Mariane Ibrahim, galeriste engagée

« Envoyez-moi des fleurs ! » C’est la demande qu’a adressée la galeriste Mariane Ibrahim à la douzaine d’artistes qu’elle représente à l’occasion de l’exposition anniversaire des 10 ans de sa galerie, baptisée « La vie en rose » et ouverte le 4 février dernier à Chicago.

En guise de bouquets, la Franco-Somalienne a reçu un ensemble de tableaux faisant tous référence à ce grand thème classique de l’histoire de l’art.

Une manière, pour celle qui a créé sa galerie en 2012 à Seattle avant de la déménager à Chicago en 2017 puis d’ouvrir une antenne à Paris en plein Triangle d’or (8 avenue Matignon, Paris 8e) à l’automne 2021, de continuer à établir la nouvelle génération d’artistes afro qu’elle défend depuis ses débuts. Et d’affirmer sa différence.

Promouvoir l’art contemporain africain

« Notre exposition anniversaire s’ouvrait en février, mois très politique aux États-Unis puisque les Américains l’appellent le Black History Month (le mois de l’histoire noire, NDLR), confie Mariane Ibrahim au premier étage de sa très chic galerie parisienne de l’avenue Matignon. J’ai eu envie de faire une pause avec l’iconographie attendue à cette période et de mettre plutôt l’accent sur la beauté, la joie, la contemplation. La beauté amène à l’émancipation. Elle donne toujours plus confiance, en tout. »

La beauté et la confiance, Mariane Ibrahim n’en manque pas. Même si le parcours de cette quadra qui n’aime pas dire son âge s’est écrit à tâtons, au fil de voyages et d’exils à la recherche de son identité, la jeune femme aux yeux rieurs a toujours cru en son talent.

Il ne restait qu’à lui assigner une mission. Ce qu’elle a trouvé dans sa promotion de l’art contemporain africain, « pour participer à faire des artistes noirs les acteurs de leur propre narration ». Elle s’est emparée de ce sujet autant par convictions personnelles et politiques que par intuition pour un business qui, si elle réussissait, pouvait s’avérer prometteur.

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Dix ans plus tard, la plupart des quatorze jeunes artistes de sa galerie se vendent sur liste d’attente et les toiles de certains, dont Amoako Boafo, artiste ghanéen de 37 ans, s’arrachent à plus de 250 000 euros. Le tout dans un circuit de collectionneur·ses et d’institutions contrôlé par la galeriste, qui veille à ce que les œuvres de sa « petite famille d’artistes » arrivent « entre des mains responsables » et soient le plus visibles et valorisées possible.

Depuis que la figuration noire a fait son entrée sur la scène de l’art contemporain, le sujet fascine. « Il y a encore quelques années, les collectionneurs étaient désarçonnés par les œuvres qu’ils voyaient. Ils étaient tellement habitués à une représentation du corps noir montré sous l’angle des cicatrices, de la mutilation, de la violence. La découverte de ce sujet traité dans les codes classiques de la tradition picturale a été un choc. » Et ce courant ne cesse de séduire le marché, comme les musées et fondations, tous conscients du « rattrapage » à effectuer vis-à-vis d’artistes du continent africain ou issus de la diaspora trop peu présents dans leurs collections.

Ce que nous vivons n’est pas une tendance, c’est un momentum. Un nouveau chapitre de l’histoire de l’art s’ouvre.

« Ce que nous vivons n’est pas une tendance,c’est un momentum. Un nouveau chapitre de l’histoire de l’art s’ouvre », insiste Mariane Ibrahim. Et la galeriste compte bien accompagner cette petite révolution avec toute sa conscience politique et sa fibre commerciale.

« Son arrivée en France apporte un dynamisme et un pragmatisme à l’américaine dont Paris a besoin pour évoluer, commente Olivia Anani, codirectrice du département Afrique + Art moderne et contemporain chez Piasa. Cela permet aux acheteurs de découvrir des artistes qu’ils n’ont pas l’habitude de voir et de sortir d’un certain conservatisme qui caractérise encore le goût français. »

Sa rencontre avec l’art contemporain africain

La galeriste, Française établie à Abidjan, en Côte d’Ivoire, vient aussi d’ouvrir son antenne parisienne avenue Matignon, à quelques mètres de celle de Mariane Ibrahim. Une manière pour ces deux femmes de la même génération et animées de la même passion « de faire entrer l’art contemporain africain dans la danse » et de l’ancrer durablement sur la scène mondiale, à partir de Paris, considérée comme une nouvelle plateforme stratégique.

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« Et ce n’est que le début de cette aventure, Mariane comme moi sommes engagées dans un mouvement de fond qui n’a rien à avoir avec un effet de mode », souligne Cécile Fakhoury. Née de parents somaliens, élevée à Nouméa puis à Bordeaux, dans la religion musulmane, Mariane Ibrahim est partie étudier la communication et le marketing à Londres, convaincue qu’un autre destin l’attendait ailleurs.

« En Angleterre, je me sentais acceptée comme une Française, sans avoir à me justifier sur la couleur de ma peau. » Même chose aux États-Unis, où elle décide d’immigrer avec son mari, préférant à la France de Sarkozy l’Amérique de Barack Obama.

Dès que Mariane Ibrahim se sent entravée dans sa liberté, elle change de position et part se connecter à d’autres énergies, d’autres regards. Sa rencontre avec l’art contemporain africain commence avec la photographie, qu’elle chérit au point d’avoir un temps imaginé devenir photographe. Elle consacre sa toute première exposition à Seattle aux clichés noir et blanc du Malien Malick Sidibé.

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