Pourquoi sommes-nous tous accros à la météo ?

  • La météo, une science en constante évolution
  • Tous addict aux applications météo
  • Passion météo ou l’illusion d’avoir un pouvoir sur l’avenir
  • Une passion pour la météo qui rassemble
  • La météo, vitrine du réchauffement climatique
  • Le consensus météorologique

En 2017, Lawrie Zion, journaliste australien pour The Guardian, écrivait que dans son pays, on cherchait désormais beaucoup plus « météo », que « sexe » sur Google.

Curieuse, je suis allée voir si ça se vérifiait toujours et, notamment en France. Et bien, sachez qu’en 2021, nous étions plus intéressé.es par les vigilances orange, que par notre libido. (Source : Google Trends)

Et finalement, ce n’est si pas étonnant que cela. La météo, on en parle au moins une fois par jour – avec des collègues de bureau, son buraliste ou sa boulangère -. Et surtout, on la traque inlassablement sur tous nos écrans, comme si notre vie en dépendait.

Alimentée par les bulletins télévisés, les chaînes spécialisées et les applications, notre addiction à la météo est presque sans limite. Mais pourquoi semblons-nous presque tou.tes mordu.es de cumulus et autres précipitations ?

La météo, une science en constante évolution

Si aujourd’hui en un clic, on croise les données atmosphériques de nos douze applications préférées, il fut un temps où la fiabilité était un véritable luxe dans le domaine de la météo. Après tout, les Grecs étaient bien persuadés qu’ils étaient condamnés à être à la merci de la colère ou de la bonne humeur des dieux, qui se faisaient entendre à coups de tonnerre et de déluge.

Evelyne Dhéliat, papesse de la météo française, présentatrice du bulletin de TF1 et responsable de la rédaction météo de la chaîne, a su remarquer et apprécier une montée en crédibilité, en trente ans d’antenne. « Quand j’ai débuté, en 1992, on ne parlait pas de météo à 5 ou 6 jours comme on peut le faire aujourd’hui en présentant les tendances de la semaine à venir, c’était presque au jour le jour », se souvient-elle.

Et c’est là que réside l’un des secrets de la météo : c’est une science en constante évolution. Et comme toute chose qui sait se réinventer, impossible pour elle de tomber en désuétude.

« C’est indéniable, les gens ont de plus en plus la tête dans la météo parce que la société n’a jamais été aussi météo-sensible« , confirme Jocelyn Defawe, responsable du département relations presse et réseaux sociaux chez de Météo France. « 70% de l’économie est météo-sensible selon le département américain du commerce, et en France, 30% du PIB dépend de la météo, désormais, c’est aussi un sujet qui a une valeur stratégique énorme », argue-t-il.

Tous addict aux applications météo

Un engouement pour le temps qu’il fait, de plus en plus partagé. D’autant que dorénavant, il suffit de déverrouiller son téléphone pour avoir accès aux prévisions météorologiques du monde entier.

D’ailleurs, sur les plateformes de téléchargement, le choix est presque indigeste : des versions animées, en langues étrangères, ou même spécialisées dans les chutes de pluie – il y en a pour tous les goûts.

Bien qu’aucune étude ne semble s’être penchée sur le sujet, un petit sondage dans mon entourage m’a prouvé qu’en moyenne, on en possédait au moins deux. Et certains puristes croisent même régulièrement leurs prévisions avec celles du site de Météo France (consulté par une moyenne d’1,5 million de visiteurs uniques par jour, précise Jocelyn Defawe) ou celui de la météo agricole. 

Quand les applications météo sont apparues, on s’est posé la question de savoir si les bulletins allaient survivre, parce qu’avec trois pastilles par jour, on n’était pas concurrentiels.

Pour autant, Evelyne Dhéliat n’a pas disparu de nos écrans. « Quand les applications météo sont apparues, on s’est vraiment posé la question de savoir si les bulletins allaient survivre, parce qu’avec trois pastilles par jour, on n’était pas forcément concurrentiels. Les gens pouvaient taper le nom de leur commune et avoir accès à une météo personnalisée heure par heure. Finalement, le public est toujours là, parce qu’il a besoin du contact, de l’échange et surtout, il y a une vraie relation de confiance entre nous. Les gens croient Météo France et TF1, on me le dit souvent », confie la journaliste.

Et effectivement, Météo France non plus n’a pas à rougir face à la concurrence. Le service fait partie des cinq organismes au monde à avoir un système global, c’est-à-dire à être dans la capacité de prévoir le temps, partout dans le monde. (Si vous vous demandez pourquoi, ce n’est pas que pour nos beaux yeux, mais surtout pour des besoins stratégiques, notamment en cas de guerre).

« Si vous allumez votre portable et que vous regardez votre météo de base, c’est celle de serveurs américains et non la nôtre. Nous concentrons la pertinence des prévisions sur la France, mais la météo du smartphone concentre ses observations, algorithmes et analyses sur le territoire américain. Du coup, nous sommes souvent attaqués sur les réseaux sociaux pour avoir mal prédit, alors que dans la majorité des cas, les captures d’écrans proviennent de ces applications étrangères », précise Jocelyn Defawe.

Passion météo ou l’illusion d’avoir un pouvoir sur l’avenir

Si l’on comprend sans souci l’attrait pour cette science du temps qu’il fait, on remarque également son impact sur notre humeur. Qui ne s’est pas retrouvé véritablement contrarié quand les prévisions de beau temps se soldaient en réalité par un ciel gris ? Et puis, c’est indéniable, un jour de pluie sera généralement plus morose qu’une journée ensoleillée. 

C’est pourquoi bon nombre d’entre nous recharge frénétiquement les prévisions pour observer chaque – micro – changement, et espérer un rayon de soleil qui égayera un quodien gris. « Cette addiction aux applications vient atténuer l’angoisse de ne pas savoir, dans une société où on s’organise en fonction des réponses qu’on a et non plus en fonction des hypothèses », explique Anne-Sophie Cheron, psychologue clinicienne.  

Les journées de tristesse extérieure peuvent venir réveiller une tristesse intérieure, mais ce n’est jamais la cause du mal-être.

Mais savoir, c’est aussi se persuader qu’on détient un semblant d’avance sur l’imprévisibilité du futur. « En regardant la météo, on a l’impression d’avoir du pouvoir. Si je me sens mieux les jours où il fait beau, alors demain sera une bonne journée », continue notre experte.  

Pour des raisons physiologiques, le temps peut en effet jouer sur notre humeur – déprime saisonnière – mais il n’est pas censé régir notre vie. « Les journées de tristesse extérieure (ciel noir, pluie, journées plus courtes) peuvent venir réveiller une tristesse intérieure, mais ce n’est jamais la cause, seulement l’élément qui révèle qu’il y a quelque chose de triste en nous« , démystifie Anne-Sophie Cheron.

Attention donc, à ce que la météo ne devienne pas la boussole de vos émotions. « Quand ça prend des proportions trop importantes, comme être constamment en train de scruter les applications pour savoir comment vont se dérouler les prochains jours, il faut se dire qu’il y a un mal-être sous-jacent. Parce que, quel que soit le temps qu’il fait, je devrais pouvoir être joyeux ou triste selon mes émotions intérieures« , analyse notre spécialiste. 

Une passion pour la météo qui rassemble

Quand ce n’est pas notre peur du lendemain ou une déprime qui nous tient, alors la météo reste une passion sans danger pour notre santé mentale. « La météo peut aussi être un passe-temps comme un autre, tempère Anne-Sophie Cheron, nul besoin de voir des sous-tons psychologiques partout ».

Evelyne Dhéliat en est la preuve vivante. « Je ne m’en lasse pas, parce que ce n’est jamais la même chose. La météo, c’est une vraie information, avec de l’anticipation. Je travaille par exemple en tandem avec la rédaction des journaux, parce que mon rôle est aussi de prévenir un phénomène pour mettre en alerte les bulletins régionaux », partage-t-elle avec entrain.

Parfois, on se retrouve face à des personnes qui ont des connaissances poussées alors qu’ils sont banquiers à côté.

Cette passion, bien qu’elle ne soit pas vécue de la même manière, est partagée par des milliers d’anonymes, que le responsable des relations presse chez Météo France connaît bien.

« Dans l’ère de l’open data, c’est beaucoup plus simple de s’intéresser à la science météorologique. Désormais, des informations brutes sont facilement trouvables sur Internet et utilisées par des associations de passionnés qui se retrouvent pour créer leurs propres bulletins météo », raconte Jocelyn Defawe. 

Ainsi, l’association Info Climat tend à « vulgariser la météo et le climat par les sciences participatives et les données ouvertes ». « Parfois, on se retrouve face à des personnes qui ont des connaissances poussées alors qu’ils sont banquiers à côté », sourit l’expert, avec bienveillance. 

La météo, vitrine du réchauffement climatique

Au-delà des passionnés, si la météo intéresse même les plus jeunes aujourd’hui, c’est aussi parce qu’elle est la vitrine des conséquences du réchauffement climatique.

« J’ai été l’une des premières à parler du changement climatique au début des années 2000, alors que ça n’intéressait que les scientifiques. Ils n’avaient pas de visibilité, j’ai donc proposé d’utiliser mon bulletin, qui faisait plus d’un million de téléspectateurs tous les soirs pour parler de bons gestes à adopter. Au début, les gens ne comprenaient pas, parce que ce n’est pas comme une tempête qui arrive, c’est beaucoup plus sournois », se remémore Evelyne Dhéliat.

Pionnière, celle-ci avait enregistré un faux bulletin en 2014 alertant des effets de ce dernier pour 2050. Au final, ces prédictions sont devenues réalité en… 2020. La papesse des bulletins météo a pu observer de près l’évolution de l’intérêt du grand public sur cette question et salue l’engagement des nouvelles générations, qu’elle trouve « extraordinaire ».

De son côté, Jocelyn Defawe explique que si la météo sert de porte d’entrée pour alerter sur le réchauffement, celui-ci biaise notre perception de la météo.

« L’été dernier a été qualifié de pourri. En réalité, si on prend les vingt dernières années, il était relativement similaire à ceux connus à la fin des années 90. Mais comme il faisait suite à plusieurs étés exceptionnellement chauds, notre mémoire météorologique étant courte, on a désormais l’impression qu’au final, un été normal est caractérisé par des vagues de chaleur importantes et un déficit pluviométrique », explique-t-il. 

Le consensus météorologique

Qu’elle passionne, réveille les consciences écologiques ou rassure, finalement, est-ce que ce ne serait pas pour son côté rassembleur qu’on l’aime autant notre météo ?

« La météo, c’est comme les faits divers, ça fait consensus« , me confiait la socio-anthropologue Lucie Jouvet Legrand à l’occasion d’une interview en 2020. Un « vrai sujet de machine à café », complète Jocelyn Defawe.

C’est très fédérateur la météo, ça concerne vraiment toutes les catégories socio-professionnelles, tous les âges et tous les moments de la vie.

S’il est compliqué de trouver des sujets de conversation sur lesquels tout le monde s’accorde, la météo est le joker parfait en toutes circonstances, là où le fait divers peut être un peu violent si l’on discute avec une personne pour la première fois – mieux vaut tenter un « il fait beau hein ? », plutôt qu’un « et toi, du coup, t’as une théorie sur l’affaire Grégory ? ».  

« C’est vrai que c’est très fédérateur la météo, ça concerne vraiment toutes les catégories socio-professionnelles, tous les âges et tous les moments de la vie et puis, on n’a pas besoin d’être expert pour en parler« , s’accorde Evelyne Dhéliat.

Et la journaliste est sûrement la mieux placée pour en attester. Depuis près de trois décennies, elle fait partie des soirées des Français, qui ne s’empêchent pas de l’arrêter dans la rue, les jours de pluie, pour lui demander malicieusement de « faire quelque chose » pour faire revenir le soleil.

« C’est toujours très bienveillant et chaleureux, à l’image de notre rapport à la météo. Il y a quelques hivers, un monsieur m’a interpellée et m’a dit ‘vous savez, à la maison, on vous a mis près du radiateur’, j’ai trouvé ça très mignon. Comme quoi, on peut toucher beaucoup en parlant de la pluie et du beau temps », conclut-elle, un sourire dans la voix.

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