PMA suspendues pendant le confinement : "Certaines patientes se sont senties volées de leurs dernières tentatives"

Le 12 mars est une date que Virginie n’oubliera pas. À trois mois de ses 43 ans, âge limite pour la prise en charge par la Sécurité sociale, son parcours d’AMP s’est brutalement arrêté. Ses espoirs aussi.

Le lendemain du discours d’Emmanuel Macron, elle contacte sa thérapeute en périnatalité, Déborah Shouhmann-Antonio (1), et elle n’est pas la seule : « Les appels ont afflué à mon cabinet, explique l’experte en infertilité, beaucoup de patientes m’ont appelée car Macron avait dit cette petite phrase « on va arrêter toutes les activités médicales non urgentes », j’avais bien compris et elles aussi que l’AMP ne faisait pas partie des urgences. Dans la matinée, l’Agence régionale de santé (ARS) nous demandait de tout stopper. On avait alors aucune visibilité sur le virus et ses sur conséquences, on savait que la barrière placentaire protégeait le bébé mais on ne savait pas ce qui se passait en début de grossesse, et on ne pouvait pas faire entrer des patients dans des hôpitaux Covid, c’était dangereux. N’empêche, cela a été d’une violence !

Le plus dur, c’était pour mes patientes qui allaient fêter leurs 43 ans cet été, elles avaient le sentiment d’avoir été volées de leurs dernières tentatives

Du jour au lendemain, on a dit à mes patientes « c’est terminé », sans parfois leur expliquer l’incidence de tel médicament, ou de tel traitement en cours, comme si tout s’était figé. Des patientes étaient en panique, heureusement, des médecins sont restés disponibles en téléconsultation. Le plus dur, c’était pour mes patientes qui allaient fêter leurs 43 ans cet été, elles avaient le sentiment d’avoir été volées de leurs dernières tentatives avant la fin de la prise en charge de la Sécu. »

Des patientes qui se sont senties abandonnées

Virginie qui souffre d’insuffisance ovarienne a commencé son parcours d’AMP, il y a 3 ans. Après deux fausses couches et deux inséminations, elle devait en tenter une troisième le 5 mars dernier. Mais Lorenzo, son conjoint italien, parti voir sa famille en Sicile, a été pris au piège du confinement de l’autre côté de la frontière. « Quand j’ai dit à mon gynécologue qu’on le ferait à son retour, il m’a répondu « c’est foutu même s’il rentre », il se doutait bien que ce serait impossible. J’avais encore droit à deux injections de stimulation pour ma tentative d’insémination avant mes 43 ans, le 16 juin prochain. »

Je voyais des reportages au JT sur des couples malheureux qui avaient dû repousser leur mariage, je pensais « calmez-vous, vous avez le temps vous, pas moi ! ».

Quand tout s’arrête c’est la douche froide, et un terrible sentiment d’injustice. « La première semaine, je pleurais, c’était l’apocalypse. Il n’y a rien de plus stressant que d’être dans l’expectative. Je me suis remise à fumer. Depuis le début du parcours, j’étais en mode guerrière, mais là, je me disais : «  »À quoi bon? On y arrivera pas. » Et le pire, pour moi et toutes les autres en AMP, ça a été le sentiment d’abandon. Personne ne parlait de nous. Je voyais des reportages au JT sur des couples malheureux qui avaient dû repousser leur mariage, je pensais « calmez-vous, vous avez le temps vous, pas moi ! ». »

Un lente reprise de l’activité depuis le 11 mai

En coulisses, des soignants et des biologistes réunis en groupes de travail au sein de l’Agence de Biomédecine (ABM) ont préparé la reprise de l’activité d’AMP. Elle s’est avérée compliquée car l’ouverture des centres disséminés sur tout le territoire, bien qu’autorisée le 11 mai dernier, dépend encore des établissements de santé et des ARS.

« Mais il n’y a pas de blocage complet, rassure la Dre Silvia Alvarez, gynécologue-accoucheur, membre du Collectif des centres privés en AMP français. Ca l’est quand il s’agit d’une ponction d’ovocyte qui nécessite un bloc opératoire. Des patients avec d’autres pathologies attendent des interventions chirurgicales repoussées à cause du Covid. Quand c’est un transfert d’embryon congelé qui ne nécessite pas de ponction, c’est plus facile. Avec les mesures à prendre pour les gestes barrière, la circulation des personnes, l’hygiène, l’ouverture doit être progressive et en accord avec l’activité globale de l’établissement. »

L’une des demandes des collectifs de soignants et d’associations (2) a été la priorisation des patientes qui ont atteint durant les semaines de confinement ou vont atteindre dans les prochaines semaines, la limite d’âge administrative de prise en charge par la Sécurite sociale. Une première demande de dérogation auprès de la CNAM, notamment de l’Agence de Biomedécine s’était soldée par un refus.

Remboursement pour celles ayant dépassé l’âge limite pendant le confinement

Mais hier, le 11 juin, en réponse à la sénatrice (PS) de Loire-Atlantique, Michelle Meunier, au cours d’une audition par la commission des affaires sociales du Sénat, le ministre de la Santé, Olivier Véran a déclaré : « Je ne vois pas comment nous ne pourrions pas faire un geste envers ces familles et rembourser la prise en charge de PMA dans la mesure où elle serait différée de quelques semaines ou même de quelques mois si nécessaire. »

On assimile trop l’infertilité à quelque chose qui dépend du vouloir, déplore-t-elle, un acte pas nécessaire comme si avoir un enfant était un acte accessoire.

Une bonne nouvelle mais surtout une juste réparation pour Déborah Shouhmann-Antonio : « Ce sont trois mois d’attente mais cumulés à des années de bataille, on ne parle pas de se refaire le nez, ça, ça peut attendre, ce n’est pas un caprice pour mes patientes mais un vrai projet de vie… » Sentiment partagé par la Dr Silvia Alvarez qui tient à rappeler que l’infertilité est une maladie chronique définie par l’OMS. « On assimile trop l’infertilité à quelque chose qui dépend du vouloir, déplore-t-elle, un acte pas nécessaire comme si avoir un enfant était un acte accessoire. Quand on enfante facilement, on ne se rend pas compte du parcours du couple infertile. L’infertilité maladie chronique est remboursée dans le cadre d’une affection de longue durée, je le précise pour que les gens comprennent pourquoi on reprend l’activité AMP dans le contexte actuel. Ce n’est pas un caprice non plus de congeler ses ovocytes. Il faut arrêter de culpabiliser en permanence les femmes. Cela relève des violences faite aux femmes, comme ce refus d’allonger les délais de l’IVG chirurgicale. Notre corps nous appartient.»

Virginie, elle, a retrouvé le sourire et son « mode guerrière ». « Le vol du 5 juin de Lorenzo a été annulé et reporté au 18 juin. Je suis prête à m’enchainer aux grilles d’Alitalia (rires) s’il le faut ! Je veux aller jusqu’au bout de mon parcours même si je n’ai que 20% de chance. Je veux y croire. »

(1) Auteure de Infertilité : mon guide vers l’espoir (Jouvence), (2) Collectif BAMP !, https://bamp.fr/

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