Présidentielles 2022 : les élections vues par les travailleuses du secteur de la petite enfance

Dans un quartier tranquille du Havre, la crèche associative arc-en-ciel séduit les parents pour le professionnalisme et la bienveillance des 27 femmes qui y travaillent. Derrière les masques, le souffle manque parfois. Comme dans bien des structures de la petite enfance, les arrêts de travail se sont multipliés en ce début d’année.

La faute à la cinquième vague, la fatigue accumulée, à l’anxiété. Certains jours, sur les 16 personnes travaillant avec les enfants, 10 devaient être remplacées au pied levé. Un défi organisationnel pour la direction, une épreuve pour les auxiliaires de puériculture, les puéricultrices et les éducatrices de jeunes enfants dont le travail se fait, se pense, en équipe.

Nos métiers, comme ceux de la santé, sont hors des radars des politiques, sous-dotés…

La directrice Delphine Senente cultive son amour du travail auprès des enfants, dans une bataille quotidienne dédiée à l’administratif : gérer les arrêts de travail, trouver des remplaçantes, négocier auprès de la Mairie pour conserver des subventions, auprès de la CAF pour ne pas céder à la pression du remplissage.

“Nous avons l’impression que nos métiers, comme ceux de la santé, sont hors des radars des politiques, sous-dotés : la dernière fois que j’ai contacté la Protection maternelle et infantile (qui contrôle les structures d’accueil de la petite enfance, ndlr) on m’a adressé à quelqu’un de Versailles, car au Havre tout le monde était en arrêt. J’ai récupéré le nouveau protocole à mettre en place dans quatre jours, sur un groupe Facebook. Il ne m’a pas été envoyé…”

Un sursaut de considération grâce à la pandémie

Ce qui règne alors dans les couloirs de la structure, à quelques semaines de l’élection présidentielle, c’est soit le désintérêt, soit la résignation. Anne Hidalgo veut créer un service public de la petite enfance ? Attendons de voir.

Stéphanie Vion, a été diplômée en 1990, elle a toujours voté et 2022 ne dérogera pas à la règle. Mais elle a hésité : le cœur n’y est pas. “Au moment du premier confinement, quand ils (le Président et le Premier ministre, ndlr) ont parlé de fermer les crèches, je me suis presque dit ‘tiens, ils savent que ça existe’”.

Pour la première fois, j’avais le sentiment qu’on était importants, comme les éboueurs, les hôtesses de caisse, qu’on était des métiers de première ligne que sans nous, l’économie ne fonctionnait pas”.

Un soulagement de courte durée, car comme ses collègues, la salariée n’a pas vu ses conditions de travail s’améliorer, loin de là : “nous sommes 99% de femmes et il y a encore l’idée que le métier d’auxiliaire de puériculture n’est pas lié aux compétences, mais à l’inné, et du coup la pénibilité du travail en crèche (mal de dos, fatigue nerveuse…) n’est pas prise en compte. Désormais, je crois davantage à ce qu’on peut faire, toutes seules dans notre coin, avec nos consciences professionnelles, sans réelle attente des politiques”.

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La petite enfance : un secteur sans frontières

Puéricultrices, auxiliaires de puériculture, éducatrices de jeunes enfants, directrices de crèches, assistantes maternelles… la petite enfance, c’est 40 000 professionnelles, des femmes à 99%. On peut y lire l’héritage d’une tradition affectant spécifiquement aux femmes les rôles de maternage et de care.

Le 6 janvier 2022, après deux ans de Covid, lors du congrès de la Fédération des acteurs de la solidarité, Emmanuel Macron promettait d’instaurer un « droit à la garde d’enfant, avec une indemnisation en cas d’absence de solution ». Un discours qui finissait de hérisser le poil des professionnelles de la petite enfance, quelques mois après la réforme lancée par Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance.

Cette ordonnance, dont le décret est paru le 31 août 2021, aura un impact durable sur l’accueil des tout petits (moins de personnel et moins de mètres carrés par enfant, en résumé) et prend le chemin inverse des préconisations du rapport des 1000 premiers jours, paru en 2020, pourtant commandé par le même gouvernement. Un jeu de yoyo on ne peut plus déroutant qui avait rendu les syndicats furieux.

Les personnes qui ont choisi d’aider les autres, ont du mal à s’aider elles-mêmes.

Lucie Robert, co-secrétaire générale du Syndicat des professionnels de la petite enfance (SNPPE), est encore remontée. “L’école est gratuite à partir de 3 ans, en dessous le parent doit se débrouiller alors que c’est la période la plus compliquée. La société a conscience de l’importance que l’on a mais tout le monde ferme un peu les yeux parce que ça demande tellement d’argent, et donc d’impôts”.

Le SNPPE a des difficultés à mobiliser : “les personnes qui ont choisi d’aider les autres, ont du mal à s’aider elles-mêmes : notre bien-être à nous passe à côté, et au bout d’un moment il y a des craquages”, souligne Lucie Robert. Avec un salaire moyen dépassant tout juste le SMIC (1745 euros bruts mensuels selon l’INSEE), une journée de grève est inenvisageable, même en période de crise. “Il y a le travail et après, il y a les enfants, les courses, le bain… alors pour beaucoup une journée off en semaine, ce sera plus pour rattraper des machines, ou se reposer, que pour descendre dans la rue crier dans le vide”.

La syndicaliste ne baisse pas les bras : “il faut mettre du budget sur l’humain, même si ce n’est pas rentable à court terme. Et il faut enlever les costards et parler d’humain à humain”. À quelques semaines des présidentielles, le collectif Pas de bébé à la consigne, créé en 2009, adresse aux candidat.es aux élections présidentielles et législatives 20 propositions pour une véritable réforme des modes d’accueil qui « redonne toute(s) leur(s) place(s) aux bébés ». Espérons qu’il sera entendu.

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