’aie vingt ans. Tous les jours, j’entends dans les médias que tout est fichu puisque le monde doit s’effondrer avant 2050 pour cause de faillite écologique et climatique mais peut-être aussi financière. D’ailleurs, on me dit aussi que je ne peux pas espérer gagner autant que mes parents puisque d’une part, la croissance est un modèle fini, que d’autre part, les « boomers » nous laissent une dette colossale et que par ailleurs, ils prélèveront de plus en plus dans ma cagnotte pour financer leur retraite. Autrement dit, je dois être solidaire et faire des efforts en épargnant ou en modifiant mon mode de vie alors que ceux qui programment ces concessions n’en font aucune pour préserver les générations futures en changeant de modèle. Il est donc de plus en plus clair que je n’ai rien à perdre – voire tout à gagner – à changer de système.
Devant l’absence de projets politiques et sociaux fédérateurs, on ne peut écarter l’hypothèse que des mouvements de rébellion sociétale se développent dans des sociétés où les richesses se polarisent et les « vieux » peinent à céder leur place. Quant à savoir pourquoi l’explosion n’a pas encore eu lieu, on peut penser qu’en proposant aux internautes et aux gamers de mener une existence virtuelle plus conforme à leurs aspirations que la vie réelle, jeux et réseaux sociaux servent de temporisateur à leurs frustrations. Difficile de savoir si cela suffira durablement. »
La pression migratoire (merci le réchauffement climatique)
« À mesure que le nombre de personnes en âge de travailler diminuera en Europe alors qu’il augmentera dans les pays les plus touchés par le réchauffement climatique au sud de la Méditerranée, la pression migratoire devrait sensiblement augmenter. Où pourront se réfugier la part des 55 millions
d’habitants qui vivent dans le delta du Nil dont la survie est menacée par le changement de régime des pluies, la salinisation des terres et la montée du niveau de la mer ? Certainement pas en Israël, ni au Soudan ou en Lybie, également touchés par la désertification. Les Européens auraient tort de croire qu’ils pourront contenir le flux et régler le problème en se limitant à ajouter quelques bateaux sur la Méditerranée. On ne peut pas exclure que d’autres conflits liés aux dérèglements des écosystèmes et au manque d’eau surviennent dans la prochaine décennie à l’instar de la guerre en Syrie, mettant alors sur les routes des millions de migrants supplémentaires. »
Un autre régime alimentaire
« Après des décennies de croissance, l’humanité a fini par atteindre les limites planétaires qu’il s’agisse d’eau, d’énergies fossiles, de terres arables, d’absorption des déchets ou de reconstitution des écosystèmes. Et quoiqu’on se plaise à faire miroiter la possibilité de vivre un jour sur Mars, le seul moyen réaliste qui permettra de préserver la survie de l’humanité consistera à transformer notre modèle économique et nos modes de vie pour les ajuster aux ressources disponibles et renouvelables. Parmi les mesures indispensables à mettre en œuvre, la réforme des régimes alimentaires n’est pas la moindre. Elle touche aux habitudes et aux codes culturels. Mais, pour limiter la déforestation et le stress hydrique, on peut penser que d’ici à vingt ans, notre alimentation sera moins carnée, qu’elle comportera plus de protéines végétales et qu’elle s’appuiera davantage sur des productions locales. Au-delà des injonctions écologiques à manger mieux, les épidémies d’obésité, de diabète et de maladie cardio-vasculaires pourraient aussi pousser à réduire la part de produits transformés et enrichis dans les assiettes. La surpêche, elle, limitera la consommation de poisson. De là à penser que nous mangerons tous des insectes… Rien n’est moins sûr car les représentations culturelles sont les plus longues à modifier. »
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La réinvention de la vie locale (enfin du positif)
« Tandis que les signaux les plus inquiétants se situent à l’échelle mondiale, d’autres tendances beaucoup plus positives sont déjà perceptibles à plus petite échelle. Elles laissent entrevoir ce à quoi un avenir frugal pourrait ressembler. On peut citer la résurgence de systèmes d’entraide et de solidarité de quartiers, de communautés ou de villages ; l’engagement citoyen accru ; le partage de trajets, d’objets, de logements ou de jardins qui substitue l’usage à la propriété ; la progression du recyclage, de l’économie circulaire et du marché de la rénovation ; la mise en place d’un revenu universel, le développement de monnaies locales et la réhabilitation du troc ; les productions et redistribution locales d’énergie durable ou de produits agricoles ; l’émergence de communautés et de villages autosuffisants… Autant de mouvements qui essaient de réinventer une vie locale en dehors des circuits économiques traditionnels pour préserver ensemble les équilibres sociaux et écologiques mais aussi le bien-être et la santé des habitants. Il est frappant de constater qu’à ce jour, les retours d’expérience sont toujours très positifs. »
*Retrouvez la conférence TEDx de Virginie Raisson-Victor ici
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