"Ou peut-être une nuit", le podcast qui brise le silence autour de l’inceste, dernier tabou post-MeToo

« Ou peut-être une nuit ». Le titre de ce podcast en six épisodes, produit par le studio Louie Media, fait bien référence aux paroles de la chanson L’aigle noir de Barbara. Comme dans ce standard de la chanson française, il est question d’inceste, à travers des témoignages de victimes.

Parmi elles, la mère de la créatrice et présentatrice, Charlotte Pudlowski, co-fondatrice de Louie Media. À Marie Claire, la journaliste raconte sa démarche, et analyse pourquoi l’inceste est le dernier tabou de l’ère post-#MeToo.

Des témoignages intimes

Pour comprendre ce silence, la journaliste interroge avec bienveillance, d’abord sa mère, et d’autres femmes victimes d’inceste. Elle s’appellent Julie, Laure, Randal, Daniela, Hélène. Toutes ont été victimes d’inceste, par un père, un grand-père, un frère. Certaines en ont déjà parlé, d’autres non.

Le plus étonnant en écoutant ce podcast, est de voir à quel point les témoignages sont presque venus à la journaliste. Elles étaient là, ces victimes. Partout. Des auditrices de Louie Media, des connaissances…

Rien d’étonnant, estime Charlotte Pudlowski auprès de Marie Claire : « À partir du moment où j’ai compris que c’était aussi massif, j’ai été en alerte, en position de vigilance. Volontairement ou pas volontairement, on est tellement habitué à laisser le silence peser qu’on a tendance à éviter ces sujets, à ne pas tendre l’oreille. »

L’inceste, une domination

La trame du podcast est de comprendre d’où vient ce silence, et pourquoi la parole sur l’inceste est-elle encore vue comme si subversive.

Dès le premier épisode, la co-fondatrice de Louie Media s’interroge : « C’est comme ça que j’ai commencé à travailler sur l’inceste. Pour comprendre pourquoi ce silence. Pourquoi même dans une famille qui me semblait propice à laisser émerger tous les récits, et malgré notre relation très fusionnelle à ma mère et moi, le silence sur ce sujet gagnait toujours.”

Au-delà du silence des victimes, il y a celui des proches et de la société, parce que l’inceste est un problème systémique. Ce podcast est une enquête, très documentée, une véritable analyse du tabou qu’est l’inceste, et de toutes les questions qui l’entourent.

Les histoires d’inceste sont toujours des histoires de domination.

Il n’y a pas seulement des victimes d’inceste, mais aussi des chiffres précis et des paroles d’expertes, comme l’anthropologue Dorothée Dussy, auteure du Berceau des dominations (2013), Muriel Salmona, psychiatre et psychotraumatologue, Alice Debauche, sociologue, Isabelle Aubri, présidente de l’AIVI (Association internationale des victimes de l’inceste), entendues dans les quatre premiers épisodes.

Finalement, « les histoires d’inceste sont toujours des histoires de domination », assure la journaliste. Selon des chiffres publiés par l’association internationale des victimes d’inceste, en 2015, 4 millions de Français sont ou ont été victimes d’inceste. Seules 10% des victimes portent plainte.

Deux à trois enfants par classe victimes d’inceste

Le sujet était délicat. Travailler dessus aussi. Charlotte Pudlowski a mis deux ans à donner vie à ce podcast. Le déclic vient d’abord de la sphère privée. Lorsqu’elle avait 26 ans, sa mère, qu’elle « aime comme Romain Gary aimait sa mère », lui avoue avoir été abusée par son père pendant son enfance.

Et la nouvelle ne surprend pas la journaliste. Dès les premières minutes, elle revient sur son « vide », celui qu’elle ressentait le dimanche, quand elle allait rendre visite à ses grands-parents maternels, comme si de rien n’était.

Auprès de Marie Claire, Charlotte Pudlowski explique : « J’ai vite compris qu’on avait échappé au pire qui se déroule dans tellement de familles, au pire qui s’était déroulé dans la famille de ma mère quand elle était encore une petite fille. »

Le « pire », se trouve dans les chiffres : en moyenne, deux à trois enfants par classe sont victimes d’inceste. En regardant plus loin, 7 à 10% de la population française a déjà subi des viols intra-familiaux, dès l’âge de neuf ans.

L’inceste, le dernier tabou post-#MeToo

Charlotte Pudlowski n’a l’idée de travailler sur l’inceste qu’à l’automne 2017, au moment de #MeToo. « Ce qui m’a frappée, c’était de ne pas voir de témoignages sur des violences sexuelles intra-familiales, d’incestes, et même assez peu sur l’enfance. J’ai fait le lien entre ce silence qui avait duré si longtemps, sur les viols de femmes adultes dans la sphère professionnelle. Je me suis dit que si ce silence a pu durer si longtemps, peut-être que c’est le même silence qui recouvre l’inceste », nous assure Charlotte Pudlowski.

La question de l’inceste est ce que je qualifie de noyau du patriarcat, ou la dernière frontière en terme de tabou et de violence.

Il faut attendre 2018 pour que sortent les premiers chiffres sur l’inceste en France. Pour que le sujet soit entendu. La journaliste estime que le féminisme a commencé à être davantage traité dans les médias il y a une dizaine d’années, quand elle commençait sa carrière.

Et si les questions liées à l’inceste arrivent seulement maintenant, c’est qu’elles sont liées aux « mouvements sociétaux globaux » : « On a vraiment commencé à parler de féminisme de manière plus franche dans les médias au moment du documentaire de Sofie Peeters [sorti en 2012, ndlr], cette étudiante belge qui avait travaillé sur le harcèlement de rue », note Charlotte Pudlowski. « C’était en parlant des espaces publics, des femmes qui marchaient et se faisaient harceler. »

« Et puis au fur-et-à-mesure, on s’est rapprochés de l’enfance et de l’intime, analyse-t-elle. « D’abord, en passant de l’espace public à l’espace professionnel, puis à l’enfance. Adèle Haenel était très jeune, Sarah Abitbol était très jeune, Vanessa Springora était très jeune. C’est un peu comme un entonnoir. Et c’est pour ça que ça ne s’est pas fait avant. Il fallait presque passer par le haut de l’entonnoir avant d’arriver au bas. » 

Ou peut-être une nuit est un podcast intime, mais aussi politique, comme une évidence pour sa créatrice, qui rappelle que « le journalisme est politique », et qu’il s’agit bien ici « d’interroger l’équilibre et l’ordre social tel qu’il existe ».

  • Un quart des enfants victimes de violences sexuelles sont amenés à côtoyer leur agresseur 
  • « Inceste, que justice soit faite », édifiant documentaire sur le long combat des victimes d’inceste

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