« P*dés », un livre pour repolitiser les homosexualités masculines

  • « Pédés », ouvrage collectif coordonné par Florent Manelli et cosigné par sept autres auteurs, est paru ce vendredi 2 juin aux éditions Points.
  • Les huit auteurs – journalistes, écrivains, universitaires, militants – y évoquent la question des homosexualités masculines contemporaines à travers des textes pédagogiques, intimes.
  • « Ce livre est la possibilité de faire émerger des points de vue qui ont encore trop peu de place. On raconte un rapport au monde, une expérience du soi dans une structure sociale qui nous met de côté, affirme Florent Manelli. Il faut rappeler la nécessité de refaire communauté, de recréer une solidarité pédé. »

« Pédés ». Le titre claque en lettres majuscules violettes sur fond jaune. Il a été choisi par les huit hommes homosexuels qui ont cosigné l’ouvrage édité ce vendredi chez Points. « J’étais contre au départ, avance à 20 Minutes l’un des auteurs, le journaliste Anthony Vincent. C’est un terme que je n’emploie pas personnellement. Ce titre, je le vois comme une manière de redéfinir ce mot. Qu’il ne soit plus une insulte et qu’il n’évoque pas seulement l’attraction romantique et sexuelle, mais davantage : une identité politique, culturelle, sociale, artistique. »

Cette démarche correspond au concept de « retournement du stigmate » expliqué dans l’avant-propos. « A travers nos voix, en nous nommant « pédés », nous transformons sa charge pour en faire un outil politique, historique et militant, qui façonne notre rapport au monde (…), écrivent les cosignataires. Nous nous réapproprions ce stigmate et l’arborons fièrement afin d’en diminuer la violence et rendre sa portée inefficace. »

« Ce qu’être pédé dit de nous »

Pour Florent Manelli, qui a coordonné la rédaction du livre, il s’agit donc d’employer ce mot pour « le dépouiller de sa violence et en faire un insigne de fierté », de la même manière qu’Act Up utilise le triangle rose qui fut celui des déportés homosexuels ou que les anglophones emploient désormais le mot « queer » ( « bizarre, déviant ») dans un sens positif, loin de son sens offensant originel.

« L’insulte est une telle violence qui te définit et te transperce très jeune. Si tu ne peux pas prendre ce mot, le tordre, et le vêtir à ta manière, tu finis par être victime de ce que les autres veulent faire de toi. S’affranchir de cela, c’est puissant, cela te donne de l’énergie », poursuit Florent Manelli, qui a eu l’idée de ce projet littéraire après avoir lu des livres féministes collectifs, dont Sororité et Nos amours radicales, et s’être aperçu qu’il n’existait pas d’équivalent avec des témoignages d’hommes gays.

« Nous dire pédés raconte bien plus que le simple fait d’aimer les hommes, parce qu’il ne s’agit pas que d’amour justement. (…) Nous nous interrogeons, nous racontons ce qu’être pédé dit de nous, mais aussi ce que cela ne dit pas : les injures, les joies, les découvertes, les violences. Parce que si nous ne le faisons pas, qui le fera à notre place ? », lit-on également dans l’avant-propos de cet ouvrage de 250 pages au format poche.

« Un texte qui ne fera sans doute pas consensus »

Les huit auteurs – journalistes, écrivains, universitaires, militants – y évoquent la question des homosexualités masculines contemporaines à travers des textes pédagogiques, intimes. « Il y a autant de vécus pédés que de personnes pédés », souligne Anthony Vincent en précisant qu’il est impossible d’aborder le sujet de manière exhaustive. Les témoignages reflètent cependant la diversité des expériences selon l’origine sociale, la couleur de peau, le statut sérologique ou l’identité de genre… « On a besoin d’un texte comme ça, qui ne fera sans doute pas consensus mais qui pose les questions importantes aujourd’hui, en France », reprend le journaliste.

Certaines limites de la démarche sont ouvertement évoquées, comme lorsque Adrien Naselli écrit : « La frontière entre ceux qui l’ouvrent et ceux qui ne l’ouvrent pas est souvent une frontière de classe. » Une façon de dire qu’il peut être confortable de mener cette réflexion militante dans le confort médiatique parisien mais beaucoup moins lorsque l’on est ouvrier en Isère dans un environnement ne permettant pas de faire son coming-out aisément.

« Pédérité »

« Ce livre est la possibilité de faire émerger des points de vue qui ont encore trop peu de place. On raconte un rapport au monde, une expérience du soi dans une structure sociale qui nous met de côté, affirme Florent Manelli. On parle de ce qui rend nos individualités uniques mais aussi de ce qui nous unit. Il faut rappeler la nécessité de refaire communauté, de recréer une solidarité pédé. » Une « pédérité » pour reprendre le terme (inspirés des mots « sororité » et « fraternité ») évoqué par Camille Desombre/Matthieu Foucher dans son chapitre.

« Il y a besoin de se fédérer à travers des victoires, des joies, une culture, un humour, une tendresse communes. Et le livre est l’occasion de recontextualiser, c’est important », note Anthony Vincent. « On ne démarre pas de zéro. Il y a une histoire pédé française avec Arcadie [la première association homosexuelle du pays], le Fhar [le Front homosexuel d’action révolutionnaire], le magazine Gay-Pied, des figures intellectuelles et militantes… » Et Florent Manelli de poursuivre : « Le mot qui me vient, c’est la transmission. C’est ce que j’ai vécu en lisant des ouvrages de personnes décédées comme Hervé Guibert ou Guillaume Dustan… Je me dis qu’on transmet quelque chose aussi et cette transmission rien ni personne ne peut la détruire, l’effacer, nous l’enlever. L’idée que ce livre nous survivra est émouvante. »

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