Pédopornographie, inceste : ce que l'annulation de Bastien Vivès à Angoulême dit de la considération des victimes
Il a fallu quasiment une semaine au Festival de bande-dessinée d’Angoulême pour faire marche arrière et pour déprogrammer le dessinateur français Bastien Viviès, 38 ans, qui se décrit comme un artiste provocateur. L’annonce été faite le 15 décembre 2022.
Initialement mis à l’honneur par le prestigieux événement du 9e art dans une exposition rétrospective prévue du 26 au 29 janvier 2023, celui-ci a été mis en cause pour ses dessins représentants de façon pornographique des enfants, et même des scènes incestueuses. Notamment un petit garçon affublé d’un gros sexe et une famille dysfonctionnelle incestueuse.
Depuis le 6 janvier 2023, le bédéaste français fait l’objet d’une enquête préliminaire, ainsi que ses maisons d’édition Glénat et Les Requins Marteaux, pour diffusion d’images pédopornographiques.
Enfants sexualisés et « fantasmes » incestueux : les dessins problématiques de Bastien Vivès
Les romans graphiques La Décharge mentale (Éd. Requins marteaux) et Petit Paul (Éd. Glénat) ont notamment été pointés du doigt par des militantes féministes et l’association Be brave, qui défend les enfants victimes de violences sexuelles. Les dessins de Bastien Vivès sont accusés de promouvoir la pédopornographie, la pédocriminalité et l’inceste.
Sur son site, l’éditeur Glénat présentait l’ouvrage Petit Paul comme une œuvre « immorale » mais « réjouissante », par laquelle son auteur « [se nourrissait] des quiproquos pour coucher sur papier ses fantasmes les plus inavouables ». Contactée par Marie Claire, la maison d’édition n’a pas répondu à nos sollicitations.
Dans une interview vidéo consacrée à Madzmoizelle en 2017 à propos de son roman graphique Une Soeur (Éd. Casterman), Bastien Vivès expliquait : « Vu que je peux pas faire d’inceste dans la vraie vie, et que je n’ai pas de grande sœur pour pouvoir faire ça, je fais ça dans mes livres. » Argument brandi par le festival d’Angoulême et par des admirateurs du bédéaste criant à la censure, la liberté d’expression est au coeur du débat depuis plusieurs jours.
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Marche arrière du festival d’Angoulême
D’après l’Agence France Presse (AFP), la décision du festival de BD d’annuler l’exposition de Bastien Vivès a été prise à la suite de « menaces physiques proférées vis-à-vis » de l’auteur. Dans ses explications, l’organisation a simplement regretté les « risques » que l’exposition fait désormais peser sur le dessinateur et les festivaliers, considérant que « l’œuvre de Bastien Vivès, dans son ensemble, relève de la liberté d’expression ». Le festival d’Angoulême s’en remet ainsi « à la loi », chargée, selon la direction, de « tracer les frontières dans ce domaine et à la justice de les faire respecter ».
Dans la pétition lancée afin de contester la programmation du dessinateur, signée par plus de 100 000 internautes, Be Brave interpelle Charlotte Caubel, Secrétaire d’État auprès de la Première ministre Élisabeth Borne ainsi que la ministre de la Culture Rima Abdul Malak, rappelant justement l’application prévue par le Code Pénal de la Loi 227-23 : « Le fait, en vue de sa diffusion, de fixer, d’enregistrer ou de transmettre l’image ou la représentation d’un mineur lorsque cette image ou cette représentation présente un caractère pornographique est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. »
Pourtant, ces dessins ont bien été publiés et leur auteur plébiscité.
Les excuses du dessinateur
Après l’annonce de sa déprogrammation, Bastien Vivès a fini par s’exprimer et a demandé pardon aux les victimes de violences sexuelles et d’inceste dans un post Instagram. L’artiste y assure « condamner la pédocriminalité, ainsi que son apologie et sa banalisation » mais aussi « la culture du viol et les violences faites aux femmes ».
https://www.instagram.com/p/CmL4CvjtwPw/
Bastien Vivès présente également ses excuses auprès de la dessinatrice Emma, qui a popularisé le concept de charge mentale dans la BD Fallait demander, publiée en ligne en 2017. Sur Twitter, le 12 décembre 2022, elle avait confiée avoir été prise pour cible par son confrère sur les réseaux sociaux après la publication de ses planches féministes. « C’était gratuitement violent, irrespectueux et surtout indigne », admet aujourd’hui le bédéaste.
Pour Edouard Durand, magistrat, ancien juge pour enfants, et co-président de la Civise (Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants) l’ampleur de la polémique est le signe que la société est sur la bonne voie dans la prise en considération des victimes de violences sexuelles : « Aujourd’hui mieux qu’hier, nous sommes capables de percevoir que ces images de viols incestueux sont insoutenables. Cette prise de conscience est récente, progressive et fragile. Les discussions sur la création et ses limites, mais aussi les violences sexuelles faites aux mineurs et le regard que nous portons individuellement et collectivement sur les enfants, font l’objet d’une évolution. »
Cette exposition fait écho à la parole de toutes les personnes victimes de violences sexuelles qui se demandent ‘Quand allez vous comprendre ?’
Depuis son lancement la Commission, dit-il, a déjà recueilli « près de 20 000 témoignages » de personnes adultes qui ont été victime de viols et agressions sexuelles dans l’enfance, notamment dans le cadre familial : « Ces personnes disent leur souffrance et le fait que, le plus souvent, elles n’ont pas été entendues, écoutées, crues et protégées ». Pour Edouard Durand, « ce qu’il se passe aujourd’hui autour de cette exposition fait écho à la parole de toutes les personnes victimes de violences sexuelles qui se demandent ‘Quand allez vous comprendre ? Comment pouvez vous passer à côté de nous sans vous dire que ces images représentent la violence de ce que nous avons subi ?' ».
L’ère de la responsabilisation de notre société
L’ancien juge pour enfants dit « comprendre les émotions des personnes qui ont été choquées par ces représentations » de Bastien Vivès, comprendre « leur colère et leur dégoût » tant celles-ci sont « ressenties comme une atteinte à la dignité de toutes les victimes de violences sexuelles. »
Il estime que l’époque est à l’heure de la responsabilisation, même dans la création : « Il faut être capable de le dire, les images dont nous parlons ici renvoient l’idée de l’appropriation du corps d’enfant comme objet sexuel. La société doit davantage prendre conscience que les viols et agressions sexuelles infligées aux enfants sont une réalité mais aussi l’ampleur, par le nombre et la gravité, de cette réalité. »
Pour Violeta Belhouchat, conseillère en sexologie et résilience, qui accompagne les femmes ayant vécu des traumas sexuels, « ne pas faire la distinction entre un geste ou acte sexuel consenti et un viol ou une agression sexuelle fait de plus en plus partie de notre passé. Aujourd’hui l’humanité évolue et prend conscience de graves séquelles pour les victimes de violences sexistes et sexuelles ». C’est pourquoi, estime-t-elle, le milieu de la BD doit faire sa part.
Ces violences sexuelles faites aux enfants sont l’histoire d’un déni et d’une lutte contre ce déni.
Elle remarque ainsi qu’il existe trois genres liés à ces problématiques dans le 9e art : « la ‘BD érotique’ qui met en scène des adultes consentants ; ‘la BD crimes sexuels +18 ans’ qui met en scène des actes de violence sexuelle ; et ‘la BD pédopornographique’ qui illustre des actes sexuels de mineurs (comme la masturbation et les caresses consenties entre mineurs d’âge très proche) mais aussi les crimes sexuels sur mineurs de moins de 18 ans et de moins de 15 ans. » Cette dernière englobe les œuvres décriées de Bastien Vivès.
Violeta Belhouchat estime que « notre société a besoin de faire la distinction entre le désir de débattre autour de la liberté individuelle des bédéastes et le fait indéniable que la BD vient nourrir l’imaginaire collectif ». En l’occurrence, ici, l’imaginaire « pédophile », dit-elle, assurant que celui-ci « n’est signe de santé ni chez un adulte, ni dans une société ».
C’est pourquoi le combat contre ces violences sexuelles faites aux enfants et l’inceste est encore plus que jamais d’actualité conclut Edouard Durant : « Elles sont l’histoire d’un déni et d’une lutte contre ce déni. »
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