Marie Trintignant, un visage pour toutes les femmes tuées par leur conjoint
Tous les 1er août, sa mémoire est honorée. Le 1er août 2003, Marie Trintignant meurt à Paris, des suites des coups de son compagnon, Bertrand Cantat. Depuis, l’actrice est enterrée au Père-Lachaise. Là, des militantes féministes se rejoignent chaque année pour la commémorer, et rappeler l’importance de la lutte contre les violences conjugales, et contre les féminicides.
En 2022, sa mère Nadine Trintignant lui a rendu hommage dans un documentaire-portrait émouvant, diffusé le 26 janvier sur Arte. Tes rêves brisés, rassemble images d’archives, secrets de tournages et la lettre de posthume déchirante de la mère de Marie Trintignant.
Le 1er août 2003, la nuit où Marie Trintignant meurt des coups de Bertrand Cantat
Le 1er août 2003, Marie Trintignant décède à l’âge de 41 ans, après avoir été rapatriée dans le coma à Neuilly-sur-Seine, depuis Vilnius, en Lituanie. Elle y passait l’été, pour le tournage du téléfilm Colette, réalisé par sa mère, Nadine Trintignant. L’actrice y tenait le rôle-titre, celui de la célèbre romancière.
Son compagnon, Bertrand Cantat, le leader du groupe de rock Noir Désir, l’avait rejointe à Vilnius. Et dans leur suite, la numéro 35 de l’hôtel Domina Plaza, le couple s’est violemment disputé dans la nuit du 26 au 27 juillet 2003.
Ce soir-là, Marie Trintignant reçoit un message de Samuel Benchetrit, son mari (ils sont séparés depuis quelques mois), père de leur fils Jules Benchetrit, et, en l’occurence, réalisateur de Janis et John, film dans lequel elle a joué le rôle principal, celui de Janis Joplin, en binôme avec François Cluzet, son ex-conjoint et père de leur fils Paul Cluzet, dans le rôle de John Lennon.
Ensemble, ils doivent assumer la promotion du film à la rentrée. Samuel Benchetrit le rappelle dans un SMS : « Chère petite Janis », lui envoie-t-il, en clin d’œil à son personnage. Ces quelques mots auraient déclenché la colère de Bertrand Cantat, que Samuel Benchetrit s’interdit de nommer (et ne nomme pas une seule fois) dans son livre La nuit avec ma femme (Plon, 2016).
Blessée par dix-neuf coups, dont quatre portés au visage, Marie Trintignant tombe inanimée. Bertrand Cantat l’installe sur un lit et appelle Samuel Benchetrit. Treize ans plus tard, il retranscrira leur échange dans son ouvrage. « Elle est où Marie ? », « Dans la chambre, elle dort, lui répond Bertrand Cantat. On s’est beaucoup engueulés ce soir. Je l’ai giflée. »
On s’est beaucoup engueulés ce soir. Je l’ai giflée.
Samuel Benchetrit demande à Bertrand Cantat d’aller vérifier si Marie Trintignant va bien : « J’entends les mouvements. J’entends qu’il se penche. J’entends qu’il prononce ton prénom. Doucement. Et puis le mien. Il dit ‘C’est Samuel. Marie, c’est Samuel.’ Je crois entendre ton souffle », raconte l’auteur, qui s’adresse directement à son ex-femme dans son récit. Et puis : « Elle ne se réveille pas », lui annonce Bertrand Cantat.
« Je lui dis d’appeler ton frère qui est aussi dans ce pays (assistant sur le tournage de Colette, NDLR). Il va faire ça. Il me remercie. J’ai honte aujourd’hui de ce remerciement », poursuit Samuel Benchetrit. Bertrand Cantat contacte, en effet, Vincent Trintignant, qui se rend sur place au matin, tôt, et téléphone à ce moment-là aux secours.
Mais cinq heures se sont écoulées entre la perte de connaissance et cet appel. Cinq heures durant lesquelles les secours auraient pu peut-être la sauver s’ils étaient intervenus plus tôt. Et cela sera reproché à Bertrand Cantat lors de son procès.
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La prison et l’impossible retour
Hospitalisée à Vilnius, la comédienne est ensuite transférée à Paris dans un état désespéré, plongée dans le coma. Trois jours après avoir été battue, Marie Trintignant décède d’un œdème cérébral.
Pour ce crime, Bertrand Cantat a été condamné à 8 ans de prison. Il n’en fera que 4, les remises de peine ayant été appliquées. 14 mois à la prison de Vilnius, le reste à la maison d’arrêt de Muret, près de Toulouse, près de ses proches. Libéré sous contrôle judiciaire, Bertrand Cantat sort de prison le 16 octobre 2007.
Le 28 juillet 2010 lui est signifiée la fin de son contrôle judiciaire. Cette année-là, six mois plus tôt, son ancienne compagne et mère de ses deux enfants, Krisztina Rady, est retrouvée morte à son domicile. La femme de lettres et de théâtre s’est suicidée.
Alors qu’elle avait apporté son soutien au chanteur devant le tribunal lituanien et avait affirmé n’avoir, elle, jamais subi de violences de sa part, Le Point révèle, en novembre 2017, que la défunte aurait menti au moment du procès et aurait demandé aux membres de Noir Désir de mentir aussi, pour que ses enfants ne découvrent pas « que leur père était un homme violent ».
Nous avons tous décidé de mentir. Nous étions tous sous son emprise.
« Nous avons tous décidé de mentir. Nous étions tous sous son emprise », confie à l’hebdomadaire l’un des membre du groupe. D’autres sources interrogées par Le Point ont aussi témoigné de comportements violents de Bertrand Cantat à l’encontre de Krisztina Rady. Depuis, l’ex-avocate et militante féministe Yaël Mellul se bat et dépose plainte sur plainte pour que la responsabilité du chanteur et de ses violences soient prises en compte comme un motif de suicide, qu’elle qualifie de « forcé ». Le parquet de Bordeaux a rouvert l’enquête le 4 juin 2018.
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Automne 2017. Bertrand Cantat sort un album, pour la première fois sous son seul nom. Pour l’évènement musical, le magazine les Inrocks l’affiche en Une, et titre en lettres capitales : « Cantat, en son nom. » « Et au nom de quoi devons-nous supporter la promo de celui qui a assassiné Marie Trintignant à coups de poings ? », réagit la secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa.
Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de la mort de Marie Trintignant. Elle a été tuée par l’homme qui disait l’aimer. Et c’est important, chaque année, de se rappeler, que des centaines de femmes sont tuées par les hommes qui devraient les protéger, qui disaient les aimer, ou qui n’ont pas supporté qu’elles désirent les quitter.
Les concerts se déroulent sous haute tension, parfois des manifestations s’organisent devant la salle, comme au Zénith de Paris où 3 000 spectateurs sont venus l’applaudir. Sur les pancartes : « La musique adoucit les meurtres », « Marie Trintignant ne sera jamais applaudie », « Applaudir, c’est cautionner ». D’autres fois, c’est à l’intérieur de la salle qu’on l’invective au cri « d’assassin ». Plusieurs dates de festivals et deux Olympia sont annulés. Et les commentaires sous les vidéos de sa chaîne YouTube sont désactivés.
En fin de tournée, en mars 2018, le chanteur révélait qu’il s’agissait de « la dernière date de la tournée et la dernière date tout court ».
L’actrice et le symbole
Que Bertrand Cantat choisisse ou non de remonter sur scène, la mémoire de Marie Trintignant sera toujours honorée. Parce qu’elle est devenue un symbole, un visage pour les victimes des violences conjugales et de féminicides.
En France, une femme meurt encore tous les trois jours sous les coups de son compagnon, ou ex.
« Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de la mort de Marie Trintignant. Elle a été tuée par l’homme qui disait l’aimer. Et c’est important, chaque année, de se rappeler, que des centaines de femmes sont tuées par les hommes qui devraient les protéger, qui disaient les aimer, ou qui n’ont pas supporté qu’elles désirent les quitter, appuie Florence Montreynaud, responsable du collectif Encore féministes !. C’est pour ça que nous sommes là (au père Lachaise, devant la tombe de Marie Trintignant, NDLR). Uniquement pour parler de ces femmes. Parce que ces femmes là ne peuvent plus parler. »
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