Monica Sabolo, autrice de "La vie clandestine" : "Le texte m’a emmenée où il le voulait, j’ai été sa chose"
« J’ai deux ordinateurs, l’un est jeune, fringant, performant, l’autre est au bord du décès, mais c’est seulement sur cette machine agonisante que j’arrive à écrire : ça dit de moi que je vis dans le passé, même avec mon outil de travail. »
Dans l’ordinateur de Monica Sabolo
« Quand je l’allume, il fait un bruit monstre et mon cœur bat la chamade de peur qu’il ne se réveille plus jamais. Parfois, il grésille comme une vieille télé alors il faut taper dessus pour rétablir la netteté de l’image.
Souvent, il ronronne fort. Mais j’ai besoin de cette présence et de cette matérialité – le jeune Mac si silencieux me semble fourbe ! – qui me donnent l’impression d’être productive.
J’ai réalisé que c’est en écrivant malgré tout presque n’importe quoi, et sans trop réfléchir, que l’élan vient et que surgit ce qui doit être dit.
Quant à l’intérieur de l’ordi, c’est une prairie sauvage (ou un bordel sans nom, plutôt) où les dossiers s’empilent tellement que je ne m’y retrouve jamais, moi qui suis une personne méticuleuse, ordonnée.
D’ailleurs, j’ai chez moi un beau bureau bien rangé, mais il est purement décoratif car je ne bosse que dans mon lit, surtout le matin, vers 8 heures, quand je ne suis pas complètement réveillée : cet état de conscience altérée me permet d’ouvrir plus facilement certaines portes en moi. »
L’angoisse de « l’écran blanc »
« Et puis je fume des clopes, je me fais deux cents cafés, le tout dans un silence absolu, surtout sans musique, car comme l’alcool, elle est trompeuse : elle vous fait croire que vous écrivez des choses intéressantes. L’écran blanc, chez moi, c’est une grande angoisse.
Mais j’ai réalisé que c’est en écrivant malgré tout presque n’importe quoi, et sans trop réfléchir, que l’élan vient et que surgit ce qui doit être dit. Pour La vie clandestine, j’avais avec moi, à côté de mon ordi pourri, des dizaines de vieux Paris Match que je scrutais à la loupe pour glaner des infos sur Action directe.
Moi qui pensais écrire un livre sur des faits historiques, très éloignés de moi, je me suis rendu compte, comme si une magie noire opérait, que ces histoires-là rejoignaient la mienne.
À partir de là, le texte m’a emmenée où il le voulait. Et j’ai été sa chose. »
- Emmanuelle Bayamack-Tam, autrice de "La treizième heure" : "Les apôtres étaient une bande de freaks"
- Le monde étrange et envoûtant de l’autrice Inès Bayard
(*) La vie clandestine, éd. Gallimard, 21 €, paru le 18 août 2022.
Ce papier a été initialement publié dans le numéro 840 de Marie Claire, daté de septembre 2022.
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