Quand le design s'inspire du cosmos
“Il fut un temps, dans les années 60, où les gens étaient idéalistes, drôles et utopistes, assène la designer Victoria Magniant, nostalgique de cet âge d’or d’une insouciance au diapason d’une imagination sans frein. Les questionnements aujourd’hui sont de l’ordre de « comment va-t-on recycler les déchets ? », ce qui n’est malheureusement pas très gai, regrette t-elle. Je crois qu’il est important de réapprendre à rêver si on veut trouver des solutions aux problèmes actuels.” Appliquant ce principe à ses propres créations, Victoria, aidée par Anthony Authié, le fondateur de Zyva Studio, a ainsi récemment présenté au public sa collection de mobilier via des tirages interposés où consoles, banquettes et tabourets étaient comme plantés dans des décors extraterrestres acidulés. Adepte de ce Space Age 2.0, le génie de la 3D n’en était pas à son coup d’essai. Avec l’artiste Charlotte Taylor, il a ainsi relocalisé la fameuse Chemosphere House de John Lautner aux allures de vaisseau spatial, non pas perchée sur les hauteurs de Hollywood Hills à Los Angeles, où elle défie d’ordinaire les lois de la gravité, mais au sommet de montagnes arides rose dragée, devant une Lune rouge démesurée.
Photo : Chemosphere House de John Lautner revisitée par Anthony Authié et Charlotte Taylor
Dans la même veine, le créateur Andrés Reisinger, qui opère à la croisée des mondes entre créations physiques et numériques, donne vie à des images où meubles gonflables, glossy voire carrément chimériques s’intègrent dans des plaines tout sauf terriennes et des intérieurs déconnectés de notre réalité. “Je veux que ceux qui observent mon travail éprouvent un sentiment de familiarité avec ce qu’ils vivent, tout en reconnaissant en même temps une étrange bizarrerie qui les en éloigne”, explique l’artiste basé à Barcelone, grand admirateur du sculpteur, théoricien et poète visionnaire Gyula Kosice, à qui l’on doit notamment “La Ville hydrospatiale”.
Quand le design des sixties imaginait le futur
Artistes, architectes et designers, imprégnés de cette imagerie spatiale, ont toujours fantasmé sur un futur intersidéral. Dès les années 50, à l’heure où les automobiles se parent d’ailerons et empruntent leurs traits aux avions à réaction, le Googie, Doo-Wop ou Jet Age – l’architecture inspirée de la conquête spatiale – redessine le paysage des États-Unis de bâtiments-ovnis, dont le Theme Building en forme de soucoupe volante de l’aéroport de Los Angeles inauguré en 1961, et un an plus tard, tout au nord à Seattle, la fameuse Space Needle, littéralement “aiguille de l’espace”, devenue l’emblème futuriste de la ville.
Photo : Fauteuil “Djinn” d’Olivier Mourgue
Dans les sixties, l’essor des matières plastiques rendant leurs ambitions possibles, les créateurs de mobilier s’affranchissent des prérequis et révolutionnent les formes, qu’ils préfèrent généreuses et tout en courbes. Car si, sur Terre, tout est linéaire, l’espace peuplé de planètes est le royaume de la sphère. “Il ne faut pourtant pas oublier que ces rondeurs sont nées de contraintes liées au démoulage de ce matériau, tempère Xavier Gellier, fondateur de XXO, spécialiste de la location de mobilier vintage et contemporain. À l’époque, on ne savait pas faire d’angles sans casser le moule, ce qui devient coûteux et problématique lorsque l’on se trouve dans une logique de production en série !” Ainsi, les chaises tulipe de Maurice Burke conquièrent l’“USS Enterprise” de “Star Trek”, et les assises “Djinn” d’Olivier Mourgue, elles, le vaisseau immaculé de “2001, l’Odyssée de l’espace” de Stanley Kubrick. “Ces designers ont finalement ancré leur mobilier dans une période donnée, courte, et parfaitement identifiable”, analyse Xavier Gellier.
Le cosmos, une esthétique toujours d’actualité
Soixante ans plus tard, beaucoup d’oeuvres sont encore imprégnées de cette esthétique. “La représentation que nous avons de l’espace et de la vie ailleurs que sur Terre est toujours très ancrée dans le futurisme des années 60”, constate Andrés Reisinger. En témoignent les meubles de l’époque, de la “Ball Chair” de Eero Aarnio à la “Ovalia Egg Chair” de Henrik Thor-Larsen, que l’on retrouve un demi-siècle plus tard dans les films de science-fiction, de “Mars Attacks !” à “Men in Black”. Pourtant ce n’est pas en regardant Will Smith en boucle en plein confinement que Gabrielle Thomassian, la fondatrice de la marque Villa Arev, a nourri son obsession pour les nébuleuses, trous noirs, comètes et autres découvertes galactiques. Hypnotisée par les photographies postées sur l’Instagram de la Nasa, elle se plonge dans les documentaires d’Arte et dans les fantasmes de l’espace véhiculés par le Space Age. Le résultat ? Spacetrip, sa collection de luminaires cosmiques en céramique. “J’ai effectué un énorme travail de recherche avant de proposer des pièces qui m’appartiennent. J’ai trié et catalogué un nombre impressionnant de photographies, d’objets et d’illustrations, notamment de femmes-robots de l’espace, très sexualisées, sur fond de paysages lunaires, désertiques et de ciels très chargés, parsemés d’étoiles et de planètes, qui m’ont donné l’idée de projeter des pigments à la brosse.”
Photo : La collection Spacetrip de Villa Arev
La jeune garde du design en osmose avec le cosmos
Comme elle, nombreux sont les designers à suivre, fascinés, cette course à l’espace du XXIe siècle. Ils lèvent les yeux vers le ciel, s’imprègnent de la magie d’un système solaire qui semble plus que jamais à notre portée. Une nuit en forêt à observer astres et planètes ? Anna Lindgren et Sofia Lagerkvist du studio Front dessinent la lampe “Starfall” (Moooi), un chandelier renversé qui donne l’impression de se trouver sous un ciel étoilé. Une soirée passée à repérer les constellations dans un cottage bordelais ? Lee Broom imagine ses lampes “Crescent”, des globes scindés en leur centre rappelant le croissant de lune. “Je n’y avais jamais songé avant cette soirée mais tout ce que je réalise a trait à la lumière, brille comme le soleil et les étoiles. Aujourd’hui, contrairement aux années 60, il s’agit moins d’inventer le futur que d’imaginer une interprétation plus classique et moderniste de l’espace.” Séduit par cette esthétique spatiale, Lee Broom s’est ainsi amusé, il y a cinq ans, à mettre en scène ses “Crescent” dans une vitrine du magasin Bergdorf Goodman, aux côtés d’un touriste en short et scaphandre installé sur sa “Hanging Hoop” en laiton, un hommage à la “Ball Chair” et au Space Age, dans un décor lunaire au sol aussi cotonneux que de la barbe à papa. L’année suivante, à la Design Week de Milan, il met en scène ses lustres modulables “Orion”, qui permettent à chacun de former ses propres constellations, lors de son exposition “Observatory”, 100 % inspirée du système solaire. Aussi émerveillés que des enfants créant à coups de gommettes phosphorescentes leur voie lactée au plafond de leurs chambres, les designers voient plus loin, plus haut, plus fort. Viser la Lune ? Ça ne leur fait pas peur.
Photo : « tangled, the Shipping » du designer 3D Andrés Reisinger
Photo : Les lampes « TX1 » de Marco Ghilarducci pour Martinelli Luce
Photo : Pour Flos, Manuel Carvalho et Nazara Lazaro imaginent Patricia Urquiola telle une astronaute sur son luminaire « Almendra »
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Reportage paru dans le n°539 – Février 2023 de Marie Claire Maison
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