#MeToo : une tribune dénonce le retard du cinéma français à la veille du festival de Cannes 2023
« Ce n’est pas un hasard si #MeToo a émergé dans le milieu du cinéma car c’est un milieu incroyablement patriarcal où règnent des rapports de pouvoir, donc de domination », déclarait à Marie Claire, en amont de la 76e édition du Festival de Cannes, Fabienne Silvestre, co-fondatrice et directrice du Lab Femmes de cinéma.
En 2016, ce dernier a lancé une étude quantitative et qualitative sur la place des réalisatrices en Europe. Entre 2012 et 2021, leur nombre est ainsi passé de 19% à 23,6%. Une évolution certes « mais à ce rythme, il faudra attendre 2080 pour atteindre la parité et on n’est jamais à l’abri d’un backlash« , analysait alors Fabienne Silvestre.
Une prudence justifiée quand quelques jours plus tard, on apprenait que Jeanne du Barry, le film de Maïwenn avec Johnny Depp serait projeté en ouverture du festival. L’association Osez le féminisme réagissait aussitôt sur Instagram : « 5 ans après #MeToo le cinéma français défend toujours les agresseurs, prouvant encore une fois qu’il n’écoute pas les femmes victimes de violences sexistes et sexuelles. »
Un choix incompréhensible que viennent heureusement contrebalancer quelques chiffres positifs : cette année à Cannes, la proportion des réalisatrices dans les différentes sélections dépasse la moyenne européenne. Elles sont en effet 33% en compétition officielle (contre respectivement 17% et 24% les deux années passées). Toujours au-dessus de 30% en sélections parallèles et même 57% en compétition à La Semaine de la Critique.
On avance certes mais lentement. Trop lentement. Le cinéma français est loin d‘avoir achevé sa mue en ce qui concerne la parité devant et derrière la caméra, la représentation de la mixité à l’écran, la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Plutôt que de céder à la lassitude, le Lab Femmes de Cinéma a décidé de lancer une tribune, Festival de Cannes : mettre la parité sur le tapis afin de lutter contre la sous-représentation des femmes dans le cinéma. Les principales associations engagées sur la parité et la mixité dont le Collectif 50/50, PFDM, AAFA-Tunnel de la Comédienne de 50 ans, 1000 visages, Les Femmes s’Animent, ont tenu à s’y associer.
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Festival de Cannes : mettre la parité sur le tapis
Pourquoi encore une tribune sur la place des femmes dans le cinéma à l’approche du Festival de Cannes alors qu’on a l’impression qu’on va dans le bon sens? Parce que certaines choses avancent, certes…mais bien trop lentement ! Et aussi parce que si le cinéma reste à la traîne en matière de parité, il a une influence majeure en termes de représentations et de modélisation des imaginaires, qui lui confère une importante responsabilité.
La lassitude, année après année, de parler de la sous-représentation des femmes dans le cinéma, nous la ressentons tous. Pourtant, rappeler les chiffres des femmes cinéastes restera une nécessité aussi longtemps qu’ils demeureront aussi faibles et qu’elles continueront à “s’évaporer” après chaque nouveau film. En moyenne européenne, si les femmes constituent la moitié des effectifs dans les écoles de cinéma, elles ne sont en effet plus qu’un tiers au moment du premier court métrage, proportion qui passe à un quart pour les premiers et deuxième longs métrages, puis à un sixième au moment du troisième long métrage et plus. Toujours au niveau européen, la part des films de réalisatrices est passée entre 2012 et 2021, de 19 à 23,6%, ce qui à ce rythme, pourrait nous permettre d’atteindre la parité…en 2080 !
Aujourd’hui encore, les personnages principaux dans les films sont majoritairement des hommes.
Cette sous-représentation des femmes dans le cinéma n’est pas seulement une injustice mathématique, c’est aussi une perte sèche en termes de diversité des histoires racontées et de richesse créative, car on sait désormais que si le female gaze n’est pas l’apanage des femmes, le trop faible nombre de femmes derrière la caméra a pour conséquence des images et récits manquants.
Au regard de ces chiffres, on se réjouit sincèrement que cette année à Cannes, la proportion des réalisatrices dans les différentes sélections dépasse la moyenne européenne! Elles seront en effet 33% en compétition officielle (contre respectivement 17% et 24% les deux années passées). Toujours au-dessus de 30% en sélections parallèles et même 57% en compétition à La Semaine de la Critique! Ce qui démontre, si besoin était, que le talent au féminin se trouve, pour celui ou celle qui le cherche…
Du côté des représentations à l’écran, les choses évoluent également, mais là encore, bien trop lentement. Les études montrent qu’aujourd’hui encore, les personnages principaux dans les films sont majoritairement des hommes, les femmes de plus de 50 ans disparaissent littéralement des écrans, qu’il y a une sous représentation flagrante des personnages perçus comme non blancs et LGBTQIA+… Le rôle du cinéma en matière de modélisation des imaginaires, de lutte contre les stéréotypes et d’autorisations de projections positives est immense et mérite donc d’être rappelé.
Le cinéma et la société toute entière sont par ailleurs traversés par de grandes évolutions en matière de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, ce n’est pas une surprise qu’ils s’invitent aussi à Cannes.
Les femmes de cinéma qui ont témoigné pour #MeToo ont libéré la parole et fait bouger les lignes de la société toute entière.
Quand on réfléchit au rôle du cinéma sur ces sujets, on peut s’intéresser au « côté obscur de la force », et considérer que si l’industrie fait tant parler d’elle sur ces questions, c’est avant tout parce que c’est un lieu où le pouvoir est exacerbé et donc un lieu privilégié de domination, où la notion d’impunité semble encore trop souvent faire de la résistance.
En se plaçant du « côté lumineux de la force », on peut considérer qu’en réactivant le mouvement #MeToo, les femmes de cinéma qui ont témoigné ont libéré la parole et fait bouger les lignes de la société toute entière. Nous sommes dès lors au cœur d’un changement d’ère profond sur ces questions et le cinéma y a pris une large part. Un certain nombre de comportements, longtemps considérés comme acceptables, ne le sont tout simplement plus aujourd’hui : dans le cinéma, dans les festivals et partout ailleurs : tant mieux !
Puisque le cinéma a contribué à faire émerger ces sujets, il est bien normal que le festival de Cannes qui en est sa vitrine mondiale, y soit confronté et scruté à cette aune aussi. C’est la question qui est posée par la présence probable de Johnny Depp sur le tapis rouge : comment comprendre le choix fait par Maïwenn d’attribuer le rôle du roi de France à cet acteur si médiatisé pour des faits de violences conjugales ? Et celui du Festival de choisir ce film, précisément, pour son ouverture ? Le sentiment d’impunité qui en ressort nous glace….
Dans un autre genre, la sélection en compétition du film Le retour, mis en cause à divers titres pour ses conditions de tournage, met également tout le monde mal à l’aise. C’est bien ici une affaire de choix et de symboles que nous questionnons.
Parité derrière et devant la caméra, représentation de la mixité à l’écran, lutte contre les violences sexistes et sexuelles : c’est stimulant que le secteur du cinéma fasse sa mue sur ces sujets. Mais il faut encore aller bien plus loin et plus vite dans cette direction car ces évolutions sont aussi et avant tout une formidable opportunité de réinventer nos pratiques et de développer notre créativité.
Tribune rédigée à l’initiative du Lab Femmes de Cinéma, à laquelle ont souhaité s’associer les principales associations françaises engagées sur les sujets de parité et mixité :
Le Lab Femmes de Cinéma : Fabienne Silvestre, co-fondatrice, Guillaume Calop, Co-fondateur et Lise Perottet, coordinatrice générale
Collectif 5050 : Clémentine Charlemaine et Margaux Lorier, co-Présidentes, Fanny de Casimacker, Déléguée générale
PFDM : Laurence Bachman, Présidente
Prix Alice Guy : Véronique Le Bris, fondatrice
Girls Support Girls : Karolyne Leibovici et Vanessa Djian, co-fondatrices
1000 Visages : Julie Darfeuil, présidente et Estelle Krief, directrice générale
Les Femmes s’Animent : Eleanor Coleman, Delphine Nicolini et Corinne Kouper co-présidentes
AAFA-Tunnel de la Comédienne de 50 ans : Catherine Piffaretti et Marina Tomé, Coréférentes
Représentrans : Gab Harrivelle, co-fondateur et Président, La Briochée, Vice-Présidente, Elliot Voilmy, co-fondateur et secrétaire, Charlie Fabre, co-fondateur et trésorier, Syb Piquet, vice-secrétaire.
Sorocine : Mariana Agier, Présidente et Léon Cattan, Vice-Présidente
Divé+ : Laura Bui, Kaname Onoyama, Paloma Pineda, Nathan Mauvois, co-fondateurs.rices
Elles Font des Films : Géraldine Doignon, Sarah Carlot Jaber, Paloma Garcia Martens et Camilla Gilardoni, membres du Conseil d’Administration
Thomas Messias, enseignant et journaliste ;
HF Ile de France, L’Observatoire des Images
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