Pourquoi il faut aller voir Mignonnes de Maïmouna Doucouré

Depuis plusieurs semaines, l’industrie du cinéma tente de rattraper son retard sur le calendrier 2020, largement bousculé en termes de sorties et programmation du fait de la pandémie de Covid-19. Cette semaine, c’est au tour de Mignonnes de se retrouver sur grand écran. Il s’agit là du premier long-métrage de la réalisatrice Maïmouna Doucouré, mais aussi de l’un des films les plus attendus de l’année, notamment parce que les premiers courts-métrages de Doucouré ont su s’attirer les faveurs du public et des professionnels du cinéma.

Il y a d’abord eu Cache-Cache, sorti en 2013, et surtout Maman(s), second court sorti en 2015 qui lui a valu une reconnaissance internationale. Dans ce film qui a remporté le prix du meilleur court-métrage international au Festival de Sundance et le César 2017 du Meilleur court métrage, la réalisatrice raconte l’histoire d’une enfant de huit face à la polygamie au sein de sa famille.

Un court-métrage qui fait d’ailleurs écho à Mignonnes, son nouveau film. « Je règle un peu mes comptes avec ma famille » a d’ailleurs déclaré la réalisatrice ce mardi 18 août, au début de la séance, lors de laquelle elle a présenté le long-métrage devant une salle comble de l’UGC des Halles.

Qui es-tu Amy ?

Mignonnes suit Amy (Fathia Youssouf), une jeune fille noire de 11 ans qui vient d’emménager avec sa mère et ses deux petits frères dans un nouvel appartement. Son père est absent et on découvre qu’il vient de trouver une deuxième femme qui viendra bientôt emménager dans la famille. « Un mariage d’amour », peut-on entendre sa mère dire au téléphone, annonçant la nouvelle à des amis et des membres de la famille.

L’expression est violente et provoque un séisme chez Amy. Au collège, elle se lie d’amitié avec un groupe de filles qui se préparent pour un concours de danse. Entre sa situation familiale et sa nouvelle vie de pré-adolescente, le film raconte cette période charnière – si peu racontée en France – qui fait passer de l’enfance à l’adolescence.

Souvenez-vous de vos 11 ans, l’arrivée au collège, l’envie irrépressible de trouver son groupe de personnes, de se faire accepter… En somme d’en être ou plutôt d »être » comme tout le monde. La pré-adolescence est une période souvent ignorée par le cinéma, notamment parce qu’on n’y fait pas encore des choses de grands, ou en tout cas pas consciemment.

Dans une interview pour Paris-Match, la réalisatrice raconte avoir eu l’idée du film après avoir vu, dans une fête de quartier, des filles de 11 ans danser de manière lascive. « Est-ce qu’elles ont conscience du message qu’elles envoient ?Pendant un an et demi, j’ai enquêté auprès de petites filles. Ce que montre le film, c’est qu’à 11 ans on est encore une enfant et qu’on ne peut donc pas être consentante ».

Et la réalisatrice le montre parfaitement, alternant avec subtilité des moments de danse qui mettent mal à l’aise mais sont encadrées de scènes qui peuvent évoquer l’adolescence de chacun.e. : reproduire des clips dans sa salle de bain, rire avec ses copines, se disputer pour un garçon et cacher, par l’humour ou la tendresse, les blessures petites comme grandes.

Si vous êtes mal à l’aise, c’est une bonne nouvelle

Beaucoup évoquent le malaise que provoquent certains passages du film. Des scènes dansées où s’alternent le twerk et des danses sensuelles trouvées au hasard de recherches Youtube. Celle du spectacle final nous donne d’ailleurs envie de détourner le regard, de préserver la jeunesse.

Mais fermer les yeux devant un problème ne l’a jamais fait disparaître. Aussi, « Mignonnes est un cri d’alarme. Et encore, il y a des choses que je n’ai pas osé filmer. Pour ne pas effrayer les parents… », affirme Doucouré à Paris Match.

Depuis quelques jours, en France comme aux États-Unis où le film sera diffusé par Netflix, la polémique fait rage. En cause, la présentation du film par Netflix international qui a mis en avant un synopsis et une image de promotion du film suggestifs, qui dénaturent son propos. Sur Twitter, certains vont même jusqu’à appeler à la suppression du film du catalogue de Netflix, inquiets qu’il s’agisse d’un long-métrage pédophile ou qui encourage la pédophilie.

Une colère qui serait compréhensible si elle était tournée vers l’hypersexualisation constante des femmes dans nos sociétés et non pas sur le travail personnel et sincère de la réalisatrice qui le dénonce. Comme la réalisatrice, on se souvient avec effroi, de cette affaire datée de 2018 dans laquelle un homme de 28 ans, qui avait emmené chez lui une petite fille de 11 ans pour avoir des relations sexuelles, avait d’abord été acquitté par la Cour d’Assises de Seine-et-Marne au motif que la petite fille, qui avait l’habitude de poster des photos d’elle dénudée sur internet, aurait été consentante. Maïmouna Doucouré, à Paris Match : « On ne peut pas tenir nos enfants pour responsables de ces actes ! Il y a urgence à remettre en question les outils qu’on leur donne pour se construire. »

Qui regarde ?

C’est la question la question que pose aussi, quelque part, Maïmouna Doucouré dans Mignonnes : comment grandir et se façonner soi-même, en dehors du regard des autres. En dehors du regard parental, du regard des hommes, du regard de la société et même en dehors de celui de nos amies les plus proches.

Et pour nous le faire comprendre, Maïmouna Doucouré nous offre une belle scène entre Amy et sa mère, jouée par la captivante Maïmouna Gueye. Une scène dans laquelle la mère donne à la fille la possibilité de faire un choix qu’elle-même ne s’autorise pas elle-même. Et comme ça, tout simplement, Amy peut commencer à devenir qui elle est.

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