Retour sur la genèse du festival de la BD d’Angoulême, qui fête ses 46 ans
- L’association FIBD organise, pour la 46e édition du Festival de la BD d’Angoulême, une exposition consacrée à ses premières années.
- Le cofondateur du festival, Francis Groux, et sa fille Delphine, présidente de l’association FIBD, racontent la genèse de l’événement.
- Le salon a connu un succès immédiat dès sa création en 1974, malgré la censure.
C’était l’année qui a vu la naissance de Papyrus, du
Punisher et de
Wolverine. Celle de la création des
Humanoïdes associés et du premier ouvrage des éditions
Futuropolis, Patamousse. George Pompidou était encore président, Claude François était au top du hit-parade. Et ce fameux mois de janvier en 1974, un petit salon aux ambitions « internationales » se lance à Angoulême.
Quarante-six ans plus tard, à l’occasion de l’édition 2020 du Festival international de bande dessinée (FIBD) d’Angoulême, l’association FIBD revient sur la genèse de ce grand rendez-vous dans une exposition-souvenir. Visible le temps du festival, du 30 janvier au 2 février 2020, dans un local de la rue Hergé, Âmes seventies – Quand le festival s’appelait salon raconte la création de l’événement, photos, anecdotes et affiches à l’appui.
« Une manifestation qui était le fruit de leur passion »
« 2020 est une année un peu exceptionnelle pour le festival, avec BD 2020, et pour la ville, qui a récemment été désignée « Ville créative » par l’Unesco, rappelle Delphine Groux, présidente de l’association FIBD et petite-fille de Francis Groux, l’un des cofondateurs. Il nous est apparu essentiel que tout ça, c’est parce qu’en 1974 des personnes un peu farfelues ont décidé de créer une manifestation qui était le fruit de leur passion. »
A l’origine du festival, il y a donc Francis Groux, Jean Mardikian et Claude Moliterni. Le premier, passionné de BD impliqué dans l’associatif local, se rapproche du deuxième à l’époque maire-adjoint à la Culture, pour organiser des événements culturels sur la BD. Le troisième avait organisé à Paris Dix millions d’images : l’âge d’or de la BD, la première grande exposition de bande dessinée en France.
Une première affiche dessinée par Hugo Pratt
« J’ai commencé par faire des expositions sur la BD, se souvient Francis Groux. Personne ne connaissait à l’époque, on était peu d’amateurs à Angoulême. » Groux et Mardikian organisent en 1972, avec l’aide de Molitarni, une « Quinzaine de la bande dessinée ». Franquin, Gotlib, et d’autres auteurs célèbres viennent dédicacer au musée municipal. Le succès est au rendez-vous, l’événement bien reçu des libraires, des auteurs et du public. En 1973, Claude Moliterni invite Groux et Mardikian au salon international de BD de Lucques, en Italie, qu’il a cofondé. « Les organisateurs ont accepté qu’on les copie, et on s’est lancé trois mois plus tard, en janvier 1974. »
André Franquin, Hermann (Comanche), Jacques Martin (Alix), Claire Brétecher (Les Frustrés), Jean-Claude Fournier (Spirou), Fred (Philémon), mais aussi Harvey Kurtzman, rédacteur en chef de la revue Mad, ou Burne Hogarth (Tarzan)… La liste d’invités est déjà prestigieuse. Hugo Pratt dessine la première affiche, sur laquelle Corto Maltese invite le public au voyage.
20.000 visiteurs la deuxième année
Le succès est immédiat : 10.000 visiteurs viennent rencontrer les auteurs de BD au musée d’Angoulême, qui accueille le premier « salon ». « C’est la première fois qu’autant d’auteurs de BD venaient à Angoulême, raconte Francis Groux. Nous obtenons le soutien de la presse locale de Sud-Ouest, de la Charente Libre. Depuis Paris, le maire entend parler du salon et revient à Angoulême pour recevoir les auteurs. Il leur dit « Je souhaite la bienvenue aux dessinateurs de dessin animé »… »
L’année suivante, la fréquentation double, avec 20.000 visiteurs. « Il y a eu un effet boule de neige, estime Delphine Groux. Les gens avaient été bien accueillis, et les auteurs étaient déjà copains, tout le monde se retrouvait à Angoulême dans un esprit bon enfant. » Le salon déménage, dans le Chapiteau des Tréteaux de France, « installé devant l’école de musique ». L’ancêtre des « bulles », ces grands chapiteaux dans lesquels les éditeurs installent leurs stands. On y vend le tout premier numéro de Métal hurlant, Jacques Martin brûle une planche originale d’Alix sur le parvis de l’hôtel de ville, et Jijé, Morris, Peyo et Jacques Tardi se rendent à leur tour au salon.
Annie Goetzinger est sacrée « Espoir de la BD », tandis que l’américain
Will Eisner reçoit le Grand prix.
Les grands noms se succèdent, chaque édition a droit à son moment que les anciens racontent ensemble. Et dès 1978, les débats portent sur la question du statut des auteurs de BD. « Toutes ces anecdotes, que nous racontons dans l’exposition, ont participé à faire la notoriété du festival », estime la présidente de l’association FIBD.
Hergé, la consécration
Pour Delphine Groux, les bases du FIBD tel qu’on le connaît aujourd’hui – il est désormais organisé par l’entreprise 9e Art + et accueille environ 200.000 personnes chaque année – « étaient déjà posées à l’époque ». « Le salon était international dès la première année. Le « trio infernal » des fondateurs disposait déjà de contacts, d’un réseau et d’outils de communication nécessaires. »
Pourtant, il n’était pas si évident de parler de BD dans les années 1970. La censure était encore de mise. « Dès la première année, nous avons eu des problèmes de censure. On s’est fait accrocher par l’évêque, aussi. Mais on est passés outre et on a tenu. » Jusqu’à la consécration, qui, pour, pour Francis Groux, vient en 1977. « On avait nommé Hergé président d’honneur, et il est venu à Angoulême pour le 4e salon. » Une photo d’Hergé dans la rue Marengo est visible dans l’exposition – depuis renommée en son honneur, la rue est au cœur du parcours des festivaliers.
« Où que j’aille, on connaît le FIBD »
Dans quatre ans, le festival aura 50 ans. « Nous allons faire une exposition dans la cour du musée, pour revenir au berceau. Et jusqu’aux 50 ans, nous reviendrons sur une décennie par année, annonce Delphine Groux. »
« Je pensais organiser une petite manifestation, et que seuls les enfants viendraient, se souvient Francis Groux, un sourire nostalgique aux lèvres. Mais c’est tombé au bon moment, quand la BD évoluait et devenait de plus en plus acceptée. » Aujourd’hui, « où que j’aille, on connaît le FIBD. »
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