Pourquoi le jubilé de platine d'Elisabeth II est un événement historique

  • Les Britanniques célèbrent les 70 ans de règne d’Elisabeth II du 2 au 5 juin.
  • C’est une première, aucun monarque britannique n’ayant vécu aussi longtemps.
  • Le mélange de cérémonial institutionnel et de fête populaire que représente le jubilé remonte à la reine Victoria.

70 ans de règne : c’est l’étape majeure qu’Elisabeth II, 96 ans, a atteint le 6 février dernier, et que la souveraine et ses sujets britanniques célèbrent dès ce jeudi. Un jubilé de platine, avec concerts, défilés, fêtes de rues, rassemblement… Et quatre jours de congés pour les habitants du Royaume-Uni.

Des mesures exceptionnelles pour un moment exceptionnel. Elisabeth II est la première monarque britannique à célébrer son jubilé de platine. La reine Victoria, son arrière-arrière-grand-mère, n’avait atteint « que » le jubilé de diamant, marquant 60 années de règne. Une étape que la reine actuelle a passée avec succès en 2012.

« Nous n’avons pas connu pareille fête depuis les jeux olympiques ! »

« En fêtant ses 60 ans sur le trône, on ne savait pas encore si on allait arriver jusqu’aux 70 ans », remarque Louise Ekland, journaliste britannique et autrice de God Save my Queen, qui avait alors raconté les festivités pour BFM TV. Désormais, elle participe à la couverture du jubilé cette semaine sur France 2. « Nous n’avons pas connu pareille fête depuis les jeux olympiques de Londres [en 2012] ! »

Il faut remonter au XIXe siècle pour retrouver les premières célébrations nationales d’un jubilé royal. En 1810, on fête les 50 ans de règne de George III, sans que cela trouve écho au sein de la population. Ce « roi fou » est alors sujet à des accès de démence. « Et il était peu populaire, il passait pour avoir été désireux d’installer une monarchie absolue », précise Philippe Chassaigne, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Bordeaux-Montaigne et auteur de Histoire de l’Angleterre des origines à nos jours (éd. Flammarion).

« Victoria n’a pas célébré de jubilé d’argent en 1862, son mari le prince Albert étant décédé peu avant, continue Philippe Chassaigne. En revanche, lors de ses 50 ans de règne en 1887, elle était devenue très populaire, du fait de son association à la puissance de l’Empire britannique. C’est le premier jubilé sous la forme que l’on connaît, avec un service d’action de grâce et des manifestations populaires. »

Affirmer la suprématie britannique

Ce jubilé est alors l’occasion d’une « conférence coloniale », qui réunit à Londres « tous les ministres des colonies disposant d’une certaine autonomie », précise l’historien. Une fête, mais aussi un outil d’affirmation de « la suprématie hégémonique » de la Grande-Bretagne. D’autant qu’il est alors célébré « dans l’ensemble des colonies, un empire qui couvre le quart des terres émergées ». Il en va de même dix ans plus tard, lors d’une fête qui représente « l’apothéose de Victoria ». Cortège dans la ville, messe à Saint-Paul, repas de rue, feux d’artifice : la fête, dont quelques images filmées subsistent, annonce celles du XXIe siècle.

« L’aspect cérémoniel s’inscrit dans l’héritage des cérémonies officielles qui rythment l’histoire des grandes dynasties », rappelle Philippe Chassaigne. Mais le jubilé a ceci de spécifique qu’il associe la population aux célébrations. Dès 1887, des fêtes de rues « spontanées », selon l’historien, s’organisent au sein de la population. Une tradition qui perdure à ce jour, « lors des mariages, des baptêmes, des fêtes de la famille royale, raconte Louise Ekland. Les rues sont fermées, et de grosses, grosses fêtes avec des décorations ont lieu partout. »

En 1935, le Royaume-Uni célèbre le jubilé d’argent de George V, grand-père d’Elisabeth II. « C’est l’occasion de traduire l’attachement du pays à un souverain qui, pendant la Première guerre mondiale, a fait figure de père de la nation », explique Philippe Chassaigne. Il faudra ensuite attendre 1977, pour les 25 ans de règne d’Elisabeth, pour une nouvelle série de jubilés.

Faire la fête pour s’évader

Chacun s’inscrit dans une époque, et dans un contexte spécifique. « Avant les trois jubilés précédents d’Elisabeth, la même erreur a souvent été commise, de penser que cela n’intéresserait personne, rappelle Philippe Chassaigne. En 1977, en raison de la crise économique et sociale, même Buckingham avait prévu de faire profil bas. En 2002, dans la « cool Britannia » jeune et dynamique de Tony Blair, on pensait que la monarchie guindée n’intéresserait personne. En 2012, la crise des subprimes paraissait trop proche. Chaque fois, les Britanniques ont montré leur attachement à la reine, en organisant des repas de rue. Il y a sans doute une dimension d’escapism [évasion]. »

Une dimension encore présente cette année. « Après la pandémie, le Brexit, la mort de Philippe, le départ de Harry, l’implication d’Andrew dans l’affaire Epstein… On a envie de faire la fête ! estime Louise Ekland. C’est du jamais-vu, une célébration pour cette femme extraordinaire qui arrive à la fin de sa vie et a envie d’offrir ces moments de festivité à ses sujets. »

Elisabeth la dernière ?

Elisabeth II sera a priori la dernière avant longtemps à fêter un jubilé de platine : il est peu probable que ses successeurs reçoivent le trône aussi tôt qu’elle, devenue reine à 25 ans. « Elle a accompagné la vie du pays, 80 % des Britanniques n’ont connu qu’elle, affirme Louise Ekland. C’est comme si elle faisait partie de notre famille, on se retrouve autour des évènements de sa vie – c’est teinté de bonheur, de tragédie, de mariages de princes et de princesses, comme dans les contes de fée. Tout le monde n’est pas monarchiste, mais tout le monde est un peu fan de la reine ».

Mais si la reine est bien établie, la remise en cause de la monarchie grandit peu à peu chez les jeunes. Un quart des Britanniques espèrent un changement de régime après sa mort, selon un sondage du think tank British Future. Les républicains n’hésitent pas à pointer du doigt le coût des festivités. « Un éditorial du Guardian a proposé de profiter du jubilé pour abolir la monarchie et faire d’Elisabeth « la dernière »… Je ne pense pas qu’il y ait un réel débat après sa mort au Royaume-Uni, estime Philippe Chassaigne. En revanche, la question se posera en Nouvelle-Zélande, en Australie, au Canada [la souveraine britannique y est cheffe de l’État, NDLR]. Ce n’est d’ailleurs pas anodin que William et Kate aient visité ces deux derniers pays après leur mariage et la naissance de leur premier enfant… Pour entretenir l’attachement à la monarchie, on compte sur le roi d’après. »

Le programme des festivités

Jeudi : La parade du « Salut aux couleurs » (« Trooping the Colour »), qui célèbre traditionnellement l’anniversaire de la reine, née en avril, lancera le début des festivités. Puis les membres de la famille royale effectuant des engagements publics au nom de la reine apparaîtront au balcon du palais de Buckingham. Le soir, des signaux lumineux seront allumés dans tout le Royaume-Uni, et dans les territoires britanniques d’outre-mer.

Vendredi : Une messe d’action de grâce se tiendra à la cathédrale Saint-Paul de Londres. Pour l’occasion, fait très rare, sera sonnée la cloche du Grand Paul, la plus grande du pays qui date de 1882.

Samedi : Elisabeth II devrait assister à une course hippiques, puis 22 000 invités – dont 5000 « travailleurs-clés » pendant la pandémie – rejoindront le palais de Buckingham pour un concert réunissant les plus grands noms de la musique britannique et internationale – dont Queen, Elton John et Diana Ross.

Dimanche : Une grande parade festive aura lieu dans les rues de Londres, et se terminera avec un concert « God Save the Queen » menée par le chanteur Ed Sheeran.

Par ailleurs, tout au long des quatre jours de fêtes auront lieu des repas de rue, dans tout le pays. Le dimanche, des déjeuners sont également prévus dans plusieurs pays du Commonwealth et ailleurs : Canada, Brésil, Nouvelle-Zélande, Japon, Afrique du Sud… Enfin, des membres de la famille royale iront, à la place de la reine, à la rencontre du public. Ces « walkabouts » se pratiquent depuis 1930 : « Après avoir inauguré un monument aux morts à Toronto, le roi George VI et la reine Elisabeth sont allés parler aux vétérans, raconte Philippe Chassaigne. Très populaire, la pratique s’est prolongée. On ne conçoit plus aujourd’hui une apparition royale sans aller à la rencontre des Britanniques. »

Source: Lire L’Article Complet