Que pensent les historiens de la série « Paris Police 1900 » ?
- Canal+ diffuse ce lundi à 21h05 les deux derniers épisodes de Paris Police 1900. Une série qui mêle personnages historiques et protagonistes de fiction.
- Dans le contexte politique trouble de l’affaire Dreyfus, elle suit l’enquête autour de la sordide affaire criminelle de la malle sanglante.
- « 20 Minutes » a demandé à deux historiens de la police ce qu’ils pensaient de la série
Paris, 1899. A la veille du second procès d’Alfred Dreyfus, la IIIe République est au bord de l’explosion. Le président Félix Faure vient de passer l’arme à gauche, les tensions entre groupes anarchistes et ligues antisémites et nationalistes n’ont jamais été aussi fortes. Alors que le préfet Louis Lépine est rappelé pour maintenir l’ordre dans la capitale, Antoine Jouin, un jeune inspecteur ambitieux de la criminelle, enquête pour retrouver le meurtrier d’une inconnue dont le corps démembré a été retrouvé dans une valise jetée dans la Seine. Il est aidé par Jeanne Chauvin, une jeune avocate. Ce lundi, Canal+ diffuse les deux derniers épisodes de la première saison de la série Paris Police 1900, qui dévoile aux spectateurs la face la plus sombre de la belle époque.
« C’est une bonne série en tant que spectateur. En tant qu’historien, elle est très intéressante car elle est globalement très sourcée. Le trait est forcé, c’est normal. Mais il n’y a pas d’invraisemblances majeures », juge Arnaud-Dominique Houte, professeur à la Sorbonne et spécialiste de la
police au XIXe siècle*. Il y a, dans la série créée par Fabien Nury, « beaucoup de sang et de corps découpés », ajoute-t-il. « Mais ça n’aurait pas dépaysé un spectateur de 1900 car la presse de l’époque adorait entrer dans les détails macabres ». Durant cette période, les journaux « se développent comme jamais », observe de son côté l’historien de la police Jean-Marc Berlière**. « Il y avait bien sûr de l’insécurité, des crimes épouvantables… Mais à partir de 1885, 1890, le crime devient un sujet d’actualité. »
« C’est là qu’est née la police moderne »
Une forme de psychose s’empare alors du pays. Mais, à cette époque, seules les villes de plus de 5.000 habitants ont l’obligation de se doter d’une police. « Il n’y a qu’une police digne de ce nom en France, c’est la police parisienne », assure Jean-Marc Berlière. Il faut dire que la capitale est « la ville la plus peuplée, c’est le centre du pouvoir politique ». « C’est aussi de Paris que sont partis les mouvements révolutionnaires », souligne l’historien. La préfecture de police y a d’ailleurs été créée la préfecture de police un siècle plus tôt, en remplacemenbt de la lieutenance générale de police. Louis Lépine, l’un des personnages centraux de la série de Canal+, restera à sa tête pendant 18 ans. Un record jamais égalé. « C’est là qu’est née la police moderne », explique le professeur émérite à l’université de Bourgogne.
Arnaud-Dominique Houte complète : « Chez Lépine, il y a l’idée que la police doit être moderne. C’est un peu de la com, car les choses ne peuvent pas changer autant que ça et aussi vite, mais il est le premier à considérer qu’il faut valoriser les innovations. » C’est notamment au sein de la préfecture de police que « ce qui va devenir la criminalistique est née », relève Jean-Marc Berlière. Pour identifier les criminels récidivistes à une époque où la carte d’identité n’existe pas, le chef du service photographique de la préfecture, Alphonse Bertillon, va développer un système anthropométrique appelé plus tard « bertillonnage ». Avec lui va se développer ce qu’on appelle aujourd’hui la police technique et scientifique. « On va prendre l’habitude de donner au labo que dirige Bertillon des traces trouvées sur une scène de crime », poursuit l’historien.
« Un antisémitisme hyperradical »
Paris police 1900 surprend aussi par la violence des discours antisémites tenus par des personnages comme Jules Guérin. Difficile de penser aujourd’hui que ce dernier dirigeait un journal baptisé L’Antijuif. « Guérin n’est pas un personnage aussi important que ça, en réalité. Le vrai personnage important, c’est le député Edouard Drumont qui théorisé un antisémitisme hyperradical, intensifié par l’affaire Dreyfus », relève Arnaud-Dominique Houte. A l’époque, la fragile IIIe République est confrontée à « une extrême gauche qu’on va appeler anarchiste par commodité, et à une extrême droite qui n’a jamais supporté la République, la démocratie, un régime sans Dieu », explique Jean-Marc Berlière. Or, « cette opposition s’est cristallisée autour de l’antisémitisme. Il y a des manifestantations dans lesquelles on crie « Mort aux juifs, dehors les métèques », c’est-à-dire les étrangers ».
« Ce que j’ai beaucoup aimé, dans la série, c’est le personnage de Jeanne Chauvin, qui est très réel », souligne Arnaud-Dominique Houte. Cette fille de notaire, orpheline de père à 16 ans, a été la deuxième femme avocate à prêter serment, en 1900, et la première à plaider. C’est en effet à la fin du XIXe siècle, en 1897 plus précisément, qu’une loi est votée pour « renforcer les droits des avocats ». « Avant cette date, ils ne sont quasiment présents qu’au moment du procès. Tout au long de la procédure, le juge n’a quasiment aucun contre-pouvoir. C’était un système très déséquilibré. Après 1897, l’avocat commence à avoir son mot à dire. Mais on est très loin d’un équilibre réel car le système judiciaire est fondamentalement inquisitoire », précise le professeur de la Sorbonne.
Mais la série de Canal+ prend aussi quelques libertés avec la réalité. Jean-Marc Berlière juge notamment « insupportables » les scènes où l’on voit l’épouse du préfet Lépine se droguer avec de l’héroïne…
*« Histoire des polices en France, des guerres de religion à nos jours », de Vincent Milliot, Emmanuel Blanchard, Vincent Denis, Arnaud-Dominique Houte, édition Belin, 41 euros.
**« Le préfet Lépine vers la naissance de la police moderne », de Jean-Marc Berlière, édition Denoe͏̈l, 23,95 euros.
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